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À Marseille, un McDo devient restaurant solidaire

Article mis en ligne le jeudi 14 janvier 2021

McDonald’s ne voulait plus d’eux : ils ont décidé de se passer de McDonald’s. Après plusieurs années de lutte pour sauver leurs emplois, les anciens salariés d’un McDo des quartiers Nord de Marseille ont transformé leur fast-food en plateforme solidaire.

Ne l’appelez plus McDonald’s : son petit nom désormais, c’est « L’Après M ». Les lettres composant l’enseigne du fast-food, coincé entre des grands ensembles et un boulevard urbain, ont été découpées, retournées et disposées dans un autre ordre pour former le nouveau nom du lieu. Comme la coque d’un navire qui change de propriétaire et d’usage, la façade du restaurant, jusqu’ici caractéristique de nombreux établissements siglés du M, a été repeinte d’un « camouflage urbain » aux différentes teintes de bleu, de mauve et de rose.

Liquidé en justice en décembre 2019, l’ancien McDonald’s de Saint-Barthélemy (14e arrondissement de Marseille) vit une sorte de renaissance. C’est qu’après avoir lutté deux ans pour conserver leurs emplois, les anciens salariés ne se sont pas résolus à fermer le rideau [1]. Depuis un an, ils occupent l’établissement, qu’ils transforment peu à peu en restaurant solidaire.

« Ça donne de l’espoir »

Samedi 19 décembre 2020 : pour consacrer la nouvelle vocation du lieu, une journée d’inauguration est organisée. Résonnant habituellement dans les rues du centre-ville, la fanfare du Pompier Poney Club insuffle un esprit festif, tandis qu’une file interminable de badauds attend son burger à prix libre à la fenêtre de l’ancien drive. Steak de falafel, crudités et frites maison : le menu est composé de produits bio fournis par des maraîchers et boulangers locaux. En une poignée d’heures, les 1 000 sandwichs prévus sont vendus – sans avoir pu satisfaire l’estomac de tous les curieux.

À l’heure du déjeuner, les enfants piaillent au milieu des jeux extérieurs et les adultes refont le monde sur les tables de la terrasse. Puis vient le temps des ateliers : activités avec les enfants des quartiers environnants, montage d’abris pour personnes à la rue, végétalisation autour du resto… La foule est bigarrée : on y croise des écologistes venus en « vélorution », des familles qui habitent dans les immeubles du secteur ou encore des figures marseillaises du militantisme social. « Il y a quinze ans j’allais acheter du shit à la cité voisine de Font-Vert. Je n’étais pas revenu dans le quartier depuis. Voir des gens se réapproprier ce lieu de travail en repensant le lien social et le rapport à l’écologie, ça donne de l’espoir », s’enthousiasme un trentenaire aujourd’hui salarié au siège parisien d’une ONG écologiste.

« Quitter ce territoire handicaperait ses habitants »

Mais si tout le monde a aujourd’hui le sourire, ça n’a pas toujours été le cas : en 2018, le fast-food était jugé non rentable par McDonald’s France et son franchisé, qui ont tout fait pour le fermer fissa. Côté syndical, on considérait plutôt que la faillite était organisée. C’est qu’ici les acquis sociaux et l’ancienneté des employés dépassaient de loin les standards précaires de la multinationale [2] – bien que l’ancien sous-directeur et représentant syndical FO Kamel Guemari n’ait « jamais vu quelqu’un partir à la retraite en 21 ans de travail ici. On est comme des chiffons, quand ils t’ont usé ils te jettent à la poubelle. »

En avril dernier, en plein confinement, les anciens syndicalistes et leurs soutiens ont « réquisitionné » le McDo qu’ils occupaient, pour en faire une plateforme d’aide alimentaire – devenue indispensable à des dizaines de milliers de familles des quartiers populaires de Marseille. Puis, via plusieurs associations montées sur place, ils ont proposé des cours de soutien et des fournitures scolaires, des livres jeunesse, des sorties familiales en mer et même des colonies de vacances. Figure de cette réappropriation, Kamel Guemari y voit un exemple « d’intelligence collective » qui fait bien plus que s’opposer à une multinationale : « On ne peut pas faire perdurer ce système qui écrase la dignité humaine », pose-t-il. Avant d’ajouter : « On n’a pas le droit de quitter ce territoire. Ce serait handicaper ses habitants. »

