Une tribune pour les luttes

Témoignage d’une expérience d’un an et deux mois auprès de personnes vivant dans le rue à Marseille (15/11/06 au 31/12/07) .

Article mis en ligne le jeudi 10 janvier 2008

Ce bilan final a été conçu pour être compréhensible par n’importe quelle personne qui s’intéresse à la problématique des personnes vivant dans la rue. De nombreux écrits plus techniques ont été réalisés afin de décrire les problématiques et enjeux du poste. Je peux vous les procurer si vous me le demandez. Ce bilan ne reprendra donc pas ces éléments mais fera un état des lieux de la situation en générale. De nombreuses propositions ont déjà été faîtes, certaines seront reprises dans ce document. Nous ne parlerons pas non plus des prises en charge de personnes vivant dans la rue. Un logiciel avec chaque suivi est disponible. Ce logiciel a été remis à l’ADJ Marceau.

Ce poste de coordination des équipes de rue a été mis en place à titre expérimental par la DDASS afin de soutenir les actions des équipes mobiles, intervenant dans la rue auprès de personnes en situation de grande précarité et exclus des services sociaux et/ou médicaux.

Les équipes mobiles sont les bénévoles de 5 associations (Secours Catholique, Les Restos du Coeur, La Croix Rouge, Médecins Du Monde et le FISAV) et les salariés du Samu Social de la ville de Marseille. Les bénévoles assurent des maraudes de nuit. Ils favorisent le lien social avec les personnes vivant dans la rue à travers des tournées alimentaires quotidiennes et des tournées à but médical. Les salariés du Samu Social réalisent principalement un travail de transport vers les Centres d’Hébergement d’Urgence et ne sont pas formés pour faire du travail social. Une équipe de 3 salariés spécialistes de la santé mentale s’est construite en partenariat avec l’APHM et MDM depuis décembre 2007.

Les personnes atteintes de troubles psychiatriques et vivant dans la rue peuvent bénéficier enfin d’un suivi médico-social. Qu’en est-il de toutes les autres personnes vivant dans la rue ? On peut faire le constat qu’il n’y a pas de salarié dans la rue s’adressant aux personnes en grande précarité (excepté pour les usagers de drogue et lutte contre la prostitution avec Asud) à Marseille. Est ce le rôle des bénévoles à eux seuls d’assurer une veille sociale ? Si c’est le cas, ont-ils les moyens humains et matériels de répondre à cette demande ?

Ces questions n’ont cessé d’être posées tout au long de cette année de collaboration avec les équipes mobiles à travers différents réunions et rapports envoyés à la DDASS. Le Samu Social ne s’est d’ailleurs jamais rendu aux réunions des équipes mobiles. C’est pourtant la seule équipe de salariés dans la rue. Combien de morts dans la rue faudra t-il pour que le plan de cohésion sociale s’applique aussi pour les personnes vivant dans la rue à Marseille ?

Un travail d’accompagnement social avec des bénévoles dans la rue s’est réalisé en journée en lien avec le 115, le Samu Social et les maraudes de nuit. 57 prise en charge ont été effectuées. Beaucoup d’autres besoins ont été repérés mais la présence d’une seule salariée ne permet pas d’y répondre. Au moins quatre morts dans la rue cette année parmi les prises en charge effectuées sont les conséquences d’un manque de moyens humains dans la rue.

Face à cette problématique, la coordination des équipes mobiles est apparue aux premiers abords comme illusoire voire impossible. Pourtant, grâce à la motivation et à une certaine révolte citoyenne de certains bénévoles et particuliers, des actions, aujourd’hui indispensables, ont pu se mettre en place. Ces actions doivent être appuyées par des professionnels sans quoi elles ne pourront être pérennisées et les personnes dans la rue seront toujours en danger. Les bénévoles devraient normalement être un soutien aux professionnels. Ce qui n’est pas le cas actuellement à Marseille. En effet, les professionnels comptent beaucoup trop sur des bénévoles pleins de bonne volonté mais impuissants face à l’ampleur de la tâche.

Le travail de coordination s’est construit avec les équipes mobiles et en partenariat avec l’ensemble des acteurs travaillant dans l’urgence sociale (UHU, Forbin, 115, Samu Social, les urgences hospitalières et les 3 ADJ) et les différentes instances impliquées dans la problématique des personnes vivant dans la rue (CCAS, CIQ, police, pompiers, commerçants, habitants). Huit réunions ont eues lieux. Cinq concernant l’organisation des équipes mobiles et la prise en charge des personnes vivant dans la rue et trois avec les partenaires institutionnels. Au début peu de bénévoles étaient présents. Les institutions étaient fortement représentées par des responsables. Lors des dernières réunions, les institutions étaient pour la plupart absentes, excepté l’UHU et Forbin.

Alors que les bénévoles commencent à peine à comprendre et à s’impliquer, les institutions ne peuvent réellement les soutenir étant donné l’absence des travailleurs sociaux aux réunions trimestriels pourtant prévue à 14H pour eux. Nous savons tous combien les travailleurs sociaux sont débordés dans les institutions. Pour exemple, à Forbin seuls 2 travailleurs socials sont présents pour environ 200 personnes et à l’UHU 1 éducatrice pour environ 300 personnes dont les suivis sont très complexes puisque ce sont des personnes vivant dans la rue.

