Une tribune pour les luttes

Malgré l’intervention des forces de l’ordre , l’occupation du Rectorat de Guyane continue depuis le 20 mai .

Lettre de la délégation au Président de la République

" La pirogue de l’Ecole est prête à couler mais peu importe, pourvu que la fusée décolle ! "

Article mis en ligne le jeudi 5 juin 2008

Monsieur le Président,

En Guyane, sur 10 jeunes d’une classe d’âge, 3 seulement obtiennent leur Bac, 5 sortent du système éducatif sans aucune qualification, plus d’un élève sur deux entre au collège sans maîtriser correctement le français et/ou la lecture, le taux d’échec aux évaluations de CM1/CM2 est de 80%, 3000 enfants ne sont pas scolarisés, 20% des enseignants sont des contractuels avec peu de possibilités de titularisation… Voici résumées brièvement les conséquences désastreuses de décennies d’incurie de l’Etat à l’égard de l’Ecole en Guyane.

Les difficultés que rencontre notre département sont multiples : démographie galopante, taux de chômage record, isolement et éloignement géographique, majorité des élèves n’ayant pas le français comme langue maternelle, scolarisation tardive, manque d’internats et de structures d’accueil, pénurie d’enseignants titulaires, manque d’équipements et d’outils pédagogiques dans les établissements…

Ce constat et cette situation sont parfaitement connus des services de l’Education Nationale. De nombreuses missions se sont déjà rendues en Guyane et ont émis des recommandations souvent restées lettre morte. Les plans se sont succédé sans pour autant apporter d’amélioration significative. La pirogue de l’Ecole est prête à couler mais peu importe, pourvu que la fusée décolle !

La Guyane est-elle condamnée à rester en état de sous-développement éducatif ? Les enseignants ne peuvent l’accepter. Ils ont manifesté leur désaccord et leur colère dès le 28 février, puis le 14 mars lors de l’élaboration des cartes scolaires 1er et 2nd degré en comité technique paritaire. Suite à l’absence de réponse de la part du recteur la mobilisation s’est amplifiée et élargie aux parents d’élèves et lycéens, en particulier dans l’ouest du département, où la situation est spécialement critique ; finalement les élus (présidents des Conseils Général et Régional, députées, sénateur, maires) et de nombreuses composantes de la société civile ont apporté leur soutien au mouvement. Six grèves se sont déjà succédé avec une participation massive et des manifestations sans précédents, un piquet de grève est installé au rectorat jour et nuit depuis le 20 mai. A ces cris de révolte le Recteur ne répond que par un silence méprisant et une absence totale de volonté de dialogue.

Voilà maintenant deux mois que l’ensemble de la communauté éducative de Guyane (hormis le rectorat !) réclame les moyens nécessaires au rattrapage du retard accumulé et à l’accompagnement de l’évolution démographique. Contrairement aux affirmations du Ministre de l’Education Nationale, la Guyane n’a jamais bénéficié de dotations permettant de relever ces deux défis. Les effectifs par classes sont plus élevés que la moyenne nationale avec des conditions de travail beaucoup plus difficiles. Nous convenons que l’augmentation du nombre de postes d’enseignants n’est pas la condition unique pour la réussite des élèves, mais c’est une condition nécessaire, surtout ici. L’innovation et l’expérimentation n’y suffiront pas.

Monsieur le Président, n’avez-vous pas déclaré souvent et répété le lundi 2 juin « qu’il faut donner plus à ceux qui ont moins » ? Ne venez-vous pas d’affirmer ce même jour que « chacun, où qu’il se trouve et d’où qu’il vienne, aura un égal accès au savoir ». N’avez-vous pas fait inscrire dans la loi le droit opposable à l’éducation ? Alors, nous vous prenons au mot : agissez en accord avec vos déclarations et donnez-nous les moyens, comme vous en avez le devoir, de scolariser tous les enfants de Guyane et de leur accorder les mêmes chances de réussite que tous les autres enfants de la République.

A laisser la situation en l’état vous installeriez ici une véritable poudrière. La population guyanaise a déjà démontré par le passé qu’elle était capable de réagir très brutalement face à l’injustice. Les innombrables jeunes laissés sur le bord de la route sans aucune formation ni espérance, livrés à l’illettrisme, l’oisiveté et la rancœur à l’égard d’un système qui ne leur a pas donné leur chance constituent l’étincelle qui pourrait bien mettre le feu aux poudres.

C’est pourquoi nous vous demandons de donner pour mission au Recteur de la Guyane d’ouvrir de véritables négociations et de lui accorder les moyens de réajuster la dotation pour la rentrée 2008 en fonction des réels besoins de l’académie d’une part, et d’autre part de mettre en place une structure permanente, dotée de moyens propres, regroupant toutes les parties prenantes de l’Education en Guyane qui pourrait intervenir à plus long terme sur la politique éducative dans ce département.

Nous vous assurons, Monsieur le Président, de notre attachement sans faille à la qualité du service public d’éducation en Guyane.

A Cayenne, le 5 juin 2008

Pour la délégation académique, Jean-Noël Grandvillemin

VIDEOS DES MANIFS ST LAURENT ET CAYENNE

http://www.dailymotion.com/video/x5o7ze_manif3juin2_news

http://www.youtube.com/watch?v=iABtRScf1xM


Témoignage

Ayant enseigné 8 ans en Guyane je tiens à vous informer sur le
mouvement des enseignants de l’ouest Guyanais qui continuent à occuper
le rectorat de Cayenne depuis 10 JOURS : ils ne se battent pas pour eux
mêmes mais pour les élèves qui sont à plus de 90% non francophones
qu’ils soient ou non français .

