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Les luttes contre la société de contrôle et de surveillance

Bracelet d’identification : le SNPI (Syndicat National des Professionnels Infirmiers) saisit le Ministère

Article mis en ligne le jeudi 7 février 2008

Le 14.01.08, lors des voeux du Ministère de la Santé, Thierry Amouroux, le Président du SNPI CFE-CGC a offert son bracelet d’identification à Roselyne Bachelot. La relation soignant-soigné c’est poser les problèmes éthiques là où une technostructure ne voit que des procédures techniques sécuritaires. Voici le courrier joint au bracelet :

Madame la Ministre,

La direction de l’hôpital Saint Louis de l’AP-HP souhaite généraliser
l’identification des malades par des bracelets d’identité. Alors que
l’on parle d’humanisation des hôpitaux, du droit des malades, de la
dignité des personnes hospitalisées, nous sommes particulièrement
choqués par une telle démarche, aussi nous sollicitons votre soutien
.

Certes, cela peut être acceptable, au cas par cas, pour des personnes
incapables de décliner leur identité (nourrissons, déments), sachant
qu’il ne peut y avoir de catégorie particulière (une personne sénile ou
un malade mental qui connaît son nom n’a pas à subir ce genre
d’humiliation), mais que des décisions d’équipe sur une personne donnée.

Mais lorsqu’une personne hospitalisée est capable de décliner son
identité, lui demander de « s’étiqueter » revient à le nier en tant que
personne, à lui faire quitter sa qualité de « sujet, objet de soins »,
pour en faire un « objet des soins. » Agir ainsi pose de réels problèmes
éthiques, et va à l’encontre de la démarche soignante.

Un bracelet d’identification n’est pas un objet neutre, car il renvoie à
l’imaginaire du marquage, variable selon l’histoire personnelle :

- le
bracelet du prisonnier ou du délinquant sexuel, renforcé par le fait que
l’hôpital comporte lui aussi des caractéristiques d’enfermement et de
soumission à un personnel en uniforme (ne dit on pas toujours la
surveillante en parlant du cadre infirmier ?). Une personne a ainsi
demandé à l’infirmière si on l’obligeait à porter ce bracelet parce
qu’elle était séropositive.

- la chosification, renforcée par le fait que
l’étiquette informatisée collée sur le bracelet comporte un numéro
d’identification et un code barre. Lors d’une réunion d’information dans
la cafétéria de Saint Louis, le cadre supérieur chargé du projet a même
indiqué qu’à terme on passerait le lecteur de code barre sur la poche de
sang ou de chimiothérapie, puis sur le bras du malade afin de lire
l’étiquette du bracelet pour vérifier la compatibilité ! Peut on
imaginer que traiter ainsi une personne hospitalisée comme un objet de
consommation ne modifie pas la relation soignant /soigné ?

- l’animalisation, un malade ayant ainsi indiqué à l’infirmière qu¹il
n’était pas un chien, et qu¹il était hors de question qu¹on lui mette un
collier avec son nom. Ce n’est qu’une anecdote, mais pour l’infirmière
qui rencontrait ce patient pour la première fois, cela a altéré
durablement le rapport de confiance, car une gêne s¹était installée
entre eux.

- le marquage des camps de concentration, particulièrement
sensible, dans la mesure où l’hôpital Saint Louis se trouve entre
Belleville et le Sentier.

Une jeune infirmière ne se posait pas de problème par rapport au
bracelet : elle appliquait la consigne de la direction. Jusqu’au jour où
le vieil homme hospitalisé à qui elle demandait de mettre ce bracelet,
avec son étiquette à code barre, l’a regardé, à remonté sa manche, et
lui a dit « Mademoiselle, je n’ai pas besoin de votre bracelet, j’ai
déjà un numéro d’identification de tatoué. » Face à cet ancien déporté,
elle a vécu un grand moment de solitude. Elle n’a jamais pu reprendre en
charge ce patient, car quelque chose était brisé dans la relation
soignant/soigné. Et pour elle, ce bracelet n’est plus une simple
procédure de sécurisation.

A travers ce cas concret d’éthique clinique, chacun peut constater que
la technique modifie la relation de soins. Même en dehors de l’aspect
stigmatisant, le bracelet induit un rapport de docilité, de contrôle, de
soumission, qui va à l’encontre des valeurs du soin. En mettant un
bracelet, un patient ne peut plus être dans un rapport égalitaire avec
le soignant.

Qui plus est, c’est l’infirmière que l’on instrumente pour imposer ce
bracelet, alors qu¹au contraire l’infirmière est là pour défendre la
valeur et la dignité humaine du malade au sein de l’univers hospitalier,
en rappelant qu¹il est en lui-même une fin, c’est-à-dire une personne
que l’on doit respecter, et non une simple chose (organe, pathologie),
dont on peut disposer. De part sa vision globale et ses capacités
relationnelles, l’infirmière permet au malade de conserver son humanité.

Déjà en 2000, dans sa grande sagesse, le Directeur Général de l’époque
avait préféré retirer un tel projet, suite aux réactions des infirmières
qui refusaient de mettre une étiquette avec numéro et code barre au
poignet des personnes hospitalisées, et à la condamnation des groupes de
réflexion de l’Espace Ethique AP-HP.

Aussi, conformément aux recommandations élaborées par les groupes de
réflexion de l’espace Ethique de l’AP-HP « Soin citoyen » et « Soignants
et éthique au quotidien », nous vous demandons de bien vouloir
intervenir pour mettre un terme au projet de généraliser le port d’un
bracelet d’identification, aux personnes hospitalisées capables de
décliner leur identité.

Dans cette attente, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre,
l’expression de notre haute considération.

Thierry Amouroux
Président du Syndicat National des Professionnels Infirmiers
SNPI CFE-CGC

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