De la même façon, comment peut-on laisser à une seule personne la charge d’autant de suivis et en plus de ça la coordination ? En effet, comme l’a dit le directeur de l’association SARA/GHU, mon employeur, en veille sociale cela relève plus de l’humanitaire que d’un travail social. Ce n’est pas pour rien si autant de bénévoles sont utilisés. N’ayant pas de connaissance exacte sur les modes de prise en charge des usagers et n’intervenant qu’ 1 fois tous les 15 jours, ils sont contraints de se limiter à de la distribution alimentaire . Mais quand on a à faire à des situations dramatiques tous les jours, à la limite de la mort, on a de quoi être inquiet voire révolté quand on voit les réponses apportées aux personnes vivant dans la rue.

Malgré ces situations de travail inaceptables nous ne pouvons délaisser les personnes dans la rue. Ces personnes ne sont-elles pas celles qui ont le plus besoin de suivi rapproché, individuel c’est à dire humain et ne pas être considéré comme un SDF parmi tant d’autres (3000 en 2001 selon l’Insee, 4000, 5000 voire 6000 SDF à Marseille en 2007 ?).

Beaucoup d’incompréhensions ont eu lieu du fait que les travailleurs sociaux étaient absents dans la rue et pendant les réunions de coordination. Le décalage se creuse avec les personnes dont ils assurent le suivi. Comment voulez vous que des personnes même si elles sont très marginalisées, ce qui n’enlève pas leur humanité, acceptent d’aller s’entasser parmi 200 ou 300 SDF ? Que fait-on des personnes de plus de 65 ans qui ne sont normalement pas admis en Centre d’hébergement ? On les entasse dans des maisons de retraite, s’il y a de la place...!Et si par miracle, ce qui est arrivé, une personne vivant dans la rue puisse accéder à un CHRS. On lui demande en 6 mois d’accéder à un logement et un travail ce qui pour un citoyen lambda est déjà compliqué alors pour une personne ayant vécu dans la rue...

Quand on sait qu’une personne qui a vécu 1 an dans la rue met 6 ans à s’en remettre...! On peut comprendre le découragement voire l’impossibilité pour ces personnes de satisfaire les exigences d’une réinsertion rapide.

Lors de différentes réunions, il a été signalé à plusieurs reprises, que l’accés aux douches et toilettes est un parcours du combattant à Marseille. Il n’y a que 3 Accueils De Jour (avec en moyenne 2 douches par ADJ dont une fermée l’après midi) regroupés dans le même quartier, un des quartiers les plus pauvres de Marseille.

Il n’y a pas de vestiaire dans ces ADJ. La personne vivant dans la rue doit d’abord se procurer un bon pour un vestiaire (maximum 4 par an !) puis aller chercher ses vêtements pour enfin se doucher s’il y a de la place. Peut-on s’étonner si des violences apparaissent au sein de ces structures ?

Il n’y a plus de toilettes publiques gratuites, ce qui fait qu’une personne se trouvant, par exemple dans le 8ème arrondissement, doit aller(à pied si elle peut) dans le troisième arrondissement où se trouvent ces ADJ ? Ceci est un exemple parmi tant d’autres (cf les compte rendus précédents) de la non prise en compte des besoins des personnes vivant dans la rue et de l’incohérence des services proposés.

Pour résumer, il n’ y a pas d’équipe de rue professionnelle, les agents du Samu Social n’étant pas formés à du travail social. Il y a des bénévoles, pas formés ni informés pour la plupart, qui interviennent ponctuellement avec des moyens obsolètes.

La coordination est donc bien un moyen de réunir tous les acteurs de l’urgence sociale et un garant des modes de prise en charge cohérentes et adaptées aux besoins des personnes vivant dans la rue. Le regard pluridisciplinaire et extérieur sur le travail de chacun est la seule garantie d’un travail efficace et cohérent pour/avec les personnes en situation de grande précarité.

En fonctionnant sur du service social minimum précaire (mettre à l’abri et distribution de nourriture), nous favorisons l’installation à long terme de la personne dans une situation précaire. Il est urgent de mettre en place les moyens nécessaires à des prises en charge adaptées et cohérentes. Sinon le nombre de personnes vivant et mourant dans la rue ne cesera d’augmenter.

De nombreuses propositions ont déjà été faîtes dans ce sens comme :
- plus de petites structures à visage humain,
- de l’accueil bas seuil,
- plus de salariés dans les structures,
- des travailleurs de rue professionnels du sanitaire et social accompagnants les agents du Samu Social et les bénévoles dans la rue,
- des douches et des toilettes publiques gratuites,
- un ADJ par arrondissement,
- plus de services hospitaliers,
- des maisons de retraites accéssibles à des bas revenus...

En plus d’ améliorer la coordination et les actions menées à Marseille, on peut envisager des accueils en milieu rural comme Vogue la galère à Aubagne. C’est un accueil communautaire en ferme, sans limite de temps où la personne est considérée comme partie prenante du projet. Ces accueils pourraientt aussi se construire en partenariat avec les acteurs locaux. Sur du long terme on peut même envisager une ouverture vers de l’économie sociale et solidaire.

C’est un projet que je compte mettre en oeuvre dans le 04.Toute personne intéressée pour ce projet de « ferme d’insertion » ou pour plus d’infos sur le poste de coordination peut me contacter au 0620325681 ou par mail latoudou chez hotmail.com.

Linda Barberis en poste de coordination des équipes de rue du 13/11/2006 au 31/12/2007 à Marseille employé par l’association SARA/GHU.

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Analyse/réflexions c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 2110