Les habitants de saint Laurent sont
majoritairement noirs marrons ; leurs ancêtres venus en esclavage ont
quitté le s plantations des leur arrivée et ils ont vécu en foret jusque
récemment. Leurs enfants ne sont scolarisés que depuis un peu plus d’une décennie où des écoles ont été construites mais il en manque beaucoup
 ; le rectorat reconnait 3000 enfants non scolarisés et ce sont surtout
des enfants étrangers ou noirs marrons . Il y a aussi les enfants
amérindiens qui restent victimes de nombreuses discriminations - dont la
première est l’atteinte neurologique par imprégnation mercurielle liée
à l’orpaillage , privés d’eau potable , d’électricité et de téléphone
au pays de la fusée ! Savez-vous que sur le fleuve les enfants n’ont
pas la possibilité d’avoir des lunettes ?

Or ce sont ces enfants de
l’ouest qui sont les premières victimes des mesures de suppression de
postes qui ont touché avant tout les enseignements spécifiques
dispensés pour les non francophones dont beaucoup sont français . Ces
enseignements ont été mis en place à la suite de la dernière grève de 9
semaines en 2001 conformément aux rapports de deux inspecteurs Hebrard
et Ronchin . Même si les mesures prises après ces rapports ont été
insuffisantes, il y avait au moins un consensus sur les raisons de
l’échec scolaire massif en Guyane qui est actuellement remis en cause .
C’est ce qui explique la colere des enseignants de l’ouest car ils
n’ont pas d’autres choix : les classes d’aide et de soutien dites CLIN
CLANSA OU CLIS sont indispensables dans un département où l’échec
scolaire est massif et les discriminations très nombreuses .

Enfin Sarkozy a clairement dit que la non scolarisation n’était pas un
problème de manques de structures mais était lié aux cultures des
parents ( discours de Camopi ) C’est faux . Des assoc de parents
demandent des constructions d’école comme par exemple dans les
alentours de Saint Laurent du Maroni où un village de 300 habitants avec plus
de la moitié d’enfants n’a toujours pas d’école qu’ils demandent depuis
10 ans - je peux en témoigner - Ils ne sont pas éloignés en forêt mais
sur le bord de la route nationale ; l’électricité passe au dessus de leur
village vieux de 30 ans ; ils n’y ont pas accès ;ils sont saramaka et
ça explique tout ! Des milliers d’enfants de 3, 4 et 5 ans sont sur
liste d’attente faute d’écoles maternelles.

l’Etat abandonne la jeunesse de la Guyane : le nouveau plan etat
région CPER pour 2008 2013 ne donne plus rien pour l’école contrairement
aux deux derniers qui en avaient fait une priorité sans parvenir à
boucler tous les objectifs !( le rapport Ronchin demandait la
construction de 66 classes par an dont à peine la moitié ont été
réalisées ! )

Quant à la poilitique d’Hortefeux elle est aussi aberrante qu’à Mayotte
et entraine beaucoup de souffrances notamment dans une population
transfrontalière comme le sont les Noirs marrons ; il n’ y a plus de
local de rétention à Saint Laurent et aucune application du droit !
merci de soutenir ces enseignants !

N. L.


1er juin 2008

Malgré l’intervention des forces de l’ordre , l’occupation du Rectorat de Guyane continue depuis 10 jours.

CAYENNE (Reuters) - Un collectif d’enseignants en grève campe depuis dix jours sur le parvis du rectorat à Cayenne pour réclamer plus de moyens pour l’école et la venue en Guyane du ministre de l’Education nationale Xavier Darcos.

Cette démarche est soutenue par les syndicats de l’Éducation nationale, les élus locaux et les parlementaires, les parents d’élèves, les lycéens et l’évêque de Guyane.

"En Guyane, la fusée décolle, mais toujours pas l’école", indique une banderole accrochée sur le bâtiment du rectorat, où des enseignants grévistes ont installé leurs hamacs.

"Les effectifs scolarisés augmentent sans cesse dans notre académie, et les moyens ne suivent pas, dans une région multiethnique, avec de nombreux enfants non francophones", explique Stéphane Trouille, professeur d’éducation physique et sportive dans un lycée de Saint Laurent.

Le mouvement de protestation est parti de l’ouest de la Guyane, qui enregistre les taux de réussite les plus bas de l’académie pour le baccalauréat et le brevet, et la plus grande proportion d’enseignants contractuels et d’enfants non francophones dans les classes, issus notamment de l’immigration venue du Surinam voisin.

Dans cette région, selon les grévistes, en 2004, les trois quarts des élèves entrant en sixième ont échoué aux évaluations de français et de mathématiques.

Le rectorat a annoncé la réorganisation des dispositifs d’aide aux élèves, et la création de 25 postes d’enseignants à la rentrée 2008, une dotation jugée insuffisante par les grévistes pour faire face à la démographie scolaire, dans un département où la moitié de la population a moins de 25 ans, et croit de 3,8 % par an, sous la pression de l’immigration et de la natalité.

Depuis dix jours, la plupart des établissements scolaires de Guyane fonctionnent mais sont perturbés par le mouvement, qui a culminé mardi par une manifestation de plus d’un millier de personnes dans les rues de Cayenne.

"Je ne suis pas certain que vous ayez saisi l’acuité du cri qui est monté jusqu’à vous", écrit Mgr Emmanuel Laffont, l’évêque de Guyane, dans un courrier adressé à Xavier Darcos.


Envoyer nos soutiens :

http://pouruneecoledequaliteenguyane.travelblog.fr/

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Répression c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 1265