Une tribune pour les luttes

Communiqué du CODETRAS

Procès Terra Fecundis. La fin de vingt ans de dumping social dans l’agriculture ?

à Marseille, 17, 20 et 21 mai 2021

Article mis en ligne le mercredi 12 mai 2021

Du 17 au 21 mai 2021 se tiendra à Marseille le plus grand procès de l’histoire du travail détaché dans l’agriculture française. Cette procédure fait suite à une enquête ayant duré plus de dix ans. Elle met en évidence l’exploitation, l’inégalité de traitement et les conditions indignes de travail et d’hébergement imposées aux détaché·e·s par les exploitations agricoles utilisatrices et l’entreprise de travail temporaire espagnole Terra Fecundis dans les régions Sud, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine.

Chaque année entre 3000 et 5000 travailleur·se·s domicilié·e·s en Espagne sont acheminé·e·s par cette boîte d’intérim espagnole pour venir travailler dans près de 500 entreprises françaises de l’agro-alimentaire implantées dans 35 départements. Ces salarié·e·s, principalement originaires d’Amérique du Sud et d’Afrique, sont envoyé·e·s pour une durée indéterminée en France sans contrat en poche et sans information sur leurs droits.

L’histoire commence en 2001, lorsque Francisco et Juan José Lopez, deux frères originaires de Noves au nord des Bouches-du-Rhône, fondent Terra Fecundis à Murcia (Espagne). Après 2006, avec le développement de la libre prestation de service en Europe, les travailleur·eus·es détaché·e·s ont remplacé en partie le contingent fourni depuis les années 80 par les saisonniers marocains et tunisiens sous contrats OFII. Deux mille d’entre eux ont en effet été régularisés en 2010 suite à une décision de la Halde jugeant discriminatoire leur maintien dans le statut de travailleurs saisonniers temporaires, forcés de rentrer au pays au terme de saisons de 8 mois, reconduites parfois depuis plus de 20 ans. Le CODETRAS avait saisi cette instance et accompagné plus de 600 de ces ouvriers dans leur combat pour leurs droits.

Comme le recrutement sous contrat qui lui a précédé, le détachement s’appuie sur une fiction de saisonnalité. La présence en réalité permanente des travailleur·eus·es détaché·e·s est un rouage essentiel de l’agro-industrie. Elle permet au secteur de disposer d’une main-d’œuvre surnuméraire et donc flexible, révocable à tout moment, moins chère et non informée de ses droits. Non-paiement des heures supplémentaires, logement indigne et harcèlement moral, physique et sexuel y sont monnaie courante. Ici, le statut de travailleur saisonnier, intérimaire ou temporaire ne décrit pas une réalité liée au cycle des saisons mais la nécessité capitaliste de réduire les coûts dans le cadre d’une production intensive.

En vingt ans, l’ETT Terra Fecundis est devenue un acteur majeur du monde agricole français et un symbole du dumping social à l’œuvre dans le secteur agro-industriel. Depuis 2011, elle est dans le collimateur de la justice, de l’inspection du travail et des syndicats. Une enquête menée par l’Office Central de Lutte contre le Travail Illégal (OCLTI) fait état de journées de travail de 14 heures, de lieux d’hébergement qualifiés de prisons par les ouvrier·ère·s, du décès d’un travailleur équatorien mort de soif sur une exploitation.

Face à la gravité de ces constats, le parquet a retenu les charges de travail dissimulé par dissimulation d’activité et de salarié·e·s, mais aussi de marchandage, des délits commis en bande organisée. Mais ces faits ne sont reprochés qu’aux gérant·e·s et salarié·e·s de Terra Fecundis et omettent l’intégralité des entreprises utilisatrices. Les investigations mettent pourtant en évidence la responsabilité directe d’agriculteur·trice·s des Bouches-du-Rhône dans l’imposition d’horaires et de conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine qui mettent en péril la santé et la vie de leur main-d’œuvre. Pourtant ces entreprises n’ont pas été inquiétées, alors même que certains exploitants « logeurs » fournissent le gros de l’infrastructure d’hébergement nécessaire au détachement. Tandis que l’enquête a concerné plus de 89 sociétés utilisatrices, aucune d’elles ne sera sur le banc des accusés. Le détachement joue ici le rôle d’un écran de fumée permettant de dédouaner totalement les agriculteurs de leurs responsabilités d’employeurs.

