Une tribune pour les luttes

Liberté de penser ou liberté d’être raciste ?

par Tahar Moussaoui

Article mis en ligne le dimanche 19 février 2006

Nous devons une fois de plus au site de Michel COLLON cette analyse qui jette un éclairage particulier sur tous les articles que nous avons publiés à ce sujet. Comme le dit Vincent Lucas :
« L’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes »

Sauf nouveau développement de l’affaire, il s’agira de notre dernière contribution à ce débat.

Voir nos articles précédents :
- Vers la fin annoncée de l’héritage des Lumières ?
- Pour la liberté d’expression
- Liberté d’expression : le retour de l’Inquisition
- Plaidoyer pour les foules musulmanes qui brulent le drapeau Français
- Bouffons du Prophète

La parole est maintenant à vous. N’hésitez pas à réagir au différents débats ouverts pour ces articles.

Voir aussi :
- Les communautaristes de l’UFCN défendent le CPE !
pour les conséquences possibles de cette problématique sur les luttes sociales en France.

MB


Jyllands-Posten est le journal (conservateur) le plus lu au Danemark. Le 30 septembre 2005, il a publié une série de douze caricatures sous le titre « les visages de Mahomet ». L’une d’elles le représente coiffé d’un turban en forme de bombe à la mèche allumée. De fait, la majorité de ces caricatures associe, comme originellement et foncièrement inséparables, islam d’une part, terrorisme et barbarie de l’autre. Elle se base sur un raisonnement clairement raciste : Mahomet est un terroriste et un barbare ; or les musulmans sont des adeptes de Mahomet ; donc tous les musulmans sont des terroristes et des barbares.

1. Interpellé, le premier ministre danois s’est barricadé derrière la liberté d’expression, comme s’il était question d’en priver quiconque. La question en fait est que cette liberté doit être exercée dans le respect et servir à chercher la vérité par le débat argumenté pour que les gens soient plus conscients et plus unis. Elle ne peut donc être bassement utilisée pour semer les divisions, insulter les gens en toute impunité, les blesser et les stigmatiser. Or, il est évident que ce sont ces derniers buts qui étaient recherchés par les dessins.
C’est d’autant plus évident que le même journal a refusé, trois ans plus tôt, de publier des caricatures du christ et cela... pour ne pas blesser inutilement les lecteurs. C’est à dire exactement l’argument qu’il a ignoré pour les musulmans. Et en toute impunité, car le Code pénal danois ne semble protéger de l’insulte que le seul christianisme (voir encadré).

Il est malhonnête de faire croire que la liberté d’expression est absolue. Il ne faut pas oublier en effet que c’est toujours cette liberté qu’invoque aussi l’extrême droite pour mener ses attaques anti-immigrés. Et quand il arrive qu’elle soit condamnée par les tribunaux, c’est sur la base d’une première limite : la liberté d’expression ne peut être utilisée pour inciter à la haine raciste.
Il y a d’autres limites : la diffamation, la calomnie, l’atteinte à la vie privée, le négationnisme, etc... Et ne parlons pas des limites objectives : il suffit de penser à la « liberté » qu’il peut y avoir dans l’empire médiatique de Berlusconi ou à l’unanimité avec laquelle les medias américains ont relayé les mensonges de l’administration Bush pendant l’avant-guerre contre l’Irak. C’est assez souvent d’ailleurs que les médias ne sont libres en fait que quand il s’agit d’attaquer les ennemis des puissances de l’argent qui les financent.

2. Il ne vient pas à l’idée du journal danois de publier des dessins représentant Moïse avec le Tee-shirt orange des colons fanatiques en Cisjordanie, ou Jésus avec le Logo des néo-conservateurs américains en Irak. Peut-être parce qu’il aurait craint la vigilance contre l’antisémitisme, et certainement parce que l’amalgame entre religion et usage politique de celle-ci est aussi faux que dangereux.
Or, insidieusement, c’est cet amalgame-là que font les dessins pour frapper de suspicion tous les musulmans et les désigner à la vindicte de l’opinion. Ce faisant, ils utilisent exactement la même méthode que celle qu’ils reprochent à certains d’entre eux : faire de la politique avec la religion. Or, politique pour politique, n’est-il pas plus légitime d’utiliser la religion pour résister à l’oppression et à l’occupation que de l’utiliser pour opprimer et occuper les peuples ?

