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Droits de l’Homme : quand l’Europe fait la leçon à la France

+ Le rapport du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe sur la situation française

Article mis en ligne le jeudi 20 novembre 2008

Le rapport du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe sur la situation française a été rendu public ce matin. Il dresse un état des lieux sans concessions et formule 22 recommandations sur les mécanismes de protection des droits de l’homme, le respect effectif des droits des détenus, la justice des mineurs, la protection des droits de l’homme dans le contexte de l’immigration et la protection des droits fondamentaux des gens du voyage et des Roms.

Il appelle ainsi « les autorités françaises à apporter une réponse immédiate aux conditions inacceptables de détention des détenus, contraints de vivre dans des cellules surpeuplées, souvent vétustes et aux conditions d’hygiène inacceptables ». En particulier, le Commissaire aux droits de l’Homme précise que « la réforme en cours de la loi pénitentiaire ne doit pas éluder les questions du maintien des liens et contacts familiaux, l’accès aux prestations sociales, du droit de vote en prison, du travail équitablement rémunéré ou de la réduction substantielle de la durée de placement en quartier disciplinaire » et « invite les autorités françaises à reconnaître de nouveau l’encellulement individuel comme un droit pour tous les prévenus ». Le commissaire se déclare en outre « préoccupé quant au risque d’arbitraire qui découle de l’appréciation de la dangerosité dans le cadre de la rétention de sûreté ».

Concernant la justice des mineurs il rappelle clairement que « l’action éducative doit primer sur toute forme de répression » et « déplore les évolutions législatives permettant de porter atteinte à l’excuse de minorité ». Le Commissaire considère en outre que « l’âge auquel des sanctions pénales peuvent être prises devrait être relevé et non abaissé »

Au chapitre de l’immigration et du droit d’asile, le Commissaire incite les « autorités françaises à revoir de façon critique l’ensemble des conditions prévalant dans les centres de rétention et à les humaniser ». Plus gravement, il invite la France à renoncer à certaines pratiques : détention de mineurs de moins de treize ans dans les centres, mise en place des quotas, arrestations d’étrangers dans ou autour des écoles et des préfectures, interpellation de passagers ayant pacifiquement protesté lors d’un retour forcé sur un vol commercial.

Le Syndicat de la magistrature déplore que les politiques actuelles du gouvernement vis-à-vis des détenus, des mineurs et des étrangers soient à l’exact opposé de ce qui est recommandé par le Commissaire aux droits de l’Homme.

Il exige que les autorités françaises se conforment sans délai aux propositions du commissaire européen et souhaite que le gouvernement ne réserve pas à ce rapport la même indifférence polie qu’il avait affichée lors de la parution d’un précédent rapport en 2006.



Sans-papiers, prisons : le Conseil de l’Europe étrille la France

LEMONDE.FR | 20.11.08

France, pays des droits de l’homme ? Le rapport du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, présenté jeudi 20 novembre, invite à nouveau à poser la question, notamment en ce qui concerne les détenus et les étrangers. Ce texte fait suite à la visite en France du commissaire, du 21 au 23 mai.


Immigration et politique du chiffre.
S’alarmant des conséquences d’une politique "centrée sur la réalisation de chiffres", le commissaire appelle sans détour le gouvernement à "ne plus recourir à la détermination du nombre de migrants à reconduire". La pression engendrée par une telle politique pousse les forces de l’ordre à procéder à "de plus en plus d’interpellations avec des méthodes parfois contestables", comme des contrôles "au faciès", constate-t-il. Pour "exceptionnelles" qu’elles soient encore, ces "pratiques illégales démontrent l’impact que peut avoir une politique où le quantitatif prime parfois sur la nécessaire obligation de respecter les droits des individus."

Et M. Hammarberg de s’alarmer des arrestations qui, en dépit d’instructions donnée par le ministre de l’immigration, ont eu lieu dans l’enceinte même d’écoles et de préfectures. Des lieux qui, relève-t-il, "devraient être des lieux protégés où aucun étranger ne devrait pouvoir être interpellé". "Il est à craindre, insiste le commissaire, que les services administratifs, confrontés à une obligation de résultat quant aux objectifs de retour, appliquent la loi d’une manière de plus en plus mécanique et sous un angle plus répressif ne leur permettant souvent plus de mesurer la réalité des situations humaines derrière chaque dossier."([La Cimade a par ailleurs recensé environ 600 interpellations aux guichets des préfectures l’année dernière. "Nombre de personnes rencontrées ont été interpellées alors qu’elles étaient établies depuis plusieurs années en France, qu’elles travaillaient - souvent dans des sociétés industrielles réputées - et subvenaient à leurs besoins, ne se considérant pas comme une menace pour la société", note le commissaire.])

Régularisations. L’absence, depuis 2006, de tout texte définissant "précisément les critères et les preuves à apporter" pour bénéficier d’une régularisation, "accroît le caractère potentiellement arbitraire" de ce processus, relève le commissaire qui constate "une diminution importante du nombre de personnes régularisées" depuis la suppression du dispositif de régularisation après dix années de résidence en France.


