Lors de l’audience du 25 novembre dernier, qui examinait le recours des associations opposées à l’autoroute A69, la rapporteure publique a donné raison aux opposants à la construction de l’A69, en montrant que la dérogation préfectorale aux mesures concernant les espèces protégées n’était pas fondée, mais aussi en battant en brèche l’argument du désenclavement du bassin d’emploi de Castres. A l’issue d’une démonstration juridique implacable, elle a préconisé l’annulation du projet.
Contrairement à cet avis, le 9 décembre, le tribunal administratif de Toulouse a rouvert l’instruction du dossier, retardant de plusieurs mois la possibilité de se prononcer sur la légalité des autorisations environnementales du projet. Une manifestation de réaction à la réouverture de l’instruction a réuni au moins 2000 personnes, ce dimanche 15 décembre à Toulouse. Les organisations engagées contre le projet ont déposé dans la foulée un référé pour exiger la suspension des travaux le temps qu’une nouvelle audience se tienne.
Comment un tel revirement a-t-il été possible ? Le juge, ne pouvant visiblement pas contredire la rapporteure publique sur le plan juridique, s’est vu offrir une porte de sortie par l’Etat. Ce dernier a proposé in extremis de prendre en charge une partie du prix du péage. Pour mémoire, l’Etat subventionne déjà le projet à hauteur de 9 millions d’euros du kilomètre. C’est sur la base de ces "nouveaux éléments", que le juge a pu justifier de réouvrir l’instruction et de reporter sa décision "dans plusieurs mois" – sans laisser la possibilité aux opposants de faire appel. La manœuvre tient du passage en force, puisqu’elle permet une poursuite du chantier d’ici là, ce qui légitime la stratégie du fait accompli du promoteur ATOSCA.
Ce faisant, le juge choisit aussi de fermer les yeux sur la violence de la police, dénoncée par l’ONU. Il donne raison aux « milices pro-autoroute », soutenues localement par l’extrême-droite, qui ont incendié le jardin d’une riveraine opposée au projet, pendant que les défenseurs du vivant sont criminalisés, incarcérés et parfois gravement blessés.
Avec cette non-décision, la justice laisse une langue de bitume et de mensonges se répandre à travers nos vallées.
"Les travaux sont bien avancés, 30% des déblais-remblais et plus de 70% des ouvrages sont effectués", disent les pro-autoroute. La réalité c’est que le chantier a plus d’un an de retard, que le bitume n’est pas encore coulé, que les usines pour le fabriquer ne sont pas encore construites. Tout est encore réversible.
"Une majorité d’élus tarnais sont en faveur de l’A69", affirment-ils encore. En octobre 2023, 900 élus signaient une tribune en soutien à l’A69, ils ne sont plus que 400 en décembre 2024, soit moins de 10% des élus du département.
"L’autoroute est plébiscitée par la population et les entreprises locales", ajoutent-ils. En vérité, d’après l’Ifop, 55% des tarnais et 63% des habitants de Haute-Garonne sont favorables à l’abandon du projet, 80% des tarnais sont favorables à l’organisation d’un référendum local. De nombreuses entreprises tarnaises et toulousaines dénoncent le coût exorbitant du péage et la privatisation de la N126, actuellement publique et gratuite, intégrée au tracé de l’A69.
La réalité, c’est que l’autoroute n’est voulue que par une poignée d’industriels et d’élus. Un club de notables, en discussions de couloir avec l’Etat, uniquement focalisés par les profits économiques que ce projet représente pour eux, mais aveugle aux destructions qu’il provoque. Ayant longtemps caché sa prise de participation dans Atosca, le groupe Pierre Fabre a réagi aux préconisations d’abandon du projet par la rapporteure publique en menaçant de quitter le territoire du Tarn – dont l’entreprise se présente comme le principal bienfaiteur, et à le condamner au chômage, si l’autoroute était annulée.
Comme aux abords de n’importe quelle route, l’A69 comptera son lot de zones industrielles, d’entrepôts, de parkings… Les Soulèvements de la terre s’engagent, partout où ils sont mobilisés, contre la filière béton et ses méfaits : de l’extraction du sable à la destruction des terres agricoles ou zones humides, en passant par le possible financement du terrorisme par Lafarge [pour lequel un procès aura lieu en 2025, NDLR], les nombreux accidents du travail et les multiples pollutions de l’air comme de l’eau.
Au cours des dernières années, le mouvement d’opposition à l’A69 a résisté contre l’avancée des travaux de multiples manières : manifestations massives réunissant des milliers de personnes, ZAD et occupations d’arbres par des "écureuils", recours juridiques, boycott des produits Pierre Fabre et ses entreprises, destructions d’engins de chantier de NGE... C’est cette diversité de gestes qui a permis la construction d’un rapport de force inédit et courageux, auquel les Soulèvements de la terre sont honorés d’avoir participé.
Ce dernier coup de théâtre judiciaire s’ajoute à une longue série. Il permet néanmoins de clarifier une chose : ce projet n’est pas plus justifié juridiquement qu’il ne l’est écologiquement et socialement.
L’A69 est gravement en sursis, et nous espérons que cette nouvelle injustice suscitera la colère et la détermination de lui donner le coup de grâce, comme hier la résistance à Notre-Dame-des-Landes enterra le dernier projet d’aéroport.
A l’heure des gouvernements, eux aussi en sursis, qui ne cessent de revenir sur le droit de l’environnement pour imposer des projets d’aménagements d’un autre temps, les Soulèvements de la terre appellent à un engagement et un soutien national dans cette bataille emblématique !