Une tribune pour les luttes

Le G8 prélude à nouveau gouvernement mondial ?

Article mis en ligne le dimanche 13 juillet 2008

"Nous querellons les miséreux pour mieux nous dispenser de les plaindre"

Vauvenargues

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Alger

Qu’est ce que le G 8 ?
Le Groupe des huit (G8) est un groupe de discussion et de partenariat économique de huit pays parmi les plus puissants économiquement du monde : ensemble, les pays du G8 représentent 61% de l´économie mondiale. D´abord G6 à sa création en 1975 à l´initiative de Giscard d´Estaing dans le sillage de la création de l´AIE pour contrer l´influence des Arabes et de leur pétrole. Giscard avait proposé, aux Grands de l´époque, d´échanger leur point de vue en dehors de tout cadre légal des Nations unies. Ce fut ensuite le G7 (Canada en 1976), le groupe s´est élargi à la Russie en 1998 (G8). Plusieurs membres du G8 plaident pour un élargissement du G8 pour inclure la Chine, l´Inde, le Brésil, le Mexique et l´Afrique du Sud. Ce qui deviendrait le G13. Depuis le processus de Heiligendamm, du nom du Sommet de Juin 2007. Invités jusqu´ici au cas par cas, les "cinq" (Afrique du Sud, Brésil, Chine, Inde et Mexique) seront désormais associés aux grands débats du G8 sur les thèmes cruciaux comme le climat. Mais c´est à l´Ocde que le G8 laisse le soin d´assurer la liaison. Nous voyons s´installer graduellement un nouveau gouvernement mondial où ne seront invités à la table des "Grands" que quelques-uns parmi les pays émergents. Ce gouvernement mondial s´appuie sur des bras armés : pour le développement en général ce sera l´Ocde et l´AIE, pour la finance ce sera le FMI et la Banque mondiale. Pour le commerce, ce sera l´OMC, et malgré la présence de la Russie, pour la force ce sera l´Otan. Au total, une quinzaine de pays décident du sort du monde en dehors de tout mandat. C´est dire si le reste du monde constitue un butin que les pays industrialisés se partagent en jetant des miettes.

Pour le journal finlandais Hufvudstadsbladet : "Le G8 est censé rassembler les huit pays les plus riches du monde. Toutefois, ce n´est pas tout à fait le cas. Selon la liste dressée en 2005 par le FMI, qui prend en compte le produit intérieur brut, les Etats-Unis se classent certes en tête. Le numéro deux (la Chine) et le numéro quatre (l´Inde) sont absents du G8. Le Sommet réunit encore moins les huit pays les plus riches du monde en vertu du PIB par habitant. Sinon, le groupe aurait été composé du Luxembourg, de la Norvège, de la Suisse, du Danemark, de l´Islande, des Etats-Unis, des Bermudes et de la Suède." [1]

Les principales décisions du 34e Sommet prises mardi 8 juillet par les dirigeants du G8 réunis au Japon, contiennent deux volets : l´un politique, l´autre économique. Ainsi, les chefs d´Etat et de gouvernement du G8 ont "pris note des progrès réalisés depuis l´an dernier par le biais des pourparlers à six", sur le nucléaire nord-coréen, qui réunissent les deux Corées, les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la Russie. Par contre, pour le nucléaire iranien, les dirigeants du G8 ont exhorté l´Iran à "suspendre toute activité liée à l´enrichissement d´uranium", de travailler avec l´AIE, et à "répondre positivement" aux dernières offres de la communauté internationale.
Le changement climatique s´est invité : Les dirigeants des huit pays les plus industrialisés se sont engagés à ce que les émissions mondiales soient divisées au moins par deux d´ici à 2050, dégageant ainsi la route aux négociations de l´ONU vers un accord global à la fin 2009. Ces efforts restent largement insuffisants, de même que pour certaines ONG : "A ce rythme, le monde sera cuit en 2050", estime Oxfam. A eux seuls, les seize pays (G8, Chine, Inde, Afrique du Sud, Brésil, Mexique, Corée du Sud, Indonésie et Australie) représentent 80% des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2). Les pays en développement, dont la Chine et l´Inde, estiment qu´il revient aux pays riches d´assumer la plus grande part du fardeau concernant la réduction des émissions de GES dans le cadre du nouveau plan d´action international appelé à remplacer le protocole de Kyoto, qui expire en 2012. Les discussions sur ce nouvel instrument sont censées se conclure à Copenhague en décembre 2009. D´un côté, on parlera du réchauffement climatique et de la nécessité de réduire les émissions de GES d´au moins de 50% d´ici à 2050. De l´autre, on accuse les prix élevés de créer un désordre économique en demandant, de ce fait, d´une façon musclée, d´augmenter la production. L´Arabie Saoudite l´a fait. Les 500.000 barils /j au lieu de ralentir le prix du baril l´ont propulsé de 8 dollars. C´est à se demander ce que veulent réellement les pays industrialisés en ne saisissant pas cette chance pour développer les énergies alternatives.