Avec ses compagnons de lutte, Kamel Guemari veut créer, en lieu et place de l’ancien McDo, un restaurant d’application qui permettrait de former des jeunes et des personnes en réinsertion, tout en proposant des menus à un prix accessible aux habitants des alentours. Actuellement porté par une association, le projet pourrait prendre la forme d’une Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), un statut qui permet d’associer tous types d’acteurs : particuliers, associations, sociétés, collectivités…

José Bové en soutien

Malgré les fonctions sociales essentielles du projet et le basculement de la municipalité à gauche au début de l’été, le soutien institutionnel reste pour l’heure aux abonnés absents. Ce 19 décembre, en guise d’officiels, seule une délégation d’élus municipaux écologistes et leur candidat aux élections régionales posent devant la nouvelle enseigne. Ils sont accompagnés de José Bové, celui-là même qui avait participé au « démontage » du McDo de Millau en 1999. À l’époque, celui qui était alors porte-parole de la Confédération paysanne voulait dénoncer par cette action la malbouffe et la mondialisation néolibérale. Ironie de l’histoire, cette année-là, Kamel Guemari, encore adolescent, commençait à travailler au McDo de Saint- Barthélemy. Il se souvient : « Quand je l’ai vu à la télé, je me suis dit : “Cet homme est fou”. Je ne comprenais pas pourquoi il faisait cela. » Aujourd’hui Kamel explique vivre « un rêve » en rencontrant l’altermondialiste à moustaches.

José Bové lui-même semble impressionné : « Vingt ans après, on a gagné la bataille culturelle. Ce sont ces gens qui ont été abandonnés dans des immeubles construits à la va-vite, qui ont été victimes de tout, qui ont décidé de faire collectivement. Ils montrent que tout est possible, qu’on n’est pas enfermés dans un destin. » En face, ça plaisante : « On avait peur de t’inviter parce qu’on avait peur que tu viennes démonter », lui lance Fathi Bouaroua. L’ancien directeur régional de la fondation Abbé-Pierre et ancien coprésident de la communauté marseillaise Emmaüs Pointe-Rouge est désormais président de l’association « Après McDo », qui porte le projet de transformation du lieu.

Avec ou sans les élus

« L’Après M, c’est l’après-Michèle », se marre Salim Grabsi, membre du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM), très actif au sein de l’ancien McDo. « Michèle », comme Michèle Rubirola, la maire écolo dont le visage incarnait une nouvelle manière de faire de la politique et qui a démissionné mi-décembre, laissant son fauteuil à Benoît Payan, un apparatchik du Parti socialiste. Les militants de l’ancien McDo attendent toujours un soutien de la Ville, qui pourrait jouer le rôle d’intermédiaire auprès de McDonald’s France, voire celui de repreneuse des murs, qui appartiennent toujours à la firme.

Sauf que la municipalité du Printemps marseillais (qui se présente comme « rassemblement de la gauche, des écologistes et des citoyens ») fait preuve d’attentisme, elle qui a pourtant promis une réponse rapide à la crise sociale et d’agir pour la nécessaire reconnexion entre le Nord et le Sud d’une ville ayant subi des décennies d’urbanisme ségrégatif. Interrogé par le site d’infos Marsactu [3], l’adjoint à l’économie Laurent Lhardit dit vouloir « des compléments d’information sur la mécanique du projet ». Il attend peut-être aussi d’en savoir plus sur les intentions de Ronald McDonald’s...

Avec ou sans les élus, les artisans de « L’Après M » comptent bien impulser leur changement dès maintenant. Ils s’y sentent obligés, ne serait-ce que par l’urgence sociale : « On vient à peine de finir la distribution de 842 colis, témoignait Salim Grabsi par SMS deux jours après l’inauguration. Plus les lundis passent et plus la détresse alimentaire augmente. J’ai peur que notre volonté et notre bienveillance ne suffisent pas à stopper la crise humanitaire que nous allons prendre dans la face. » Entre espoir et principe de réalité.

Pierre Isnard-Dupuy (Collectif Presse-Papiers)

[1] Lire « “Les McDo” de Marseille : touchés mais pas coulés », CQFD n° 183 (janvier 2020).

[2] Lire « Ça s’est passé comme ça chez McDonald’s… », CQFD n° 169 (octobre 2018) ; et « “Les McDo” de Saint-Barth’ : une lutte de quartier(s) », CQFD n° 181 (novembre 2019).

[3] « Devenu plateforme solidaire, le McDo de Saint-Barthélemy veut forcer son destin », Marsactu (19/12/2020).

CQFD n°194, janvier 2021

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