Une tribune pour les luttes

Ma journée du 1er mai

Article mis en ligne le mardi 2 mai 2023

Ma journée du 1er mai à Paris débute avec le défilé libertaire parti de Place des Fêtes. Arrivé sur République, la place commence à s’agiter, des camions syndicaux se mettent en place, des groupes de personnes arrivent, pas mal de monde se retrouve autour des stands de bouffe, bières et autres... Sur le boulevard Voltaire, un cortège de tête se met progressivement en place. De belles banderoles, renforcées ou non, de jolies pancartes : « cass’rolex », « monarc démission »... Les couleurs dominantes sont le jaune et le noir... Y’a de la musique, ça chante aussi : au traditionnel « On est là ! », s’ajoute « Et nous aussi on va passer en force », quand un cordon de gendarmes se met en place pour empêcher la manif d’avancer. Tout ça dure une petite heure. Quelques gouttes de pluie et puis ça tombe sévère – le temps de monter rue Oberkampf pour choper un poncho dans une boutique trouve-tout, le cortège s’est élancé. Je retrouve les deux drapeaux que j’avais pris comme point de repère – un drapeau breton jaune et noir et un drapeau pirate – au niveau de l’église Saint-Ambroise. Je remonte le cortège pour rejoindre les premières lignes vers la place Voltaire. Les banderoles ne sont plus là, est-ce que ça a déjà chicané un peu ? Je ne sais pas.

Passé la place, un groupe de pompiers en tenue avance à marche forcée vers le cordon de gendarmes, à une vingtaine de mètres devant. J’enquille, je les suis, on est une petite dizaine à faire pareil. Les pompiers, une quinzaine, se mettent au contact des boucliers, bras levés, paumes ouvertes. Le plus proche de moi interpelle la gendarme qui lui fait face. Les larmes aux yeux, il raconte son boulot, ses interventions, la galère du quotidien, son père, prolo cassé à 60 piges : « Et faudrait bosser deux ans encore ? Vous faites de la merde. Tu pourrais être ma fille : tu accepterais que tes collègues tapent sur ton père quand il se bat aussi pour toi ? » Il accroche son bouclier : « Regardes moi quand je te parle, regardes moi dans les yeux... »

En face, la machine-gendarme et ses collègues les plus proches baissent la tête, les yeux préférant mater leurs pompes. Aucune menace, mais il est à vif, des collègues le mettent en arrière, un autre prend le relais : « Regardez, c’est le peuple que vous avez en face, le peuple qui se lève. J’ai moi aussi été militaire, on vous donne des cours de démocratie, et là, c’est pas la démocratie. Vous avez la clé, arrêtez de faire n’importe quoi ! »

On se relaie, pompiers et manifestants, pour leur retourner la tête : « Vous défendez un système de merde, une minorité d’ultra-riches qui se gave, s’accapare toutes les richesses, les matières premières, détruit le vivant, la nature, les corps... Vous êtes fier-e-s de vous ? De rentrer le soir et de dire à votre femme, votre mari, vos enfants : "J’ai tapé sur des gens qui voulaient juste vivre de leur travail." Y s’passe quoi dans vos tronches ? Vous êtes des chiens de garde, arrêtez ! »

À droite, la machine-gendarme répond un peu, y’a un échange : « Vous êtes des pères de famille, nous aussi, on vous comprend, mais faut arrêter... Dans l’histoire militaire, quand la troupe refuse d’appliquer un ordre, de tirer sur la population, on met crosse en l’air... – c’est votre histoire, crosse en l’air, arrêtez de faire de la merde et ça ira bien... » Les machines-gendarmes restent de marbre, se retournent et marchent vers la Nation.

Le cortège remonte, quelques canettes volent, nouveau face-à-face avec les boucliers et ça reprend, le harcèlement psychologique : « Là, tu nous réponds pas, mais ce soir, tout seul avec ta tronche devant ta glace, tu vas bouffer des cachets pour dormir ? C’est moi et mon équipe qui avons sorti ton collègue quand il s’est pris un pavé. Nous, on soigne tout le monde, et toi, tu vas me taper dessus ? Tu vas faire quoi ? »

À l’arrivée sur la place de la Nation, ça gaze sévère, un gros épisode « gorilles dans la brume ». Pompiers, manifestants, manifestantes font une première ligne face aux gendarmes. Ça ne bouge pas. Est-ce que la sauce a pris ? Est-ce que c’est efficace ? Plus que d’aller au carton... Je sais pas. C’est en tout cas un autre outil. Et comme le disait un des pompiers : « Ça fait trois mois qu’on manifeste, il vous faut quoi ? Regardez ! Nous, on vous respecte, on est les gentils, mais arrêtez de faire de la merde, d’obéir comme des chiens de garde. Derrière, ils sont énervés... faut les comprendre... faudra les comprendre. »

Steph, un manifestant

Proposé par Annette

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