L´envolée des prix du pétrole, des autres matières premières et des produits alimentaires a figuré également à l´ordre du jour très chargé du Sommet. Ainsi et bien que le G8 soit discret sur cette question, entre 2002 et février 2008, la production et l´utilisation de biocarburants ont contribué à une flambée des prix des denrées alimentaires, révèle une étude confidentielle de la Banque mondiale publiée vendredi 4 juillet par le quotidien britannique The Guardian. "Sans l´augmentation des biocarburants, les stocks mondiaux de blé et de maïs n´auraient jamais chuté aussi sensiblement et la hausse des prix due à d´autres facteurs aurait été modérée", peut-on lire dans le rapport rendu en avril aux responsables de la Banque mondiale.

S´agissant justement de l´aide à l´Afrique, les pays riches du G8 ont promis de débloquer 60 milliards de dollars en cinq ans pour lutter contre le sida et la malaria, démentant d´insistantes rumeurs selon lesquelles ils allaient se dédire. De plus, Le G8 a confirmé son engagement pris au Sommet de Gleneagles (Ecosse), en 2005, d´accroître de 25 milliards de dollars par an son aide au développement pour l´Afrique d´ici 2010. Pour ce qui est de la crise alimentaire, les dirigeants du G8 ont fait par de leur préoccupation sans toutefois annoncer de nouvelles mesures financières pour les pays les plus touchés par la crise alimentaire.

En réalité, pour ce qui est de l´aide officielle au développement, Oxfam indique que l´augmentation de 60 milliards de dollars annoncée pour le VIH/sida, inclut une bonne part des niveaux de dépenses existants et est largement insuffisante pour remettre le G8 sur les rails en matière d´aide globale. Selon les calculs d´Oxfam, qui tient pour acquis que l´argent sera versé sur 5 ans, l´augmentation de l´aide globale n´aura atteint que 23 milliards de dollars en 2010, alors que le G8 avait promis une augmentation de 50 milliards à Gleneagles (Angleterre) en 2005. En dollars constants, il s´agissait de faire passer l´aide publique au développement (APD) de 80 à 130 milliards de dollars. Entre 2006 et 2007, l´aide publique au développement a baissé de 8,4%. Les objectifs ne seront pas atteints. Comparons cette aide tant convoitée de 50 milliards de dollars au marché des armes, qui est de 1200 milliards de dollars, vendues justement par les pays du G8 aux PVD qui s´endettent pour s´entretuer. Cette aide représente à peine 4%. De plus, on estime les dépenses publicitaires mondiales à 385 milliards de dollars US. La France a dépensé en publicité, en 2006, 22 milliards d´euros soit l´équivalent de l´aide promise à l´Afrique. Les pays développés font l´aumône d´une main et reprennent d´une autre le double à travers les dettes, ce qui fait que ces pays ont des systèmes éducatifs défaillants et de santé approximatifs.

