Une tribune pour les luttes

Sarkozy ou le triomphe d’une histoire apologétique de la colonisation

par Olivier Le Cour Grandmaison

Article mis en ligne le jeudi 10 mai 2007

Cet article est paru initialement sur le site de MPE www.mouvement-egalite.org/

« Le rêve européen a besoin du rêve méditerranée. Il s’est rétréci quand s’est
brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes
de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire
et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte,
de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve ne fut pas tant un
rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. »

Après cette énumération supposée rendre compte d’une glorieuse tradition
incarnée par la France depuis des siècles et inlassablement défendue par
tous ceux qui furent soucieux de défendre son rayonnement, le même ajoute :
« Faire une politique de civilisation comme le voulaient les philosophes des
Lumières, comme essayaient de le faire les Républicains du temps de Jules
Ferry. Faire une politique de civilisation pour répondre à la crise d’identité,
à la crise morale, au désarroi face à la mondialisation. Faire une politique
de civilisation, voilà à quoi nous incite la Méditerranée où tout fût
toujours grand, les passions aussi bien que les crimes, où ne rien fut
jamais médiocre, où même les Républiques marchandes brillèrent dans le ciel
de l’art et de la pensée, où le génie humain s’éleva si haut qu’il est
impossible de se résigner à croire que la source en est définitivement
tarie. La source n’est pas tarie. Il suffit d’unir nos forces et tout
recommencera. »

Quel est auteur de ces lignes qui se veulent inspirées alors qu’elles ne
font que reprendre la plus commune des vulgates destinée à légitimer les « 
aventures » coloniales de la France ? Un ministre des Colonies de la
Troisième République ? Un membre de la défunte Académie des « sciences
coloniales » ? Un nostalgique de l’Algérie française qui les aurait rédigées
pour prononcer un discours destiné à célébrer cette période réputée faste où
la France commandait à 70 millions « d’indigènes » répartis sur 13 millions
de kilomètres carrés ?

Non, l’auteur de cette prose, aussi mythologique qu’apologétique de la
colonisation, n’est autre que Nicolas Sarkozy qui a prononcé ces fortes
paroles en tant que ministre-candidat lors d’un meeting à Toulon le 7
février 2007.

Singulièrement passée sous silence par la plupart des médias et des autres
dirigeant(e)s politiques engagés dans les élections présidentielles, cette
intervention confirme que la réhabilitation du passé colonial de la France n’est
pas une embardée conjoncturelle de l’actuelle majorité et de son principal
représentant. Au contraire, cette réhabilitation, sans précédent depuis la
fin de la guerre d’Algérie, s’inscrit dans un projet politique cohérent,
systématique et crânement assumé par le candidat de l’UMP désormais chef de
l’Etat français.

Pour des motifs partisans, et pour défendre ce que ce dernier croit être l’honneur
de la France et de ses citoyens, il se fait donc porte-parole d’une histoire
officielle, mensongère et révisionniste des causes qui ont conduit à la
construction de l’empire français, érigé par de nombreuses guerres de
conquête, puis dirigé par des institutions coloniales racistes et
discriminatoires. En témoigne, notamment, le statut des « indigènes »,
considérés alors non comme des citoyens libres et égaux mais comme des « 
sujets français » privés des droits et libertés démocratiques élémentaires
et soumis, qui plus est, à des dispositions répressives - le Code de l’indigénat,
entre autres, - qui ne pesaient que sur eux.

Sous le prétexte fallacieux de lutter contre on ne sait quelle « pensée
unique » et désir de « repentance », lesquels n’existent que dans l’esprit
de Sarkozy et de ceux qui ont forgé ces pseudo-concepts grossiers, sur le
plan intellectuel s’entend, pour mieux faire croire à leur propre courage et
originalité, on assiste donc à une instrumentalisation spectaculaire du
passé colonial de la France. Manipuler cette histoire par la surexposition
de certains de ses aspects « positifs » supposés - la colonisation au nom de
la civilisation par exemple -, par l’euphémisation ou la sous-estimation des
crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis au cours de cette
longue période de l’empire colonial, et par l’occultation enfin de l’oppression
et de l’exploitation imposées à ceux qu’on appelait alors avec mépris « les
indigènes », tels sont les ressorts principaux de cette opération.

Moderne et audacieux Sarkozy ? De tels discours nous ramènent au plus
convenu de la doxa officielle forgée sous la Troisième République. Quel est
l’adjectif qualificatif adéquat à cette opération qui repose sur un mépris
souverain de l’histoire et des innombrables victimes des guerres et des
répressions coloniales ? Réactionnaire, assurément.

Jamais depuis des décennies, un candidat soutenu par le plus important parti
de la droite parlementaire ne s’était engagé dans cette voie. Stupéfiante
involution. Elle témoigne d’une radicalisation significative des discours
élaborés sur ces questions par l’UMP et son représentant en même temps qu’elle
légitime et banalise des thèmes qui n’étaient jusque-là défendus que par l’extrême-droite
et quelques associations de nostalgiques de la période coloniale.

Pour les
amateurs d’exception française, en voilà une remarquable mais sinistre car
la France est le seul Etat démocratique et la seule ancienne puissance
impériale européenne où l’un des principaux candidats à l’élection
présidentielle ose tenir de pareils propos. A quoi s’ajoute le fait que ce
pays est également le seul où une loi - celle du 23 février 2005 -, toujours
en vigueur en dépit du tour de passe-passe politico-juridique du Président
de la République, sanctionne une interprétation officielle de ce passé
colonial. « La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui
ont participé à l’oeuvre accomplie par la France dans les anciens
départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi
que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté
française.
 » Telle est, en effet, la première phrase de l’Article 1 de ce
texte voté par l’UMP et l’UDF au terme de débats où Rudy Salles, le très
officiel porte-parole de cette dernière formation politique à l’Assemblée
nationale, a joué un rôle particulièrement actif. Qu’en pense François
Bayrou lui qui prétend dépasser le clivage gauche/droite et incarner une
autre façon de faire de la politique ? Il n’est pas besoin d’être un
brillant philologue pour comprendre que le terme ouvre, employé dans ce
contexte, emporte une appréciation évidemment positive de la période
considérée.

Face à cette offensive politique, engagée depuis longtemps par les diverses
composantes de la droite parlementaire, notamment, et son principal
représentant que comptent faire les dirigeants de la gauche parlementaire et
radicale ? Ils doivent le faire savoir au plus vite.

Mercredi 9 mai 2007.

Olivier Le Cour Grandmaison

Enseignant à l’Université d’Evry-Val-d’Essonne, Olivier Le Cour Grandmaison
est l’auteur de « Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial »
(Fayard, 2005).

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