3. Les dessins publiés par le journal danois ont fait beaucoup de bruit. Mais en fait, tous les jours sont sournoisement distillés (dans les médias surtout) des commentaires et des présentations biaisées ou tronquées des faits qui, par petites petites doses, vont dans le même sens. L’arbre ne doit donc pas cacher la forêt. Tout cela contribue à diaboliser, de manière inquiétante, un groupe de la population en raison de ses convictions religieuses. Et cela ressemble de plus en plus à de la persécution.

4. Ce n’est pas un hasard que seul l’islam soit visé. Les dessins incriminés font partie d’une vaste campagne, utilisant d’autres supports, qui accrédite et alimente la prétendue « guerre des civilisations ». On se souvient des propos de Dewinter (Vlaams Blok) sur son islamophobie et de Bush sur la croisade contre le mal. L’objectif est double :
- Localement, désigner les immigrés comme boucs émissaires pour détourner l’attention des dégâts sociaux du néolibéralisme. L’extrême droite est en effet l’alliée parlementaire de l’actuel gouvernement dont elle a obtenu un durcissement de la politique anti-immigrés au Danemark. Et le ministre de l’intérieur belge n’a pas hésité a y aller pour voir de près cette politique ;
- Internationalement, stigmatiser les musulmans pour empêcher les gens de voir les mobiles sordides des guerres que les USA et leurs alliés livrent partout : maîtriser ou s’emparer par la force des richesses des peuples faibles, dominer ces peuples. Et, dans le même mouvement, déligitimer les résistances multiples que ces peuples opposent à cette domination. Pour rappel, le gouvernement danois, avec 600 soldats, soutient l’occupation américano-anglaise en Irak depuis trois ans.

5. On a dit que le boycott auquel ont appelé ceux qui ont été offensés par les caricatures était « déraisonnable ». Mais en fait, qui est le plus déraisonnable : celui qui refuse d’acheter des marchandises à un vendeur qui blesse ses sentiments religieux ou celui qui prétend à la fois vendre ses marchandises et blesser les sentiments de son acheteur ? Entre la liberté d’expression pour stigmatiser et la liberté de l’OMC pour vendre, quelle liberté reste-t-il aux stigmatisés ? On a dit aussi que les réactions des offensés étaient « excessives ». Mais ce qui est excessif c’est d’offenser les gens et en même temps de prétendre leur dicter la manière dont ils doivent réagir à l’offense. Ces prétentions, sous de ridicules nouveaux habits, ne sont rien d’autre que le vieux mépris colonial pour les « indigènes arriérés ».

6. Conclusion : le problème n’est pas de savoir s’il faut ou non respecter la liberté d’expression, mais de savoir quelle est la signification politique des caricatures, c’est à dire de savoir si, dans le contexte danois en particulier, elle sont ou ne sont pas une attaque raciste. C’est exactement la question qu’on aurait posée ici en Belgique si un tract du Vlaams Belang avait publié ces caricatures. Ceux qui s’en tiennent a une défense abstraite, hors contexte, de la liberté d’expression devraient logiquement s’opposer aux procès faits à Dewinter. Car il n’y a aucune différence de fond entre les caricatures et les déclarations du dirigeant raciste sur son islamophobie. Elles ont exactement le même message : tous les musulmans sont des terroristes. Et cela c’est du racisme. Point. On peut contester la forme de certaines réactions, mais on ne peut contester la nécessité et la légitimité de la réaction. Les démocrates doivent prendre leurs responsabilités !

Oui à une liberté d’expression responsable et émancipatrice !

Non à la liberté d’inciter à la haine et au mépris, non au racisme !


Plus d’infos sur le Danemark

- L’extrême droite souhaite expulser tous les musulmans et fait une propagande ouvertement xénophobe.

- La Constitution établit l’Eglise luthérienne comme religion d’Etat et le législateur peut intervenir dans les affaires ecclésiastiques.

- Le Code pénal (article 140) punit « quiconque tourne en dérision ou insulte le culte ou le dogme d’une confession légalement étabie dans le Royaume ».

- Le journal Jyllands-Posten a été profasciste dans l’entre-deux-guerres. Avant les élections 2001, il a publié une enquête sur la fraude aux aides sociales des demandeurs d’asile palestininens. Le syndicat de la presse a révélé que ces informations étaient fausses. Mais ...après les élections : le mal était déjà fait.

Association Racines et citoyenneté (février 2006), Liège

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