Une tribune pour les luttes

Tract du Courant Communiste International

La bourgeoisie impose de nouveaux sacrifices, la classe ouvrière répond par la lutte

Article mis en ligne le samedi 3 septembre 2022

"Enough is enough", "trop c’est trop". Voilà le cri qui s’est propagé d’écho en écho, de grève en grève, ces dernières semaines au Royaume-Uni. Ce mouvement massif baptisé "L’été de la colère", en référence à "L’hiver de la colère" de 1979, implique chaque jour des travailleurs dans plus en plus de secteurs : les trains, puis le métro de Londres, British Telecom, La Poste, les dockers de Felixstowe (un port vital en Grande-Bretagne), les éboueurs et les chauffeurs de bus dans différentes parties du pays, Amazon, etc. Aujourd’hui les travailleurs des transports, demain ceux de la santé et les enseignants.

Tous les journalistes et commentateurs constatent qu’il s’agit du mouvement le plus important de la classe ouvrière dans ce pays depuis des décennies ; il faut remonter aux immenses grèves de 1979 pour trouver un mouvement plus important et massif. Un mouvement d’une telle ampleur dans un pays aussi important que le Royaume-Uni n’est pas un événement "local". C’est un événement de portée internationale, un message aux exploités de tous les pays.

Face aux attaques contre le niveau de vie de tous les exploités, une seule réponse : le combat de classe

Décennie après décennie, comme et encore plus que dans les autres pays développés, les gouvernements britanniques successifs ont attaqué sans relâche les conditions de vie et de travail avec un seul leitmotiv : précariser et flexibiliser au nom de la compétitivité nationale et du profit. Les attaques ont atteint un tel niveau ces dernières années que la mortalité infantile connait dans ce pays "une augmentation sans précédent" depuis 2014 (selon la revue médicale BJM Open).

C’est pourquoi l’explosion actuelle de l’inflation représente un tel tsunami. Avec 10,1% d’augmentation des prix en juillet sur un an, 13% prévu en octobre, 18% en janvier, les ravages sont dévastateurs. "Beaucoup de gens pourraient être contraints de choisir entre sauter des repas pour chauffer leur logement, ou vivre dans le froid et l’humidité", a ainsi prévenu le NHS, le Service National de la Santé. Avec une augmentation du prix du gaz et de l’électricité de 54 % au 1er avril et de 78 % au 1er octobre, la situation est effectivement intenable.

Le niveau de mobilisation des travailleurs britanniques est donc enfin à la hauteur des attaques qu’ils subissent, alors que ces dernières décennies ils n’avaient pas trouvé la force pour y répondre, encore KO debout depuis les années Thatcher.

Dans le passé, les ouvriers anglais étaient parmi les plus combatifs du monde. Si on se base sur le nombre de jours de grève, "l’hiver de la colère" de 1979 constitue le mouvement le plus massif de tous les pays après celui de Mai 1968 en France, avant même "l’automne chaud" de 1969 en Italie. C’est cette énorme combativité que le gouvernement de Margareth Thatcher avait réussi à étouffer de façon durable en infligeant toute une série de défaites cuisantes aux ouvriers et particulièrement lors de la grève des mineurs en 1985. Cette défaite a marqué un tournant, celui du reflux prolongé de la combativité ouvrière au Royaume-Uni ; elle annonçait même le reflux général de la combativité ouvrière dans le monde. Cinq ans après, en 1990, l’effondrement de l’URSS, présentée frauduleusement comme un régime "socialiste", l’annonce non moins mensongère de la "mort du communisme" et du "triomphe définitif du capitalisme" ont fini d’assommer les travailleurs du monde entier. Depuis, privés de perspective, atteints dans leur confiance et leur identité de classe, ils ont subi de plus en plus, au Royaume-Uni encore plus qu’ailleurs, les attaques de tous les gouvernements sans être capables de réellement riposter. Les manifestations massives en France faisant souvent figures d’exception ces dernières années.

Mais la colère s’est accumulée et aujourd’hui, face aux attaques de la bourgeoisie, la classe ouvrière au Royaume-Uni montre qu’elle est de nouveau prête à lutter pour sa dignité, à refuser les sacrifices imposés sans cesse par le capital. Et une nouvelle fois, elle est le reflet le plus significatif de la dynamique internationale : l’hiver dernier, des grèves avaient commencé à éclater en Espagne et aux Etats-Unis ; cet été, l’Allemagne et la Belgique ont elles-aussi connu des débrayages ; pour les mois à venir, tous les commentateurs annoncent "une situation sociale explosive" en France et en Italie. Il est impossible de prévoir où et quand la combativité ouvrière va de nouveau se manifester massivement dans l’avenir proche, mais une chose est certaine, l’ampleur de la mobilisation ouvrière actuelle au Royaume-Uni constitue un fait historique majeur : c’en est fini de la passivité, de la soumission. Les nouvelles générations ouvrières relèvent la tête.

