Une tribune pour les luttes

Les associations face à la répression

« Engagez-vous ! » qu’ils disaient…

Article mis en ligne le lundi 9 novembre 2020

Les effets de manche sur la « démocratie participative » sont devenus un rituel du discours politique. Mais sur le terrain, pour les associations et les collectifs qui l’ouvrent un peu trop, c’est tout l’inverse : stigmatisation, coupe de subventions, voire procès et interventions policières. Dans son premier rapport, l’Observatoire des libertés associatives présente un panorama des techniques du pouvoir pour mettre au pas les oppositions qui le dérangent.

Le constat est violent, sans appel : en France, associations et collectifs militants subissent des entraves à leurs libertés dès lors qu’ils s’opposent un peu trop frontalement au pouvoir, à l’échelle nationale comme locale. Début octobre, l’Observatoire des libertés associatives [1] a publié son premier rapport. Intitulé « Une citoyenneté réprimée », il s’appuie sur le recueil de 100 expériences de répressions classées en quatre grandes catégories.

Calomnier

La première relève de la disqualification ou du dénigrement. On se souvient de Gérard Chenoz, élu marseillais en charge de la requalification de la place Jean-Jaurès qui, en 2018, traitait les opposants à cette rénova tion de « professionnels de la subversion » et de « zadistes […] pleins de chichon ». Mais c’est aussi le maire d’Alès (Gard) qui qualifie les méthodes de l’association de défense des animaux L214 de « terroristes » après qu’elle a publié une vidéo tournée dans un abat toir de sa ville.

Ces attaques peuvent avoir d’importantes répercussions sur les collectifs. Ainsi de l’Assemblée citoyenne des originaires de Turquie (Acort) accusée de « communautarisme » par un élu du XVIIe arrondissement de Paris en janvier 2019. Ce dernier écrit au préfet pour lui demander de couper ses subventions. Valeurs actuelles embraye : « Aussi outrancier et dangereux pour la cohésion nationale que soit son discours, l’association touche 5 000 € par an de subventions payées par la ville de Paris. » Le Figaro, quant à lui, s’interroge : « L’argent public peut-il servir à financer des associations qui entretiennent la détestation de la France et de ses forces de l’ordre ? » L’Acort aura beau se défendre en expliquant qu’elle se mobilise « contre toutes les formes de racisme, dont l’islamophobie », le mal est fait. Que vaut le communiqué d’une association perdu sur son site internet face à une déclaration publique d’élu reprise en chœur par la presse ?

Couper les subventions

La deuxième catégorie concerne les entraves financières et matérielles. Ou quand un ministre, un maire ou un conseiller départemental, mécontent d’une parole ou d’une action, prive un collectif d’habitants d’accès à des locaux de réunion ou menace de lui couper toute subvention. Sans surprise, on retrouve ici beaucoup d’associations des quartiers populaires, où l’argent manque tellement qu’il est un moyen de pression facile pour les pouvoirs locaux. C’est ce qu’a subi, par exemple, l’Association nouveau regard sur la jeunesse (ANRJ) à Roubaix (Nord) quand elle s’est engagée au côté d’habitants dans la contestation d’un projet de rénovation urbaine en 2016 : quelques mois plus tard, elle s’est retrouvée expulsée de ses locaux et privée de ses subventions par la Ville.

Mais l’une des plus retentissantes affaires est sans doute celle du Genepi. En 2018, cette association étudiante qui accompagne les détenus s’est vu couper ses subventions et empêcher d’accès aux prisons en raison de ses prises de positions sur la politique pénitentiaire. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, avait déclaré : « Le Genepi développait des thèses qui sont très hostiles à la politique publique que nous conduisons […]. Donc ce n’était plus une politique partenariale sur les ambitions que nous avions, mais une politique au contraire d’opposition quasiment frontale et permanente. Donc j’ai pris une décision qui est de supprimer la subvention. » Une manière de s’adresser à l’ensemble des associations avec un message clair : on ne mord pas la main qui vous nourrit.

Harceler en justice

La troisième catégorie englobe tous les procès intentés par l’État ou les collectivités locales. En première ligne, on retrouve de nombreux collectifs écologistes. On pense évidemment aux opposants au projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure (Meuse) visés par une enquête judiciaire pour « association de malfaiteurs » qui a déjà coûté plus d’un million d’euros et donné lieu à au moins 50 procès, 28 inter dictions de territoire, deux années de prison ferme et des centaines de mois de sursis cumulés.