Lutter contre ces conditions de vie et de travail indignes passe par la mise en cause des intermédiaires de travail (ou prestataires) mais aussi et surtout par une remise en question frontale du modèle d’agriculture industrielle et prédatrice qui contribue à dégrader les acquis et à dénier droits sociaux. L’intensification des pratiques de dumping social transforme les ouvrier·ère·s détaché·e·s en variables d’ajustement.

Nous demandons que les subventions de la PAC soient subordonnées à une conditionnalité sociale imposant de dépasser ces pratiques de servitude et défendons l’abolition des frontières qui constituent l’outil principal de précarisation de ces hommes et femmes venant travailler en France dans le secteur agricole.

Le CODETRAS organise :

LUNDI 17 MAI – 8h30
Ouverture du procès
Table de documentation
Tribunal Correctionnel de Marseille

JEUDI 20 MAI – 18h
Discussion, témoignages
« Combattons l’exploitation des travailleur· euse· s étranger· ère· s dans l’agriculture »
Casa Consolat – jauge limitée
1 rue Consolat Marseille 1er

VENDREDI 21 MAI – 17h
Rassemblement pour une égalité de droits entre travailleur.euse.s
Ombrière du Vieux port – Marseille

Défendre les droits des ouvrier·ère·s agricoles, quel que soit leur statut, constitue une lutte essentielle et centrale pour la construction d’un modèle agricole alternatif. Notre alimentation ne peut pas être basée sur l’exploitation !

Le détachement c’est quoi ?

Il s’agit de la possibilité, au sein de l’Union européenne d’envoyer des salarié·e·s dans un autre pays membre. Cette prestation internationale est encadrée par un certain nombre de conditions légales.

Prenons pour exemple le cas qui nous intéresse de détachement d’ouvrier·ère·s agricoles d’Espagne en France. Pour que le détachement soit légal :
- l’entreprise prestataire doit être régulièrement établie en Espagne et y exercer des activités substantielles.
- les détaché·e·s doivent travailler habituellement pour l’ETT en Espagne et leur mission en France doit rester temporaire ; ils ne peuvent donc pas être recruté·e·s à la seule fin d’un détachement, ni pourvoir un emploi ayant trait à l’activité normale et permanente de l’entreprise dans laquelle ils se rendent.
- un contrat commercial doit être signé entre l’entreprise prestataire et l’entreprise utilisatrice.

Une fois ces conditions remplies, l’employeur, c’est-à-dire l’ETT espagnole doit a minima assurer un niveau de rémunération et de protection correspondant au « socle » du droit du travail français.

Dans le cadre du détachement transnational, le principe de l’égalité de traitement et l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité sont consacrés dans le droit de l’Union Européenne depuis les traités fondateurs. Sur ce fondement, les États européens garantissent aux travailleur·eus·es détaché·e·s sur leur territoire : les périodes de travail et de repos, la durée des congés annuels payés, la rémunération (dont les taux majorés pour les heures supplémentaires), les conditions de mise à disposition des travailleur·eus·es, la sécurité, la santé et l’hygiène au travail, les mesures protectrices des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes, les conditions d’hébergement des travailleur·eus·es (...) ainsi que les allocations ou le remboursement de dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement et de nourriture.

Ces droits sortent renforcés de la directive européenne transposée « concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services » du 28 juin 2018, qui est entrée en vigueur le 30 juillet 2020. Les cotisations sociales, elles, sont versées dans le pays d’origine, qui permet de baisser le coût du travail indirect, puisque le montant des prélèvements obligatoires y est inférieur.

COLLECTIF DE DÉFENSE DES TRAVAILLEUR·EUSE·S ÉTRANGER·ÈRE·S DANS L’AGRICULTURE

Pour soutenir nos actions :
http://www.codetras.org/index.php/nous-soutenir

Communique du CODETRAS procès TERRA FECUNDIS

P.-S.

CODETRAS
Collectif de Défense des Travailleur.ses Étranger.es dans l’Agriculture
www.codetras.org

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Vos commentaires

  • Le 13 mai 2021 à 15:10, par Hervé Guichaoua En réponse à : Procès Terra Fecundis. La fin de vingt ans de dumping social dans l’agriculture ?

    Bonjour,
    Je prends connaissance de votre article consacré à Terra Fecundis.
    En relation avec cet article, je me permets de vous informer de l’existence de mon site qui contient beaucoup d’informations, d’articles et de jurisprudence relatifs aux fraudes aux prestations de services internationales et aux fraudes au détachement de salariés sur le territoire français :

    https://www.herveguichaoua.fr/

    A votre disposition pour échanger, si vous le souhaitez.

    Bien à vous.

    H. Guichaoua

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