Une tribune pour les luttes

RESISTANCE, MAIS QUELLE RESISTANCE ?

par Patrick Mignard.

Article mis en ligne le vendredi 1er juin 2007

Il y a des mots qui inspirent, à juste titre, tellement le respect que l’on ne se donne même plus la peine de les expliquer et, ce qui est plus grave, de les utiliser à tort et à travers, au risque souvent de le faire à contre emploi ou dans un contexte totalement inadéquat.

Tel est le cas du mot RESISTANCE.

C’est à bien y regarder, surtout dans la manière dont il est utilisé aujourd’hui, un concept qui se suffirait en lui-même tellement sa charge affective est puissante. Et pourtant... des précautions sont à prendre pour ne pas y perdre sa crédibilité.

CONTOURS ET LIMITES DE LA RESISTANCE

Résister c’est riposter aux attaques d’un adversaire, l’empêcher de gagner du terrain, d’atteindre nos forces vives et dans la mesure du possible de l’affaiblir pour pouvoir reprendre l’offensive et l’initiative dans le conflit qui nous oppose à lui.

La Résistance a, en France, un sens très particulier et renvoie à une période précise de notre Histoire. Vouloir faire un parallèle absolu serait absurde... ce qui ne veut pas dire que le terme « résistance » soit inadéquat et obsolète.

Aujourd’hui, la manière dont les gestionnaires du système marchand portent atteinte aux acquis sociaux, aux intérêts fondamentaux du plus grand nombre, à l’équilibre naturel de notre planète, exige, du moins pour les plus conscients - car toutes et tous ne le sont pas - , de réagir, de protester, de dénoncer... ceci n’est même pas discutable ... Soit ! Le premier réflexe est de contrer, de résister à cette agression ! Mais encore ?

On sait pourquoi on résiste, contre quoi on résiste, mais comment allons nous résister ? Quel sens a cette résistance ?

La question du sens, comme son nom l’indique, est essentielle. Il ne s’agit pas seulement de l’aspect moral, éthique qui est incontestable, il s’agit aussi et surtout du sens historique... Je veux dire par là, comment se situe l’action, cette action dite « de résistance » dans le long terme, en terme de changement social, pas seulement en terme d’opposition, qui ne peut-être que formelle, à un système dominant ?

Dans ce « comment » il n’y a pas simplement la « manière de... », mais il y a implicitement la question du débouché,... de l’objectif. Or, même si une résistance peut-être active, voire passive et « héroïque »... on ne peut pas ne pas se poser la question de son objectif à moyen et long terme.

Aujourd’hui, cette interrogation ne figure dans aucune stratégie d’organisation politique... sinon en terme vague et plus ou moins affectif : un « monde meilleur », un « monde nouveau », une « société plus humaine » certains avancent même, mais prudemment, le « socialisme » ( ?),... mais lequel ?

Bref, les contours stratégiques de cette « résistance » sont loin d’être précis et définis. Mais il y a aussi une autre question autrement plus difficile.

QUELLE RESISTANCE AUJOURD’HUI

Si nous parlons de résistance aujourd’hui, se pose tout de même une question redoutable qui est celle de la légitimité du pouvoir en place. Quelle que soit l’appréciation que l’on puisse porter au regard du système politique électoral actuel, le pouvoir issu de ce processus est, aux yeux du plus grand nombre, légitime.

Que peut-être donc une « résistance » à un gouvernement légitime ? Certes, cela renvoie à la notion de légitimité... et tous les pouvoirs ont eu leur légitimité fondée sur bien des principes... Et l’Histoire nous montre qu’une légitimité populaire n’est pas le gage d’un régime politique acceptable et ce n’est pas parce qu’un pouvoir est légitime qu’il agit dans le sens de l’intérêt général.

Or, la résistance à un pouvoir est d’autant plus difficile que ce pouvoir est fondé sur une légitimité reconnue par le plus grand nombre... que cette légitimité soit populaire ou non. Par exemple, s’opposer au pouvoir de l’Eglise au moyen Age était difficile car sa « légitimité » était largement reconnue par le plus grand nombre.

