Une tribune pour les luttes

MANIFESTE

Femmes, hommes, de culture musulmane,

croyants, agnostiques, ou athées…

Article mis en ligne le dimanche 15 février 2004

Nous dénonçons, avec la plus grande vigueur, les déclarations et actes de misogynie, d’homophobie et d’antisémitisme dont nous sommes témoins depuis un certain temps ici en France, et qui se revendiquent de l’islam. Nous voyons se manifester, là, une trilogie caractéristique de l’islamisme politique qui sévit depuis longtemps dans plusieurs de nos pays d’origine, contre lequel nous avons lutté et sommes résolus à lutter encore.

Profondément partisans de l’égalité des droits entre les sexes, nous combattons l’oppression dont sont victimes les femmes soumises aux codes de statut personnel, comme c’est le cas en Algérie (sur ce point, l’avancée récente du Maroc éclaire d’une manière encore plus crue le retard algérien), et parfois même en France, par le biais des conventions bilatérales. Nous sommes convaincus qu’il ne peut y avoir de démocratie sans cette égalité des droits. Et c’est dans cette mesure que nous soutenons, sans ambiguïté, la campagne « 20 ans, barakat ! » (20 ans, ça suffit !) engagée par les associations de femmes algériennes, et qui doit culminer en mars 2004, demandant la suppression définitive du code de la famille, contre lequel elles se battent depuis vingt ans. C’est aussi pour cette raison que nous nous opposons au port du voile islamique, quelle que soit la position de chacun d’entre nous sur l’opportunité d’une loi l’interdisant dans les écoles en France aujourd’hui. Nous avons vu des amies ou des proches mourir en Algérie parce qu’elles refusaient de le porter, et nous nous disons que, s’il est vrai que la floraison actuelle de voiles en France a trouvé un terreau dans les discriminations dont sont victimes les enfants issus de l’immigration, en aucun cas elle n’y a trouvé une cause, et certainement pas un rappel de la mémoire maghrébine : il y a bien, derrière ce prétendu « choix » dont se réclament un certain nombre de filles voilées, une volonté de promouvoir une société politique islamiste, s’appuyant sur une idéologie militante active sur le terrain et affichant des valeurs dont nous ne voulons pas.

Pour les islamistes - comme pour tous les machistes et intégristes -, « être un homme » veut dire avoir le pouvoir sur les femmes, y compris le pouvoir sexuel. À leurs yeux, tout homme qui est pour l’égalité entre les sexes est potentiellement un sous-homme, un « pédé ». Ce mode de pensée est récurrent depuis la montée de l’islamisme politique, et sa férocité n’a d’égal que son hypocrisie. L’un des organisateurs de la manifestation du samedi 17 janvier 2004 en faveur du voile déclare qu’« il est scandaleux que des gens qui se sentent choqués par le foulard ne se sentent pas choqués par l’homosexualité » : pour lui, sans doute, une société vertueuse est une société qui enferme les femmes derrière des voiles, et les homosexuels derrière des barreaux, comme on l’a vu faire en Égypte. On frémit en pensant à ce que ces théories, si elles venaient à triompher, entraîneraient pour les « impudiques », à savoir les femmes non voilées, les homosexuels ou les mécréants. Nous considérons, au contraire, que la reconnaissance de l’existence de l’homosexualité, et la liberté pour les homosexuels de mener leur vie comme ils l’entendent, est un indéniable progrès : à partir du moment où un individu ne contrevient pas aux lois qui protègent les mineurs, les choix sexuels de chacun concernent chacun, et en aucun cas l’État.

Enfin, nous condamnons, avec la plus grande fermeté, les affirmations antisémites dont sont porteurs des discours proférés ces derniers temps au nom de l’islam. Comme les femmes « impudiques » et les homosexuels, les juifs seraient à abattre : « Ils ont tout, et nous rien », a-t-on entendu dans la manifestation du 17 janvier. Nous voyons là, à l’œuvre, l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien par les mouvements intégristes au profit de l’antisémitisme le plus inquiétant. En dépit de notre opposition à la politique menée actuellement par le gouvernement israélien, nous refusons de nourrir une vision archaïque et fantasmatique du « Juif » par l’utilisation d’un conflit historique et réel entre deux peuples ; nous reconnaissons le droit à l’existence d’Israël, comme l’ont fait, successivement, le congrès de l’OLP tenu à Alger en 1988 et le sommet de la Ligue arabe réuni à Beyrouth en 2002 ; et c’est dans cette double reconnaissance que s’inscrit notre engagement aux côtés du peuple palestinien dans son droit de fonder un État et de faire évacuer les Territoires occupés.

