Une tribune pour les luttes

Révoltes à Cuba : Ni avec l’ « opposition démocratique », ni avec le régime castriste !

Le prolétariat cubain n’a qu’une seule issue : la lutte de classe !

Parti Communiste International

Article mis en ligne le lundi 26 juillet 2021

Depuis plusieurs jours, les principales villes de Cuba, notamment La Havane, connaissent des affrontements incessants entre les manifestants et la police. Selon les informations fournies par la presse internationale, à prendre toujours avec précaution étant donné son parti-pris habituel à propos de Cuba, le gouvernement Díaz-Canel a répondu aux manifestations qui ont lieu sur l’île depuis le 11 juillet en militarisant les villes, la police n’ayant pas suffi à contenir la marée des émeutiers. La même presse rapporte que le gouvernement cubain a été contraint de reconnaître qu’au moins une personne est morte dans les émeutes, alors qu’elle manifestait devant un poste de police dans la banlieue de La Havane. Alors que la répression, que le président Díaz-Canel a lui-même appelée de ses vœux sur ses réseaux sociaux, tente de calmer la tension à coups de matraques, de lacrymogénes et de coups de feu, le gouvernement a entamé une série de distributions de nourriture dans les quartiers les plus défavorisés de La Havane et de Santiago, et a également mis fin aux coupures d’électricité à l’origine des manifestations.

Au-delà de ces faits, la réalité pour la majorité de la population cubaine est que ses conditions de vie se sont considérablement dégradées ces dernières années. Les effets de l’embargo que les États-Unis maintiennent contre toute activité commerciale avec Cuba se sont aggravés avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence car il est revenu sur toutes les mesures d’ouverture que son prédécesseur, Obama, avait mises en place. Rien n’a changé après la victoire électorale de Biden en novembre dernier, et les conséquences de la politique de restrictions se font sentir par une pénurie de pratiquement tous les types de produits de première nécessité.
Mais l’embargo américain n’est qu’une des causes de la situation que traverse l’économie cubaine. Comme on le sait, pour survivre Cuba dépend presque entièrement du tourisme. La crise du Covid 19 a mis fin aux voyages touristiques sur l’île, ce qui a entraîné la perte d’une source de revenus essentielle, les devises étrangères provenant de ces voyages servant à financer l’achat d’une grande partie des biens d’équipement, notamment agricoles, dont le pays a besoin.
Enfin, le soutien traditionnel vénézuélien, qui permettait de se procurer du pétrole et d’autres matières premières de base à bas prix, a lui aussi considérablement diminué, ce qui a aggravé le manque de sources d’énergie à l’origine de la hausse des prix de l’électricité et des coupures de courant que les grandes villes ont connues ces derniers mois.

En janvier 2021, le gouvernement cubain a répondu à la crise économique par une série de mesures financières qui n’ont réussi qu’à aggraver la situation de la classe prolétarienne : le système traditionnel à deux monnaies (le peso cubain, en usage normal sur l’île, et le peso convertible, utilisé pour le commerce international) a disparu, ne laissant que le peso cubain fixé à un taux de convertibilité de 24 pour un dollar. Cela entraîne une dévaluation de la monnaie pour le secteur économique étatique, qui est le seul à pouvoir importer les biens nécessaires à la vie quotidienne à Cuba, et donc une hausse drastique des prix de ces biens. Ainsi, le gouvernement « socialiste » Díaz-Canel a procédé à la suppression des subventions sur presque tous les produits de base. En guise de compensation, le gouvernement a augmenté les salaires et les pensions jusqu’à 450%... une mesure totalement inutile lorsqu’existe un problème fondamental de pénurie de biens et de services et qui n’améliore donc pas le pouvoir d’achat du prolétariat cubain.

