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Hausse des refoulements des personnes exilées depuis Montgenèvre vers l’Italie

Article mis en ligne le lundi 9 décembre 2024

Le retour à des pratiques dangereuses et illégales aux portes de l’hiver.

Alors que nous avions constaté, à partir du mois de février 2024, une évolution vers des pratiques policières plus respectueuses du droit d’asile à la frontière franco-italienne des Hautes-Alpes, nous déplorons la résurgence, depuis le début du mois de novembre, de modes opératoires contraires au droit international, européen, et français. Ces pratiques de refoulement (1) nient le droit fondamental de tous et toutes de pouvoir demander l’asile sur le territoire d’un pays où ils et elles ne sont pas en danger. Les droits sont violés quotidiennement à la frontière, n’attendons pas un énième drame en montagne pour alerter sur la situation et ses conséquences. Des alternatives existent, ces derniers mois en ont été la preuve.

Grâce au contentieux porté pendant des années par plusieurs associations de défense des droits des personnes exilées, un important arrêt a été rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 21 septembre 2023, repris ensuite par le Conseil d’État le 2 février 2024 (2). A défaut d’avoir permis de remettre en question le continuel renouvellement du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures par les gouvernements français successifs depuis 2015 en totale violation des normes européennes (3), ces arrêts ont néanmoins confirmé l’illégalité des pratiques appliquées aux frontières intérieures française (4) et permis ainsi un changement des procédures appliquées à la frontière. A cette occasion, le conseil d’État a aussi, et surtout, rappelé l’obligation qui incombe à l’État de respecter le droit d’asile à la frontière.

C’est ainsi que sur une courte période, entre février et novembre 2024, la majorité des personnes exilées désireuses de demander l’asile en France et qui se présentaient à la frontière de Montgenèvre étaient admises sur le territoire français. Les violations de droits n’avaient, pour autant, pas toutes cessé (5), mais la police aux frontières (PAF) respectait, enfin, le droit national et international au sujet de l’asile.

Ce relatif répit n’aura malheureusement été que de courte durée. Nous le redoutions, et c’est sans réelle surprise que nous observons depuis début novembre 2024 une très forte augmentation des réadmissions (c’est à dire le renvoi) en Italie de personnes exilées, dont beaucoup étaient désireuses de demander l’asile en France. Tout porte à croire que les pratiques des forces de l’ordre et les directives qu’elles reçoivent de leurs autorités de tutelle ont pris un nouveau tournant pour se rapprocher des modes opératoires répressifs mis en œuvre aux autres lieux de passages de la frontière franco-italienne (Menton, tunnel du Fréjus...), dans un contexte de multiplication d’annonces sécuritaires portées par le nouveau ministre de l’Intérieur.

Selon les témoignages recueillis auprès des personnes refoulées, les demandes d’asile ont été soit tout simplement ignorées, soit les conditions d’entretien étaient inadaptées (absence d’interprètes, entretiens expéditifs, pour exemples). Ceci selon des pratiques et appréciations qui semblent complètement aléatoires. Pour d’autres personnes ne relevant pas de la procédure d’asile, nous constatons également le non-respect de plusieurs droits, notamment relatifs à la retenue administrative.

Les conséquences sont déjà là. Pour tenter d’échapper au risque de refoulement, au lieu de se présenter au poste de la PAF comme c’était le cas ces derniers mois, les personnes passent de nouveau par la montagne. Au vent, à la neige et aux températures glaciales, s’ajoutent les dangers de la montagne particulièrement élevés en ce début de saison. Des personnes frigorifiées ont été trouvées sur le chemin, les premières gelures ont été prises en charge par les équipes du Refuges Solidaires et de Médecins du Monde, avec une orientation à l’hôpital pour des gelures plus importantes ces derniers jours. Les secours en montagne sont, eux aussi, déjà intervenus depuis le début de saison (6).

Nous sommes inquiets des conséquences de ces changements de pratiques à la frontière pour la santé physique et mentale des personnes qui tentent de franchir la frontière. Cette inquiétude se nourrit d’un passé récent : interpellations par surprise par les forces de l’ordre en montagne, courses-poursuites, tentatives de passages multiples, épuisement lié à des traversées difficiles, accidents mortels comme en 2023 (7). La répression et la criminalisation aux frontières s’accompagnent toujours de mises en danger et de drames. Pour preuve, la période de février à novembre 2024 a vu le nombre d’accidents graves et les souffrances psychiques diminuer.

Pour éviter toute nouvelle conséquence dramatique, nous demandons la fin immédiate de ces politiques migratoires répressives, illégales, illégitimes et dangereuses, et le respect des droits des personnes exilées à la frontière franco-italienne.

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(1) Refoulement (ou pushback) : terme générique, qui n’a pas de définition juridique stricte ou de définition internationalement reconnue. Les Nations Unies les définissent comme « diverses mesures prises par les États qui ont pour conséquence que les migrants, y compris les demandeurs d’asile, sont sommairement renvoyés de force dans le pays où ils ont tenté de traverser ou ont traversé une frontière internationale sans avoir accès à la protection internationale ou aux procédures d’asile ou sans qu’il ne soit procédé à une évaluation individuelle de leurs besoins de protection ».
(2) Communiqué inter-associatif signé par Tous Migrants, « Droits des personnes exilées aux frontières intérieures : le gouvernement sommé de revoir sa copie », 2 février 2024

(3) Pour plus d’informations, lire notre document « Militarisation et illégalité de la politique à la frontière », annexe de notre document de référence « L’accueil des personnes exilées dans le Briançonnais et dans les Hautes-Alpes ».

(4) Au lieu de recevoir un « refus d’entrée » comme c’était le cas les précédentes années, les personnes non autorisées à entrer sur le territoire français sont dorénavant réadmises en Italie dans le cadre de l’accord de Chambéry de 1997 : accord bilatéral entre l’Italie et la France, permettant à la France de réadmettre en Italie les personnes exilées passées par l’Italie qui ne sont pas autorisées à accéder au territoire français et qui ne demandent pas l’asile en France.

(5) Graves atteintes aux droits à la santé et à l’hébergement d’urgence, réadmissions sans documents officiels, etc.

(6) Dauphiné Libéré, « Trois personnes migrantes secourues dans les hauteurs de Montgenèvre », 3 décembre 2024.

(7) Santé et frontière(s) - Stigmates d’une traversée sur les corps, novembre 2022 – novembre 2023, Médecins du Monde & Tous Migrants.

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