Pour le site Attac, lors du G8 les Chefs d´Etat et de gouvernement, testent leurs aptitudes à proposer des méthodes pour exploiter les pays pauvres ou moins développés. Contrairement aux dires des dirigeants du G8, qui prétendent aller dans le sens des intérêts de ce monde, l´opinion publique internationale se demande comment un Sommet qui dépense 280 millions de dollars, rien que pour son organisation, pourrait se soucier des pays pauvres. "Nous ne devons pas les laisser fuir leurs promesses", a déclaré le militant de l´organisation britannique Oxfam, Max Lawson. Selon lui, 25 milliards de dollars "sont de la roupie de sansonnet pour eux, alors que pour les pays africains c´est une question de vie ou de mort".

"Trois ans après le sommet du G8 de Gleneagles, écrit Marc Roche, les pays riches n´ont pas tenu leurs engagements en faveur de l´Afrique : tel est le constat de l´Africa Progress Report (APR) dans un rapport alarmiste, publié lundi 16 juin ; lors du Sommet de Gleneagles, les participants s´étaient engagés à procurer à l´Afrique, une aide directe supplémentaire au développement de 25 milliards de dollars (16,2 milliards d´euros). Le G8 était également mandaté pour examiner le doublement de cette dotation au cours de la prochaine décennie.

Chargé du suivi de cette résolution, l´Africa Progress Report, présidé par Kofi Annan, ancien secrétaire général de l´ONU, regroupe onze personnalités très engagées en faveur du continent noir, à l´instar de Tony Blair, l´ex-Premier ministre britannique, du rocker Bob Geldof, de Graça Machel, épouse de Nelson Mandela, ou de Michel Camdessus, ancien directeur du Fonds monétaire international... Le rapport identifie un déficit de 40 milliards de dollars (25,9 milliards d´euros) dans l´aide nécessaire qui devrait être apportée pour atteindre les objectifs de Gleneagles. "L´Afrique a accompli des progrès importants au cours de ces dernières années. Toutefois, la crise alimentaire actuelle menace d´anéantir une bonne partie de ces progrès durement acquis. Avec 100 millions de personnes sur le point de tomber dans une pauvreté abjecte, le coût des denrées alimentaires ne se calculera pas en prix du blé ou du riz, mais en nombre croissant de décès de nourrissons et d´enfants dans toute l´Afrique."D´après l´ONG britannique Oxfam, cinq millions d´Africains sont menacés de mort dans les années qui viennent. "A échéance de vingt ans, l´Afrique pourrait être un continent autosuffisant en matière énergétique, compte tenu de ses immenses réserves en énergies renouvelables" : comme l´indique M.Camdessus, le document met en exergue le potentiel "vert" d´un continent doté de vastes ressources d´hydroélectricité, de géothermie, d´énergie solaire et éolienne" [2].

Preuve s´il en est de la tentative de faire entendre une autre voix celles des sans voix mais pas sans droits, la 11e réunion des ministres des Affaires étrangères des huit pays islamiques en développement (D8) s´est ouverte, aujourd´hui, dimanche 6 juillet. Les huit pays islamiques en développement (D8) doivent réorienter leur politique vers un renforcement de la coopération, a déclaré le ministre malaisien des Affaires étrangères Rais Yatim. Dans cet ordre d´idée, plusieurs centaines de personnes venues du monde entier ont participé à Katibougou (Mali) à l´ouverture d´un "sommet des pauvres", organisé par des altermondialistes parallèlement au Sommet du G8 au Japon, comme le contrepoint du Sommet du G8 et demandent l´annulation de la dette.