Certains commentateurs internationaux comparent cette situation catastrophique à ce qui s’est passé en termes économiques pendant la fameuse « période spéciale », c’est-à-dire la longue décennie qui a suivi l’effondrement du bloc de l’Est, laissant Cuba privé de sa principale source d’approvisionnement et de son principal acheteur sur le marché international. Les troubles connus sous le nom de « maleconazo » en 1994 (1) et la crise des « balseros » (2) dans les années suivantes ont été la réponse du prolétariat cubain à la crise économique et sociale que connaissait le pays. Réponse désespérée qui a entraîné la mort de dizaines de Cubains noyés dans la mer des Caraïbes, et qui a été rapidement étouffée à l’intérieur du pays par une combinaison classique de force répressive et de persuasion de la part des hauts dirigeants du gouvernement.

La réalité d’aujourd’hui est complètement différente de celle d’alors. D’abord parce que les années qui se sont écoulées depuis la révolution castriste de 1959 et l’effondrement du bloc de l’Est en 1991 ont contribué à affaiblir la pesante illusion dans le supposé « socialisme cubain » : les mesures économiques, politiques et sociales issues de la crise de la « période spéciale » ont fortement affaibli la conviction que le gouvernement et le prolétariat cubains marchent ensemble vers le socialisme ou, du moins, vers la défaite de l’impérialisme américain.

Deuxièmement, ces mesures, qui ont été accélérées après l’arrivée au pouvoir de Raúl Castro et qui visaient à « ouvrir » l’économie cubaine à la fois aux marchés internationaux (principalement le tourisme) et aux petites entreprises locales, par la libéralisation de certaines activités commerciales, ont précisément conduit à une augmentation de la polarisation sociale :

D’une part, la caste composée de la direction militaire et des dirigeants du Parti « communiste » qui contrôle les entreprises nationales n’a cessé de réaffirmer « l’inamovibilité » d’un pouvoir qui, à mesure qu’il perd son ascendant sur les masses, est contraint de réagir plus violemment contre elles.

Deuxièmement, une petite mais consistante couche de classe moyenne, petite bourgeoisie enrichie par l’ouverture du commerce qu’ell a pu utiliser pour améliorer sa position économique à travers des établissements qui achètent et vendent uniquement en dollars, etc.

Enfin, une masse prolétarienne dans les campagnes et les villes, traditionnellement employée par l’une ou l’autre branche du secteur public, qui subit les aléas économiques sans perspective d’amélioration, sans possibilité d’organisation syndicale ou politique et, bien sûr, sans pouvoir accéder aux « avantages » des espaces de libre commerce ouverts au cours des six dernières années.

Les révoltes de ces derniers jours ont mis mouvement à la fois cette classe prolétarienne et la petite bourgeoisie. Celle ci a également été durement touchée par les mesures financières de janvier dernier, ce qui a contribué à une lente maturation de la confrontation avec le gouvernement par le biais de groupes artistiques, d’opinion, etc. comme le dit « mouvement de San Isidro » (créé dès 2018 contre la censure des artistes). C’est cette classe moyenne qui crie les slogans de « démocratie » et de « liberté » ou de « la patrie et la vie » (par opposition au fameux « la patrie ou la mort ! »), entendus dans les manifestations. Tout leur intérêt est de capitaliser le mécontentement social, de réussir à prendre le dessus sur les prolétaires qui descendent spontanément dans la rue, afin d’imposer leurs propres revendications qui diffèrent évidemment, tant politiquement qu’économiquement, de celles de la classe ouvrière. Cette petite bourgeoisie, qui n’aspire qu’à voir son statut économique reconnu par une intégration partielle dans les structures étatiques, ce qui lui permet à son tour de renforcer ce statut, est aussi l’alibi de toutes les puissances impérialistes européennes et américaines qui ont intérêt à pousser à un changement de gouvernement à Cuba.