Mais d’autres mobilisations de moindre écho médiatique sont aussi concernées. Citons l’association Danger Montpertuis, qui s’oppose à l’implantation d’une raffinerie d’éthanol-bois près de Vichy (Allier). Dès sa création en 2016, ce qui n’est encore qu’un collectif informel subit des intimidations. Le maire de la commune de Bellerive écrit même : « La bonne nouvelle est que ce groupuscule est en train de se constituer en association. Ce qui va naturellement conduire ses responsables à maîtriser à la fois leur communication et leurs agissements, faute de quoi ils s’exposent très rapidement à voir leurs responsabilités civile et pénale engagées. » En septembre 2018, les menaces sont mises à exécution : Vichy Communauté dépose trois plaintes pour diffamation, diffusion de fausses nouvelles et affichage sauvage. Peu importe aux autorités que ces plaintes soient toutes classées sans suite. L’objectif semble surtout de détourner l’association de son objectif premier en la cantonnant à des actions défensives : un procès suppose de dépenser du temps et de l’argent pour éviter toute condamnation.

Envoyer les flics

La dernière catégorie rassemble les répressions policières. On pense, entre autres, à la scène surréaliste qui s’est déroulée le 17 juin 2018 sur les quais de Seine devant l’Institut du monde arabe. Alors que plus de 300 personnes, dont des élus de la Ville de Paris et l’ambassadeur de Palestine, attendent l’inoffensive Flottille de la Liberté pour Gaza – deux voiliers partis de Suède à destination de la cité palestinienne –, le comité d’accueil est nassé par les CRS, tandis que les navires sont vigoureusement empêchés d’accoster par des Zodiacs de la préfecture de police qui les repoussent loin du quai. Le tout sous les yeux ébahis des militants et officiels. Ni la mairie, ni la préfecture de police ne donneront d’explications à cette incroyable censure.

On pense aussi à l’association Utopia 56 qui vient en aide aux migrants à Calais. Durant le confinement, entre le 19 mars et le 8 avril 2020, les bénévoles de l’association ont fait l’objet de 18 amendes dans le cadre de leurs activités de maraudes et de distributions de matériel (tentes, duvets, etc.) et alimentaires (repas, eau). L’association diffuse la vidéo d’un échange entre un bénévole et un CRS gradé qui exprime explicitement son intention d’ » user » les militants sur le terrain en multipliant les contrôles et les amendes.

Comment se défendre ?

Plus que la simple répression policière, par ailleurs bien documentée par d’autres collectifs, c’est ce continuum de bâtons dans les roues fait de stigmatisation et de chantages à la subvention qui ressort de la lecture de ce rapport. Une répression de basse intensité basée sur l’inégalité de moyens : les pouvoirs publics ont de l’argent et du temps, les associations en manquent cruellement.

Alors, comment répliquer ? Les auteurs mettent en avant douze propositions concrètes pour rééquilibrer le rapport de forces. Sur le chantage aux subventions, par exemple, l’objectif a minima serait d’obliger les politiques à justifier leurs coupures. Au-delà, il s’agirait de retirer aux seuls élus le pouvoir d’attribution des enveloppes en créant des commissions mixtes représentant une pluralité d’intérêts. Même ordre d’idée concernant la question policière : retirer à l’IGPN les enquêtes sur les violences pour les remettre au centre du débat public. Mais au-delà des mesures ciblées, l’idée générale peut se résumer par une analogie avec le monde du travail : à l’image des outils construits historiquement par les syndicats pour faire face aux dirigeants des entreprises, le monde associatif doit aujourd’hui construire ses propres défenses face aux potentielles attaques de l’État. Un objectif qui passe, certes, par des dispositifs institutionnels, mais également par l’auto-organisation. Si dix collectifs se lèvent dès qu’une association est attaquée, les élus y réfléchiront à deux fois avant de se lâcher.

Ettore Fontana

[1] Il s’agit d’une coalition d’associations (parmi lesquelles la coordination nationale Pas Sans Nous, France nature environnement, la Ligue des droits de l’Homme, etc.) ayant travaillé avec des chercheurs en sciences sociales.

CQFD n°192, novembre 2020

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