Nous sommes conscients que l’islam a été mal reconnu en France, et qu’il manque de lieux de prière, d’aumôneries et de cimetières… Nous sommes également conscients que des jeunes Français issus de l’immigration connaissent un retard considérable dans leur promotion sociale, et une discrimination constatée par tous les observatoires, et que l’idée de laïcité « à la française » a beaucoup perdu de sa valeur pour eux. Face à cette perte de valeur, deux voies se présentent à eux : ou bien retrouver la force d’une laïcité vivante, c’est-à-dire de l’action politique au quotidien pour faire avancer leurs droits et se revendiquer des acquis pour lesquels se sont souvent battus leurs pères et leurs mères, qui appartenaient à des classes sociales, des cultures, des peuples, des nations, avant d’appartenir à l’islam ; ou bien se reconnaître dans une oumma fictive et informatisée, qui n’a plus rien à voir avec les réalités qui les entourent, et qui se drape dans des oripeaux républicains ou tiers-mondistes pour mieux dessiner une société inégalitaire, répressive et intolérante.

Cette seconde voie ne peut être la nôtre.
Signataires

Mohamed Abdi, cadre administratif ; Karima Agmir, responsable associative ; Séverine Aït-Kacemi ; Nadia Aït Si Slimane, infirmière retraitée ; Taos Aït Si Slimane, médiatrice scientifique à la Cité des sciences et des techniques ; Sanhadja Akrouf, éducatrice, militante associative ; Mehdi Allal, consultant ; Tewfik Allal, militant syndical ; Zaki Allal, ingénieur son ; Slimane Amara, responsable associatif ; Soumya Ammar-Khodja, écrivain ; Farid Ammar-Khodja, universitaire ; Nadia Amiri, infirmière, chercheuse ; Hakim Arabdiou, salarié ; Ahmed Assemouh, architecte ; Réda Belkhodja, ingénieur retraité ; Ahmed Benallègue, ingénieur ; Mustapha Benallègue, enseignant chercheur (retraité) ; Louisa Benazzoul, animatrice radio ; Chérif Benbouriche, responsable associatif ; Djamel Eddine Bencheikh, professeur des Universités, écrivain ; Farah Bendada, lycéenne ; Fewzi Benhabib, physicien, enseignant ; Salim Benhabib, ingénieur ; Djamel Benmerad, journaliste ; Farid Bennour, sociologue ; Mohamed Benrabah, professeur d¹Université ; Aziz Bensadek, enseignant ; Zouina Bensadek, enseignante ; Fethi Benslama, écrivain, psychanalyste ; Fadila Bent Abdeslam, médiatrice juridique ; Mohammed Bokhamy, consultant ; Nadir Boumendjel, médecin ; Nadia Châabane, enseignante ; Chahla Chafiq-Beski, écrivain ; Sérénade Chafik, écrivain ; Rebeha Chougui, informaticienne ; Rachid Chougar, médecin, militant associatif ; Zakya Daoud, écrivain ; Ahmed Debbouze, conseiller municipal ; Tassidit Debec, animatrice ; Zineb Doulfikar, assistante sociale ; Mohamed El-Baki, militant syndical, conseiller municipal ; Nadia El-Fani, réalisatrice ; Ahmed El-Kaladi, enseignant-chercheur ; Hassan El-Khabir, enseignant ; Nabile Farès, écrivain, psychanalyste ; Claudine Ginet-Bencheikh, médecin ; Bachir Hadjadj, ingénieur retraité ; Mohammed Harbi, écrivain, historien ; Idir, chanteur ; Safia Iftissen, militante associative ; Kébir Jbil, président du MMLF (Mouvement des Maghrébins laïques de France) ; Hadj Ahmed Khélil, économiste ; Salima Kheloufi, metteur en scène ; Hakim Khoubzaoui, salarié ; Fatima Lalem, sociologue ; Zineb Laouedj, poète, enseignante à Paris-VIII ; Waciny Laredj, romancier, enseignant à Paris-III ; Nadia Liassine, médecin ; Naoual Lledo, ingénieure ; Lotfi Madani, sociologue ; Farouk Mansouri, consultant ; Claudie Martinez-Médiène, enseignante ; Nabil Mehdioui, enseignant ; Nazim Mekbel, fonctionnaire ; Sahra Mekboul, universitaire (CMERSS-Aix-en-Provence) ; Karim Messaoudi, cadre administratif, militant associatif ; Arezki Metref, écrivain ; Dalila Morsly, professeure d¹Université ; Nabila Nachi, ingénieur (ENSA) ; Abderrahim Nejjarine, militant syndical ; Rabah Rabah, mathématicien, enseignant chercheur ; Michel Renard, ancien directeur de la revue " Islam en France " ; Nourredine Saadi, écrivain ; Leïla Sebbar, écrivain ; Meriem Sidhoum Böe, journaliste ; Ali Silem, artiste peintre ; Nasséra Si Mohamed, cadre administratif, militante associative ; Karima Tabouri, enseignante ; Zineb Tamène, avocate ; Nadia Tazi, philosophe ; Aziz Tiberguent, médecin ; Louisa Touati, fonctionnaire ; Houria Yahya-Saouchi, directrice d¹association ; Malek Yazid, coordinateur cyber-base ; Hassane Zerrouky, journaliste.

Pour signer cette pétition : pcmha chez noos.fr
Pour tous contacts et informations : Mehdi Abbane, 06 81 60 65 43

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