Le combat de classe face à la guerre impérialiste

L’importance de ce mouvement ne se limite pas au fait qu’il met fin à une longue période de passivité. Ces luttes se développent à un moment où le monde est confronté à une guerre impérialiste de grande ampleur, une guerre qui oppose, sur le terrain, la Russie à l’Ukraine mais qui a une portée mondiale avec, en particulier, une mobilisation des pays membres de l’OTAN. Une mobilisation en armes mais aussi économique, diplomatique et idéologique. Dans les pays occidentaux, le discours des gouvernements appelle aux sacrifices pour "défendre la liberté et la démocratie". Concrètement, cela veut dire qu’il faut que les prolétaires de ces pays doivent se serrer encore plus la ceinture pour "témoigner leur solidarité avec l’Ukraine", en fait avec la bourgeoisie ukrainienne et celle des pays occidentaux.

Les gouvernements justifient sans aucune honte leurs attaques en instrumentalisant à la fois la catastrophe du réchauffement climatique et les risques de pénuries énergétiques et alimentaires ("la pire crise alimentaire jamais connue" selon le Secrétaire général de l’ONU). Ils en appellent à la "sobriété" et annoncent la fin de "l’abondance" (pour reprendre les mots iniques du Président français Macron). Mais, en même temps, ils renforcent leur économie de guerre : les dépenses militaires mondiales ont atteint 2 113 milliards de dollars en 2021 ! Si le Royaume-Uni fait partie des cinq plus grands États en matière de dépenses militaires, depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine, tous les pays du monde ont accéléré leur course aux armements, y compris l’Allemagne, une première depuis 1945 !

Les gouvernements en appellent aux "sacrifices pour lutter contre l’inflation". C’est une farce sinistre alors qu’ils ne font que l’aggraver en faisant exploser les dépenses de guerre. Voilà l’avenir que promettent le capitalisme et ses bourgeoisies nationales en compétition : plus de guerres, plus d’exploitation, plus de destructions, plus de misère.

Voilà aussi ce que les grèves du prolétariat au Royaume-Uni portent en germe, même si les travailleurs n’en ont pas toujours pleinement conscience : le refus de se sacrifier encore et toujours plus pour les intérêts de la classe dominante, le refus des sacrifices pour l’économie nationale et pour l’effort de guerre, le refus d’accepter la logique de ce système qui mène l’humanité vers la catastrophe et, finalement, à sa destruction.

Voilà la seule alternative : socialisme ou destruction de l’humanité.

La nécessité de déjouer les pièges de la bourgeoise

Cette capacité à redresser la tête est d’autant plus marquante que la classe ouvrière au Royaume-Uni a subi ces dernières années le matraquage de l’idéologie populiste, qui dresse les exploités les uns contre les autres, les divise en "locaux" et "étrangers", en blancs et noirs, en hommes et femmes, jusqu’à faire croire que le repli insulaire du Brexit pouvait être la solution.

Mais il y a d’autres pièges bien plus pernicieux et dangereux tendus par la bourgeoisie sur le chemin des luttes du prolétariat.

La grande majorité des grèves actuelles ont été appelées par les syndicats qui se présentent ainsi comme l’organisation indispensable pour organiser la lutte et défendre les exploités. Les syndicats sont indispensables, oui, mais pour défendre la bourgeoisie et organiser la défaite de la classe ouvrière.

Il suffit de se rappeler à quel point la victoire de Thatcher a été permise grâce au travail de sape des syndicats. En mars 1984, quand 20 000 suppressions d’emplois sont brutalement annoncées dans le secteur des charbonnages, la réaction des mineurs est fulgurante : dès le premier jour de grève, 100 puits sur 184 sont fermés. Un corset de fer syndical entoure alors immédiatement les grévistes. Les syndicats de cheminots et de marins soutiennent platoniquement le mouvement. Le puissant syndicat des dockers se contente de deux appels à la grève tardifs. Le TUC (la centrale syndicale nationale) refuse de soutenir la grève. Les syndicats des électriciens et des sidérurgistes s’y opposent. Bref, les syndicats sabotent activement toute possibilité de lutte commune. Mais surtout, le syndicat des mineurs, le NUM (National Union of Mineworkers), parachève ce sale boulot en enfermant les mineurs dans des occupations stériles et interminables (plus d’un an !) des puits de charbon. Grâce à ce sabotage syndical, à ces occupations stériles et interminables, la répression policière peut s’abattre avec d’autant plus de violence. Cette défaite sera la défaite de toute la classe ouvrière.

