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Organisation de la recherche : bientôt la vente à la découpe.

par Alain Trautmann

Article mis en ligne le lundi 24 mars 2008

Le Directeur Général de l’INSERM, André Syrota, vient d’annoncer la mise en place d’une réforme correspondant à la lettre de mission donnée par Valérie Pécresse. L’INSERM sera désormais découpé en 8 grands Instituts thématiques. Le découpage du CNRS devrait suivre bientôt. Il ne s’agit pas de simples mesures techniques mais de décisions qui vont être très lourdes de conséquences.

Des Instituts pour clarifier l’organisation de la recherche ?

L’objectif officiel consiste à clarifier un système de recherche trop complexe, objectif qui pourrait être louable en soi, d’autant plus qu’il existe des Instituts (comme l’IN2P3) qui fonctionnent bien. Mais une décision ne peut être jugée hors contexte, et deux faits empêchent absolument de croire à cet objectif officiel. Le premier est que le gouvernement a décidé d’ajouter une strate supplémentaire sans en supprimer aucune. L’absurdité d’une telle méthode est telle qu’on a peine à croire à ce qui est censé la justifier. Le deuxième est que cette réforme s’inscrit dans le cadre clairement annoncé par le Président de la République : transformer les EPST, en tous cas le CNRS, en une agence de moyens, c’est à dire en lui retirant la gestion des laboratoires et des personnels. Pour augmenter l’efficacité du pilotage de la recherche par le politique, il faut réduire l’indépendance (pourtant très relative) de la direction des organismes de recherche comme le CNRS et l’INSERM (nommés par le pouvoir, et "démissionnés" au moindre faux-pas). Le découpage des EPST en Instituts plus petits et encore plus dociles permettra de se rapprocher d’un objectif poursuivi avec obstination depuis des années. Claude Allègre, lorsqu’il était ministre, avait manifesté la même irritation devant l’indépendance du CNRS, et avait tenté en 1998 d’imposer une réforme de ses statuts sans même consulter la direction du CNRS.

Découper pour mieux régner

Le découpage de l’INSERM en Instituts ne vise pas que la réorganisation de l’INSERM, mais celle de l’ensemble de l’activité de recherche biomédicale en France, y compris celle effectuée dans des organismes comme le CNRS ou le CEA. Ceci correspond à un deuxième objectif, celui de réduire l’activité de recherche à celle dont les applications sont prévisibles, et pour le pouvoir actuel, la seule biologie qui vaille est celle qui permettra des progrès en matière de santé. Ce n’est pas par hasard que le gouvernement ne parle que de recherche biomédicale, jamais de biologie. Cette vision à la fois myope et stupide, qui aboutit à étouffer les recherches les plus fondamentales, les plus en amont, est hélas partagée par de nombreux pouvoirs politiques dans le monde actuel, tous préoccupés par le court terme et pratiquant un mimétisme de Panurge, en cherchant à aligner leurs choix politiques sur celui des autres pays, sans se soucier de la signification et de l’efficacité de ces choix.


Improvisation et incohérence confinant à l’absurde

Si l’organisation à la découpe correspond à un objectif ancien, en pratique elle a été décidée et mise en place avec un degré d’improvisation et d’incohérence impressionnant. Un exemple : l’article 6 du texte annonçant la nouvelle structuration de l’INSERM traite du système d’évaluation qui fonctionnera dans ces Instituts (voir document ci-joint). Curieusement, il est fait mention d’un système indépendant, sans aucune référence au nouveau système d’évaluation national, l’AERES. Ainsi, le découpage de l’INSERM a été "pensé" par des individus qui semblaient ignorer l’existence de l’AERES.

Deuxième exemple : dans le nouveau découpage, on trouvera l’immunologie et les maladies infectieuses dans deux Instituts différents. Or, dans les nouveaux programmes de l’ANR (2008-2010), l’immunologie fondamentale a disparu, et il n’est plus possible de demander de financement à l’ANR dans l’appel d’offre "Immunologie" si l’on n’indique quelle maladie infectieuse on compte soigner ! Ainsi, le découpage de l’INSERM a été "pensé" par des individus qui semblaient ignorer l’existence de l’ANR. Selon les uns il faut soigneusement séparer immunologie et maladies infectieuses, selon les autres ces notions doivent être confondues. Le gouvernement vient donc à peine de mettre en place deux éléments-clé de sa politique de contrôle du financement de la recherche (l’ANR) et de son évaluation (l’AERES), que déjà il met en place une structure supplémentaire conçue dans l’ignorance apparente des deux précédentes.