De plus, le système actuel a beaucoup appris de son histoire, il va agir habilement, en donnant l’impression de... tout en sauvegardant ses intérêts fondamentaux.

Ne nous faisons pas d’illusions, le nouveau pouvoir conservateur en France aujourd’hui va connaître un certain nombre de « succès » qu’il saurait monter et valoriser médiatiquement. Par exemple il va réduire les statistiques du chômage et pas seulement en manipulant les chiffres... Comment ? En déréglementant le marché du travail, et en jouant à la baisse les salaires... et dans la foulée (si j’ose dire à propos d’un président-jooger), et avec le même procédé, il va réduire le nombre de délocalisations. Des réactions ? Oui il y en aura, mais elles seront limitées, et je ne suis pas sûr que les syndicats s’opposent à ces mesures avec conviction... et les médias monteront en épingle les « statistiques positives »...

J’exagère ? Mais il suffit de regarder la Grande Bretagne qui a fait sa « révolution conservatrice » depuis vingt ans et qui, d’après mes informations est loin d’être en état d’insurrection, de même que les USA.

On comprend donc, que dans cette situation, le principe de la Résistance n’est pas aussi facile à définir... sinon à en rester au simple niveau symbolique.

Quand on sait que la résistance à un pouvoir dictatorial, qui ne fonde sa légitimité que sur la force, est rarement soutenue, sinon reconnue, imaginons ce qu’elle peut être vis-à-vis d’un pouvoir qui se dit légitime, qui aux yeux de la loi l’est effectivement et qui plus est... est reconnue comme tel aux yeux d’une grande partie de la population... Ce qui est le cas aujourd’hui.

On sait quelle va être l’attitude des organisations politiques « de gauche » : le « trépignement médiatico-politique », la « dénonciation véhémente », la « course aux élus », les « manifestations suivies de délégations dans les préfectures », pétitions, collages d’affiches, manifestes, etc, etc.... C’est d’ailleurs cela qu’elles vont pompeusement. appeler « RESISTANCE ». On sait ce que vaut ce genre d’agitation

QUE FAIRE ?

Sans vouloir paraphraser les stratèges militaires, il est incontestable que « la meilleur défensive, c’est l’offensive ». Or, aujourd’hui le champ d’action sur lequel nous devons agir, nous n’en avons aucune maîtrise, l’adversaire lui y est comme un poisson dans l’eau, c’est son système, son terrain, ses règles, ses lois, ses mercenaires, ses « penseurs », ses médias... De plus, un affrontement frontal avec le système en place est irrémédiablement voué à l’échec,... échec militaire et échec politique.

La contestation, critique et dénonciation ne sont évidemment pas inutiles, à la condition qu’elles ne soient pas uniquement les seules formes d’action... ce qu’elles sont aujourd’hui... du moins dans l’esprit des organisations politiques qui ont la prétention d’ « organiser le changement »( ?)

Les vieilles formes de luttes, grèves, occupations d’entreprises sont à utiliser avec parcimonie. En effet, fort efficaces quand le système pouvait s’acheter la paix sociale par des concessions, elles sont aujourd’hui relativement obsolètes dans un système mondialisé.

La stratégie de résistance se décline en fait aujourd’hui à deux niveaux : celui des luttes et celui des perspectives. Il serait faux de croire que ces deux niveaux sont étanches l’un par rapport à l’autre. Au contraire ils sont en étroite implication.

Les luttes, essentiellement tactiques, doivent être adaptées à la situation actuelle en sachant bien qu’elles ont un champs relativement limité... le système n’ayant plus les moyens d’accorder des concessions...

Les perspectives, elles, sont stratégiques, autrement dit remettent en question les fondements du système en entraînant sa décomposition, relativisant les rapports sociaux actuels et montrant que d’autres rapports sont possibles et même souhaitables.

Ainsi la Résistance n’est pas qu’un mot un peu magique que l’on utilise pour cacher sa propre impuissance, ne reste pas un combat d’arrière garde, ce qu’elle est aujourd’hui, mais une offensive impliquant dans des rapports nouveaux, une stratégie nouvelles et des structures nouvelles, un ensemble toujours plus important de personnes.

Patrick MIGNARD

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