Centres de rétention
. Le commissaire s’alarme du caractère "déshumanisé" persistant de certains centres qui accueillent les immigrés en situation irrégulière. Les vives tensions dont a été le théâtre celui de Vincennes doivent inciter les autorités françaises à "revoir de façon critique l’ensemble des conditions prévalant dans les centres et à les humaniser". Aussi, constatant l’accroissement du nombre d’enfants en rétention, M. Hammarberg déplore que "les problèmes juridiques et humains" qui en découlent soient "totalement sous-évalués par les autorités françaises".


Surpopulation carcérale
. Le commissaire appelle le gouvernement à "répondre immédiatement aux conditions inacceptables de détention des détenus contraints de vivre dans des cellules surpeuplées et souvent vétustes". L’accroissement de la population carcérale est dû "principalement" au "durcissement des peines prononcées", observe-t-il, relevant que depuis 2002, "une série de lois a modifié la politique pénale en accentuant sa dimension répressive".

"Sept détenus sur dix sont écroués dans des établissements surpeuplés", s’alarme en outre le commissaire. Or, "toute surpopulation engendre automatiquement une carence en terme de surveillants, de travailleurs sociaux ou de personnel administratif". Pour lui, "détenus et personnels subissent tous les dysfonctionnements de la gestion pénitentiaire française".

Les réponses du gouvernement au problème ne satisfont pas pleinement M. Hammarberg. La création de 13 000 places supplémentaires d’ici 2012 est insuffisante car la création de nouvelles places n’est pas "propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement". Il déplore que les travailleurs sociaux soient "en sous-effectif flagrant et les moyens à leurs dispositions insuffisants".

Rétention de sûreté. Le commissaire demande "une extrême précaution dans l’application de la rétention de sûreté", qui prévoit l’enfermement des criminels dangereux une fois qu’ils ont purgé leur peine. Elle ne doit pas "mener à un emprisonnement perpétuel". Il redoute "le risque d’arbitraire qui découle de l’appréciation de la dangerosité du criminel", constatant que "la France semble manquer d’outils pour évaluer avec précision cette dangerosité". "La logique du risque zéro ne devrait pas devenir la règle, au détriment des libertés individuelles."

Mineurs. Thomas Hammarberg s’inquiète du "durcissement de la justice juvénile qui se caractérise notamment par l’instauration de peines planchers" pour les mineurs. "Le problème des jeunes délinquants ne sera pas résolu par des peines plus dures", explique-t-il. Son avis sur les établissements pour mineurs est "globalement positif", mais il constate qu’une minorité d’enfants sont emprisonnés dans ces établissements, qui sont déjà aux prises avec un manque de moyens. A Meyzieu, le commissaire a constaté que "les activités extrascolaires, bien que louées par l’encadrement et les enfants, avaient été supprimées faute de moyens".

Alain Salles et Laetitia Van Eeckhout


Thomas Hammarberg : "La France ne donne pas l’exemple"

LEMONDE.FR | 20.11.08

Thomas Hammarberg, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, trois ans après la parution du rapport très sévère de votre prédecesseur Alvaro Gil-Roblès, estimez-vous que des progrès importants ont été faits dans le domaine des droits de l’homme en France ?

Je dois malheureusement reconnaître que je suis très déçu. Ce rapport a été largement diffusé et je pensais qu’il aurait conduit à d’authentiques changements. Ce n’est pas le cas. La France est un pays important en Europe. Les autres pays suivent son exemple. Elle devrait montrer la voie, mais elle ne donne pas l’exemple en matière de droits de l’homme.

Les principaux problèmes demeurent. A commencer par la surpopulation carcérale et tous les problèmes qu’elle entraîne dans les prisons. Si l’on veut voir du changement, il faut mener une politique active d’alternatives à la prison, en créant de nouvelles structures et en donnant des moyens à celles qui existent. Je suis extrêmement choqué par le grand nombre de suicides dans les prisons françaises. Il y a en moyenne deux suicides par semaine. Ils sont dus à des raisons personnelles, parfois, mais aussi aux mauvaises conditions de détention. C’est inacceptable.

J’espère que la création du contrôleur général des lieux privatifs de liberté est la première étape d’un vrai changement du gouvernement français sur les prisons.

Vous demandez au gouvernement à mettre fin à sa politique du chiffre en matière d’immigration. Pourquoi ?

Il faut prendre en compte les cas individuels, pas les chiffres. L’approche des quotas est une méthode dure, qui peut conduire à des dérapages. A la fin de l’année, pour atteindre les quotas, on assiste à des arrestations qui ne respectent pas les procédures, comme les interpellations près des écoles ou dans les préfectures. Il faut revenir à des politiques plus humaines et à un traitement décent des personnes.

L’instauration de la rétention de sûreté, qui prévoit l’enfermement des criminels dangereux une fois qu’ils ont purgé leur peine, vous inquiète.

C’est une question d’autorité de la loi. C’est crucial. Je partage l’opinion de Robert Badinter : vous ne pouvez pas maintenir quelqu’un enfermé sans jugement. La France doit faire preuve de prudence dans l’application de cette loi. C’est d’autant plus sensible que le problème se pose dans d’autres pays.

Propos recueillis par Alain Salles et Laetitia Van Eeckhout


MEMORANDUM de Thomas Hammarberg Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe faisant suite à sa visite en France du 21 au 23 mai 2008 Domaines analysés : Mécanismes de protection des droits de l’homme, prisons, justice juvénile, immigration et asile, Gens du voyage et Roms

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