Une tribune pour les luttes

A propos d’un article sur les dysfonctionnement de l’hôpital public

Les mœurs d’une certaine presse…

par Raymond Mari

Article mis en ligne le dimanche 9 décembre 2007

Jeudi 6 décembre 2007

Article publié dans la lettre 35 de l’UFAL

Le 13 novembre, une fois de plus, le grand quotidien national dit « de référence », Le Monde, offrait deux pleines pages à un chirurgien qui décrivait ses difficultés professionnelles et ses frustrations, notamment sur le plan financier. La « paupérisation » des chirurgiens disait-il, justifie les dépassements tarifaires qui prennent aujourd’hui de telles proportions qu’ils deviennent un obstacle infranchissable pour une partie de plus en plus importante de la population.

Nous avons réagi comme lors des tentatives de désinformation précédentes. Nous n’avons reçu aucune réponse et, comme on pouvait le prévoir, Le Monde s’est bien gardé de publier notre démenti.

Fidèles à notre vocation d’éducation populaire, nous vous confions cette controverse qui devrait quelque peu démystifier la réputation de sérieux et d’objectivité de ce journal qui trouverait alors sa place dans « une certaine presse ».

Argenteuil le 22 novembre 2007

Monsieur Le Directeur du Monde

Madame la Médiatrice : mediateur chez lemonde.fr

Courrier des lecteurs : courrier-des-lecteurs chez lemonde.fr

Je suis abonné au Monde depuis longtemps et je constate que le lobby médical, plus précisément, chirurgical, a encore frappé.

Dans le numéro du 13 novembre, vous offrez une tribune de deux pages à un « homme de l’art » (Laurent Sedel) qui exprime sa nostalgie du pouvoir médical, celui du chirurgien en particulier, et qui dénonce les dysfonctionnements de l’hôpital public.

Je serai le dernier à contester les anomalies qu’il identifie et qui tiennent, pour partie, de la volonté des gouvernements successifs - notamment l’actuel - de faire passer ces structures de soins qui assument un service public au sens noble du terme, par un dénominateur commun de rentabilité applicable à l’ensemble des équipements hospitaliers publics et privés.

En revanche, les plaintes concernant le niveau de rémunération des chirurgiens sont irrecevables. Oser dire que « …la faiblesse des rémunérations ou plutôt des tarifs opposables fixés par la Sécurité Sociale… est très démotivante… » démontre une démotivation d’une toute autre nature.

Arguer de l’augmentation des primes d’assurance en responsabilité civile effectivement excessives sans préciser qu’elles sont désormais prises en charge aux 2/3 par les cotisations des assurés sociaux n’est pas juste.
Prétendre que la rémunérations des interventions a baissé en valeur constante depuis vingt ans et qu’en plus de la rémunération de sa secrétaire et de son « aide » (?), le chirurgien devra payer ses charges sociales (pour les médecins du secteur 1, les 2/3 de leurs cotisations sociales sont payées par l’assurance maladie, ce qui coûte 1,3 Mds€ à la CNAMTS) et ses impôts (quel scandale !) et qu’à cause de toutes ces misères on « …ne peut s’étonner des dépassements tarifaires. » est faux et indécent.

Mais cette considérable tribune (deux pleines pages !) est en fin de compte peut-être motivée par ce qui pourrait en être la conclusion : les dépassements tarifaires sont justifiés par la faiblesse de la rémunération des chirurgiens… !

Afin d’éclairer le débat, il convient de citer quelques chiffres :

* En 2005 le seul (40 % des médecins exercent en plus une activité salariée) revenu annuel individuel moyen net d’activité libérale s’élevait à 117 109 €, ce qui place la chirurgie au troisième niveau de la hiérarchie des revenus dans les différentes spécialités.

* Entre 2000 et 2004, le revenu moyen des généralistes a augmenté de 2,6 % et celui des spécialistes de 3,1 % par an.

* Pendant cette même période, la progression du salaire annuel moyen (22 132 €.) s’est limitée à 0,4 % par an.

* En ce qui concerne les tarifs de l’Assurance Maladie, l’Inspection Générale des Affaires Sociales à démontré (rapport de septembre 2006) qu’à la suite du protocole du 24 août 2004, trois augmentations successives (octobre 2004, mars 2005 et septembre 2005) sont intervenues et ont revalorisé les tarifs des actes chirurgicaux de 25,2% en secteur 1 et de 13,7% en secteur 2.