S´agissant de l´aide aux pays pauvres, dans la discrétion la plus totale, l´Opep a mis en place un programme d´aide aux pays les plus pauvres. "Les pays membres de l´Opep atteignent ou dépassent généralement les objectifs fixés par l´ONU en matière d´aide au développement", déclare le directeur général du Fonds de l´Opep, le Nigérian Seyyid Abdulai. Le roi d´Arabie Saoudite a appelé cette institution à inviter l´Opep à lancer un nouveau programme d´aide d´un milliard de dollars pour aider les pays en voie de développement. [3]

De plus, Hugo Chavez a proposé que les pays-membres de l´OPEP mettent sur pied un système permettant de vendre du pétrole aux pays pauvres à un prix considérablement moins élevé que celui du marché. "Je vendrais du pétrole à un pays riche pour 100 dollars (68,50 euros), et à un pays pauvre, peut-être pour 20 dollars (14 euros)" le baril, a déclaré le président lors d´un entretien diffusé par la télévision publique vénézuélienne.
Désillusion.

Le Sommet du G8 sert-il encore à quelque chose ? Oui, répond Michel Aglietta professeur à Paris X, : " Il représente toujours la moitié de l´économie mondiale." "Si la montée en puissance des grands pays émergents a rogné leur poids, ces pays du G8 pèsent encore la moitié du PIB mondial. Le G8 reste donc un forum de discussion important. Les pays émergents, qui dépendaient pour leur développement des prêts des vieux pays industrialisés, sont aujourd´hui créditeurs. Ils refusent désormais de passer sous les fourches caudines des institutions de Bretton Woods, véritable bras armé du G8. Il est aujourd´hui impossible de prétendre s´attaquer aux grands déséquilibres mondiaux sans y associer la Chine" [4].

"Non, pense Jacques Cossart, secrétaire général d´Attac...un cénacle sans légitimité qui engage pourtant la planète." "Le G8 se comporte comme une institution internationale alors que seule l´Organisation des Nations unies (ONU) dispose de la légitimité nécessaire pour engager le monde dans telle ou telle direction. C´est pourtant au G8 que se définissent les politiques conduites par les institutions de Bretton Woods, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Car si seuls les pays les plus riches décident comment doit fonctionner le monde, cela s´apparente à du néocolonialisme."

L´analyse du professeur Bertrand Badie postule "qu´il est en effet raisonnable de se demander aujourd´hui à quoi sert le G8. La question même de son utilité se trouve posée de manière aiguë. Aujourd´hui, le monde a changé en une mondialisation affichée, et un jeu de puissance incertain. Le G8 conduit à se poser de façon obsessionnelle la question de sa dimension. A côté des 8, apparaît un G13 (G8+Afrique du Sud, Chine, Inde, Brésil, Mexique), tandis que pointe un G13+3 (Corée du Sud, Australie, Indonésie). Chaque année, le sommet du G8 s´accompagne d´un contre-sommet contestataire... A mon sens, on assiste à la troisième étape du mouvement : celle de la désillusion mais aussi de la réorganisation de la contestation autour de formes nouvelles, comme les forums sociaux, qui montrent que le mouvement protestataire a pris son autonomie" [5].

Pour conclure on ne peut que donner crédit à la boutade de Jacques Chirac ; les pays africains ont du mouron à se faire à moins de ne compter définitivement que sur leur propre force. Kofi Annan a bien raison de dire en vrai connaisseur du sérail que le G8 a fait le minimum loin de toute générosité envers les damnés de la Terre. Assurément le G8 s’achemine inexorablement vers la prise en otage de la Terre qui sera de plus en plus inhospitalière envers les plus démunis.

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique Alger

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Notes

[1Le vrai visage du G8 : Articles repris par Courrier international 6.06.2007.

[2Marc Roche Le G8 ne tient pas ses promesses. Le Monde 17.06.08.

[4À quoi sert le G8 ? interview La Tribune - 06/06/07.

[5Bertrand Badie Interview par Sarah Halifa-Legrand Le Nouvelobs.fr
le lundi 7 juillet 2007

[6Le vrai visage du G8 : Articles repris par Courrier international 6.06.2007.

[7Marc Roche Le G8 ne tient pas ses promesses. Le Monde 17.06.08.

[9À quoi sert le G8 ? interview La Tribune - 06/06/07.

[10Bertrand Badie Interview par Sarah Halifa-Legrand Le Nouvelobs.fr
le lundi 7 juillet 2007

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