Les agences de moyens se multiplient, mais qui décidera ?

Il semble que ce soit le printemps pour la floraison des agences de moyens. Il y avait déjà une grosse agence, l’ANR. Une autre était apparue en même temps, l’AII, mais elle semble être passée à la trappe. Le CNRS doit en devenir une autre (pour quelle nécessité intrinsèque, en dehors de donner un objectif officiel à sa disparition ?). Les Instituts de l’Inserm en constitueront un nouvel ensemble. Dans ce paysage mouvant, délirant, qui aura un pouvoir réel de décision, avec quel niveau de transparence et de consultation ? La plus grande opacité entoure ces questions, mais A. Syrota a déclaré le 10 mars devant des syndicats que pour les grandes orientations "des instructions seront données à l’ANR". Selon lui, les Instituts se situeront donc au-dessus de l’ANR (mais on n’a pas entendu le point de vue de la direction de l’ANR). A. Syrota donnera-t-il aussi des instructions au CNRS ? C’est bien dans cet esprit que V. Pécresse semble avoir adoubé les nouveaux Instituts de l’Inserm le 5 février. Elle a sans doute prévu une direction accommodante au Département des Sciences de la Vie (SDV) du CNRS. Ce département était sans directeur en titre depuis plus de 8 mois. La présidente du CNRS avait mis en place un comité composé de scientifiques de haut niveau pour évaluer les candidatures répondant à un appel d’offres visant à trouver un scientifique incontestable au niveau national et international pour diriger ce Département. La personne qui vient d’être nommée, Patrick Netter, professeur de médecine à Nancy, ne correspond absolument pas à ce profil. En revanche, il a d’excellentes relations avec le ministère de la recherche où il a travaillé. Tout est en place pour qu’il ne soit pas nécessaire de supprimer brutalement le département SDV du CNRS, qui pourra être dissous discrètement et sans résistance de sa direction dans la nouvelle structuration de la recherche biomédicale française...

Un vrai travail de sabotage est effectué par Sarkozy et Pécresse

L’évolution de la situation actuelle est perçue comme incompréhensible par les acteurs de la recherche. La raison en est que le gouvernement met en place avec obstination des outils permettant le contrôle le plus étroit possible de l’activité de recherche, mais il le fait avec des raisonnements absurdes et avec un niveau d’improvisation et d’incohérence consternants. En réalité, le système devient de plus plus illisible pour ceux qui y travaillent, qui ont l’impression qu’on les empêche de travailler en leur imposant des couches administratives supplémentaires. Les biologistes français sont souvent évalués par le Comité National (CNRS), par les commissions scientifiques de l’INSERM, par les universités, par les comités de l’ANR, par les comités des nombreux organismes caritatifs auxquels ils sont absolument contraints de demander de l’argent, par l’AERES, et maintenant il y aura en plus l’évaluation par les instances d’évaluation des Instituts de l’Inserm. Au secours ! Quand aurons-nous le temps de faire de la recherche, et non pas du remplissage de dossiers ? Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse sont en train d’effectuer un joli travail de sabotage de notre système de recherche.

La vente à la découpe pourra suivre

Quand ce système aura été bien cassé, quand le gouvernement annoncera que, les caisses de l’Etat étant vides, il faut absolument faire appel aux ressources du privé, il n’y aura plus qu’à procéder discrètement à la vente par morceaux d’un appareil de recherche prédécoupé. On créera alors peut-être des fondations que des grandes entreprises et l’Etat financeront, chacun pour moitié. En réalité, comme la mise du privé dans une fondation bénéficiera d’avantages fiscaux correspondant à la moitié de sa mise, l’Etat financera en réalité les trois quarts de la fondation. Mais l’investissement privé lui permettra d’orienter les recherches de la fondation et de limiter plus encore l’indépendance des chercheurs qui y travailleront. La mise supplémentaire venant du secteur privé risque de ne pas compenser le désengagement de l’Etat. Il n’est donc pas certain que les chercheurs auront des moyens de travail supplémentaires, mais leur indépendance, elle, aura bel et bien été perdue. La perte de cette indépendance ne concerne pas que les chercheurs. Elle concerne toute la société, qui sait que la fécondité, l’inventivité de la recherche ne peuvent aller sans indépendance, et que l’expertise scientifique, qui joue un rôle de plus en plus important dans les choix de société, peut faire courir de grands risques à la société lorsqu’elle est biaisée par une dépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques ou économiques.

Alain Trautmann

http://www.sauvonslarecherche.fr/

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