* Selon la DSS, ces augmentations auraient généré un gain annuel d’honoraires variant entre 21 000 et 29 000 € par chirurgien, soit plus que le salaire annuel net annuel moyen de l’ensemble de la population ! (rapport Cour des Comptes 2006).

* A propos des dépassements tarifaires que l’auteur de l’article juge normaux, la chirurgie détient la palme des augmentations, le taux passant de 27 % en 1997 à 54 % en 2004, 10 % des chirurgiens présentant des dépassements de plus de 229 % ignorant superbement le « tact et la mesure », obligation pourtant Conventionnelle et déontologique. (rapport IGAS avril 2007).

* Dans la mesure où les actes chirurgicaux sont financièrement lourds, vous en imaginez les conséquences sur les populations économiquement faibles.

Comme vous pouvez le constater (et comme vous le savez, vraisemblablement, du moins je l’espère), si M. Sedel est fondé à se plaindre de la désorganisation des établissements hospitaliers publics, il est quelque peu déplacé de gémir sur le sort d’une profession au demeurant très respectable qui à le droit de revendiquer une position sociale favorable, ce qui est le cas.

A début de cette intervention, j’utilisais la formule « le lobby médical a encore frappé ». Ce n’est pas la première fois en effet que je constate votre propension à confier vos tribunes à cette corporation privilégiée.

Le 28 avril 2004, vous offriez une large et favorable publicité à quelques organisations professionnelles qui préconisaient l’émigration en Angleterre, sans doute pour y trouver de quoi subsister.

Le 19 septembre 2006, c’est un certains Philippe Cuq qui disposait de votre journal (mais pourquoi pas de Notre journal ?) pour énoncer des contrevérités flagrantes.

J’ai réagi à chaque reprise, comme je le fais aujourd’hui. Vous ne m’avez jamais répondu et je n’en espère pas davantage.

Je trouve malgré tout déplorable que Le Monde, journal de référence, au moment où la protection sociale se dégrade, notamment du fait des dépassements tarifaires (6 Mds € en cumulant ceux des médecins et ceux des dentistes), que vous relayez sans aucune réserve ou sans information contradictoire, une propagande destinée à faire accepter la notion d’une santé accessible selon ses moyens et non plus selon ses besoins comme l’inscrit le 11e alinéa de la Constitution dans les droits fondamentaux du citoyen.

Je vous prie d’agréer mes salutations.

Raymond MARI

http://www.ufal.info/media_flash/


En complément :

La rupture du lien entre les honoraires médicaux et les tarifs de remboursement

Par Raymond Mari, Bernard Teper, L’UFAL

Vendredi 30 novembre 2007

Le cas particulier de la chirurgie.

Pour illustrer le phénomène de l’instauration d’une médecine à plusieurs vitesses, la chirurgie est un exemple saisissant.

Dans cette spécialité composées d’actes lourds, souvent urgents, et ayant un impact important sur la santé, l’offre de soins est particulièrement sélective.

Aujourd’hui, à l’exception des interventions qui confinent aux limites de la science et qui sont essentiellement réalisées dans des services hospitaliers publics extrêmement spécialisés, la chirurgie s’est déplacée vers les établissements privés.

En fait, ce sont les chirurgiens souvent issus du service public où ils ont constitué leur notoriété, qui émigrent de plus en plus tôt vers des horizons beaucoup plus lucratifs.

Pour les malades, les solutions sont de trois ordres :

* Choisir l’intervention dans l’établissement hospitalier, lorsque l’hôpital le permet, et, en dehors des cas d’urgence, souvent avec des délais importants, sans avoir la certitude de bénéficier d’un geste chirurgical compétent.

* Se diriger vers un établissement privé où il sera pris en charge par un spécialiste aguerri (si son information lui permet d’identifier le médecin adéquat), qui facturera des dépassements d’honoraires parfois considérables (10% des chirurgiens présentent des dépassements supérieurs à 230%, la moyenne de la spécialité atteignant un taux de 60%).

* Recourir aux services d’un chirurgien hospitalier disposant d’un secteur privé au sein de l’hôpital où les dépassements sont parfois plus importants que dans le cadre libéral.

Voilà donc la situation (qui s’aggrave) qu’affrontent aujourd’hui les malades qui ne peuvent plus se soigner pour des pathologies lourdes que s’ils en ont les moyens.

Et qui, faut-il le rappeler, sont taxés, en plus du forfait hospitalier, d’une franchise de 18 Euros sur le coût de l’acte médical !!

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