Depuis l’été 2007, plus de 200 ouvriers étrangers de l’agriculture des Bouches-du-Rhône, en situation administrative parfaitement régulière au titre de "saisonniers", ont engagé des démarches administratives et juridiques pour se voir reconnaître pour ce qu’ils sont en réalité : des travailleurs à titre permanent qui doivent donc bénéficier d’un droit de séjour également permanent après de très nombreuses périodes de travail de plus de 6 mois dans les serres et les vergers au cours des années passées.
Tout est parti de la décision du Tribunal administratif de Marseille du 8 février 2007 enjoignant au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer une carte de résident à Monsieur Aït Baloua, « saisonnier » marocain qui cumulait plus de 15 années de travail en France répartie sur 23 ans et interrompues chaque année par une retour obligatoire au pays.
Pour le millier de pseudo-saisonniers dans une situation analogue, cette décision a révélé la force du droit et la possibilité d’obtenir de la justice ce que la préfecture refuse de prendre en considération. En l’occurrence, le fait que lorsqu’on est employé sur une exploitation agricole huit mois par an, pendant plusieurs années consécutives, on doit être considéré comme un ouvrier à titre permanent et non comme un oiseau de passage venu compléter l’effectif pour des tâches saisonnières ; ou encore le fait que lorsqu’on vient six mois par ans, pendant plus de dix ans, contribuer au maintien d’une agriculture « compétitive », on est partie intégrante de la société rurale.
Plus de 600 de ces ouvriers se sont informés des démarches possibles pour que ces réalités se traduisent par l’attribution de « vrais » titre de séjour et plus d’un tiers d’entre eux ont engagé ces démarches dès l’été 2007 en disant en substance au préfet : « je suis un travailleur à titre permanent et, par conséquent, je vous demande de renouveler mon autorisation de travail (qui implique l’attribution d’une carte de séjour temporaire "salarié") ou, à défaut, de m’attribuer une carte de séjour "vie privée et familiale" au regard de divers éléments exceptionnels de ma situation (durée du séjour en France, contribution à l’économie locale, etc). » Ces demandes ont toutes été refusées, la plupart implicitement en l’absence de réponse dans les délais réglementaires.
Avec l’appui du Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture et le concours d’un groupe d’une quinzaine d’avocats des barreaux de Marseille et d’Aix-en-Provence, les ouvriers concernés ont donc demandé au Tribunal administratif de Marseille d’annuler cette décision de refus et d’enjoindre au préfet de réexaminer leur demande.
Ces demandes étaient accompagnées de recours en référé pour obtenir rapidement la suspension de la décision en attendant le jugement au fond.
Une première ordonnance de suspension a été prononcée le 29 octobre 2007 en faveur de Monsieur Zaaraoui. Puis, 23 ordonnances de suspension ont été prononcées le 26 mars 2008 en faveur des 23 ouvriers dont les recours avaient été déposés collectivement par leurs avocats le 19 février. Chaque ordonnance obligeait le préfet à délivrer une autorisation provisoire de séjour à l’ouvrier et à payer 1000 € .
Le collectif des avocats déposait une seconde vague de recours (au fond et en référé) le 8 avril 2008. Les recours en référé ont été rejetés le 30 avril au motif qu’il n’y avait plus d’urgence à statuer sur la suspension puisque la préfecture s’était engagée, la veille de l’audience du 29 avril, à fournir immédiatement une autorisation provisoire de séjour et à convoquer les intéressés en vue d’un examen de situation. Le premier rendez-vous pour 4 ouvriers a eu lieu le 15 mai 2008. Il a fait apparaître que, sous le contrôle direct du ministère de l’Immigration, la préfecture visait à écarter l’urgence à statuer (pour ne pas se voir contrainte à payer 1 000 € par dossier) mais surtout à assimiler les ouvriers étrangers de l’agriculture des Bouches-du-Rhône à des sans-papiers qui demanderaient une régularisation exceptionnelle et écarter ceux dont les employeurs ne seraient pas prêts à leur établir un contrat de travail à durée indéterminée.
Cette réaction de l’administration renvoie à l’actualité d’une autre lutte de travailleurs étrangers.
Depuis le 15 avril, plusieurs centaines d’entre eux, employés dans des entreprises de la région parisienne, ont décidé de se mettre en grève. Actuellement "sans papiers", au sens précis de sans droit au séjour en France, ils entendent forcer l’administration à leur délivrer un titre de séjour « salarié » conforme à leur situation réelle de travailleurs indispensables au bon fonctionnement économique de certaines entreprises, comme en attestent ouvertement plusieurs de leurs employeurs. Ce combat utilise une modalité de l’action syndicale (la grève) pour faire « plier », non pas leurs employeurs (dont certains, paradoxalement, soutiennent le mouvement), mais le ministre de l’Immigration.
L’amalgame que vise la préfecture des Bouches-du-Rhône est inacceptable pour deux raisons principales :
- les situations administratives et professionnelle des travailleurs sont très différentes. Les ouvriers agricoles sont parfaitement en règle vis à vis du droit au séjour mais sont enfermés dans un statut de saisonniers à vie d’une extrême précarité tandis que les grévistes disposent de contrats de travail pérennes (souvent des CDI) alors qu’ils n’ont pas de titre de séjour ;
- concernant les ouvriers agricoles, l’administration est directement responsable de leur précarité pour avoir permis, au mépris du Code du travail, que leurs contrats de saisonniers soient systématiquement prolongés au-delà de six mois pendant de nombreuses années. Cette infraction est indiscutable ; elle est décrite en détail dans des rapports d’inspection de l’administration elle-même !
Ceci étant, les deux combats présentent plusieurs point communs :
- ils sont menés par des représentants exemplaires de l’immigration « choisie » pour résoudre à moindre frais les difficultés de recrutement et satisfaire aux impératifs de flexibilité des entreprises ;
- ces personnes sont animées de motivations identiques : sortir de l’ombre et de la servitude qu’elle camoufle, exiger l’égalité des droits et le strict respect de la législation du travail ;
- elles ont la même exigence : un droit au séjour stable, conforme à leur statut réel de travailleurs à titre permanent ;
- il s’agit de revendications nombreuses organisées collectivement et non de quelques cas individuels.
Pour toutes ces raisons, même si le traitement des demandes doit se faire individuellement (ce qui est une règle protectrice de droit commun), il exige des directives globales et appropriées aux situations.
Le ministère de l’Immigration est au pied du mur.
CODETRAS 6 juin 2008