Si aujourd’hui, au Royaume-Uni, ces mêmes syndicats ont un langage radical et font mine de prôner la solidarité entre les secteurs, brandissant même la menace de la grève générale, c’est parce qu’ils collent aux préoccupation de la classe ouvrière, ils tentent de capter ce qui anime les travailleurs, leur colère, leur combativité et leur sentiment qu’il faut se battre ensemble, pour mieux stériliser, détourner cette dynamique. En réalité, sur le terrain, ils orchestrent des grèves séparées ; derrière le mot d’ordre unitaire de hausse des salaires pour tous, ils enferment et divisent dans les négociations corporatistes ; surtout ils prennent grand soin d’éviter toutes réelles discussions entre les travailleurs des différents secteurs. Nulle part de réelles assemblées générales interprofessionnelles. C’est pourquoi il ne faut pas se laisser duper quand Lizz Truss, la favorite pour remplacer Boris Jonson, déclare qu’elle "ne laissera pas" le Royaume-Uni "être rançonné par des syndicalistes militants" si elle devient Première ministre. Elle ne fait là que s’inscrire dans les pas de son modèle, Margareth Thatcher ; elle crédibilise les syndicats comme les représentants les plus combatifs des travailleurs pour mieux, ensemble, mener la classe ouvrière à la défaite.

En France, en 2018, face à la montée de la combativité et l’élan de solidarité entre les générations, les syndicats avaient déjà usé du même stratagème en prônant la "convergence des luttes", un ersatz de mouvement unitaire, où les manifestants qui défilaient dans la rue étaient parqués par secteur et par entreprise.

Au Royaume-Uni comme partout ailleurs, pour construire un rapport de forces nous permettant de résister aux attaques incessantes contre nos conditions de vie et de travail, et qui demain vont s’aggraver encore avec violence, nous devons, partout où nous le pouvons, nous rassembler pour débattre et mettre en avant les méthodes de lutte qui ont fait la force de la classe ouvrière et lui ont permis, à certains moments de son histoire, de faire vaciller la bourgeoisie et son système  :

la recherche du soutien et de la solidarité au-delà de "sa" corporation, "son" entreprise, "son" secteur d’activité, de "sa" ville, "sa" région, "son" pays  ; l’organisation autonome du combat ouvrier, à travers des assemblées générales notamment, sans en laisser le contrôle aux syndicats, ces soi-disant "spécialistes" des luttes et de leur organisation la discussion la plus large possible sur les besoins généraux de la lutte, sur les leçons à tirer des combats et aussi des défaites, car il y aura des défaites mais la plus grande défaite est de subir les attaques sans réagir, l’entrée en lutte est la première victoire des exploités.

Si le retour des grèves massives au Royaume-Uni marque le retour de la combativité du prolétariat mondial, il est aussi vital que les faiblesses qui avaient signé sa défaite en 1985 soient dépassées : le corporatisme et l’illusion syndicale. L’autonomie de la lutte, l’unité et la solidarité sont les jalons indispensables à la préparation des luttes de demain !

Et pour cela, il faut se reconnaître comme membre d’une même classe, une classe unie par la solidarité dans la lutte : le prolétariat.

Les luttes d’aujourd’hui sont indispensables pas seulement pour se défendre pied à pied contre les attaques mais aussi pour reconquérir cette identité de classe à l’échelle mondiale, pour préparer le renversement de ce système synonyme de misère et de catastrophes de toutes sortes.

Dans le capitalisme, il n’y a pas de solution : ni à la destruction de la planète, ni aux guerres, ni au chômage, ni à la précarité, ni à la misère. Seule la lutte du prolétariat mondial avec tous les opprimés et exploités du monde peut ouvrir la voie à une alternative.

Les grèves massives au Royaume-Uni sont un appel au combat pour les prolétaires de tous les pays

Courant Communiste International, 27 août 2022

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