De son côté la classe prolétarienne se présente les mains nues dans la lutte. Non seulement parce qu’elle s’est trouvée désarmée face à la police et à l’armée, mais surtout parce que le mythe du « socialisme national » cubain pèse encore très lourd sur elle. La pression de plus de soixante ans de pouvoir des frères Castro, autrefois leaders de la révolution, et d’alignement sur ce gouvernement et contre la pression de l’impérialisme américain, est encore capable d’empêcher les prolétaires cubains de reconnaître dans ce régime capitaliste déguisé en « socialisme » et dans ce faux parti « communiste » dans lequel est organisé leur ennemi de classe, le véritable ennemi à vaincre.
C’est pourquoi, au-delà des révoltes spontanées, les difficultés auxquelles se heurte le prolétariat cubain pour rompre avec la politique de collaboration entre les classes que signifie la défense de « l’Etat socialiste » sont immenses : ni sur le terrain de la lutte économique immédiate, où l’Etat contrôle toutes les organisations syndicales existantes, ni sur le terrain de la lutte politique, il ne parvient encore à avancer.

Mais chacune de ces explosions sociales, et à coup sûr il y en aura beaucoup d’autres, chacune de ces révoltes, contribuent à montrer la dure réalité : c’est le capitalisme qui existe à Cuba ; il existe donc une classe prolétarienne et ses ennemis de classe : la classe bourgeoise dominante cubaine, si débile soit-elle, et les couches de la petite bourgeoisie urbaine et rurale ; celles-ci qui ont joué la fonction de collant social pendant la domination politique faussement socialiste du castrisme, une fois disparues l’aide de la Russie et des pays de l’Est épuisée, de même que celle du chavisme, se tournent toujours plus vers un autre protecteur, l’impérialisme américain, l’un des plus grands ennemis des prolétaires de tous les pays. A mesure que cette réalité devient plus visible, le mythe du « socialisme cubain » s’érode et la pression idéologique et matérielle qu’il exerçait sur les prolétaires s’affaiblit.

L’importance de cette évolution n’est pas seulement nationale : le mythe de Cuba « socialiste » s’étend bien au-delà de ses frontières. En premier lieu en Amérique latine, où l’État cubain lui-même a, d’une manière ou d’une autre, propagé ce mythe pour défendre ses intérêts nationaux et où il a toujours trouvé un soutien parmi la classe prolétarienne et les masses populaires. En deuxième lieu, au reste du monde, à commencer par l’Espagne, où l’adhésion, bien qu’en termes « humanitaires » et contre le blocus américain, continue d’être un point de référence majeur pour les forces locales de l’opportunisme politique et syndical.

La valeur des émeutes de ces derniers jours réside donc dans le fait qu’elles sont l’expression d’une force sociale qui tend inévitablement à montrer que la lutte de classe du prolétariat, dans tous les pays et en toutes circonstances, reste la grande question du monde bourgeois. Même là où la bourgeoisie a dû voiler son pouvoir sous le couvert d’un faux socialisme, il tend à tomber à mesure que les exigences de la société bourgeoise, provoquant des crises périodiques et des phases de misère de plus en plus fréquentes pour le prolétariat, remettent la lutte des classes au premier plan.

Contre le faux « socialisme » national !
Contre les revendications démocratiques de la petite bourgeoisie !
Pour le retour de la lutte de classe du prolétariat !
Pour la reconstitution du parti communiste international et internationaliste !

Parti Communiste International
15/7/2021


(1) Maleconazo. Vient de l’avenue El Malecon longue de 8 km le long du littoral de La Havane, où une grande manifestation anti-gouvernementale eut lieu le 5 août 1994

(2) Balseros : c’est ainsi qu’ont été appelés les Cubains fuyant l’île en août 1994 (et les années suivantes, notamment en 2014) vers les États-Unis. La « balsa » était une embarcation improvisée, construite à partir de n’importe quel objet pouvant flotter d’une manière ou d’une autre, gréé de draps imitant des voiles et propulsé par des rames également confectionnées de bric et de broc.

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