Une tribune pour les luttes

La révolution néo-conservatrice

par Patrick MIGNARD

Article mis en ligne le mardi 15 mai 2007

Il y a quelque chose de logique dans ce qui est entrain de se passer aujourd’hui en France... Après l’Angleterre, les USA,... après les virages conservateurs dans tous les pays Européen, la France est entrain de faire le sien. Ne nous laissons obnubiler par les particularismes locaux, et en particulier par la spécificité française. L’« économie française », issue de l’« Etat-nation France » fait partie du grand mouvement du capital à l’échelle mondiale, à ce titre elle n’échappe pas à ses lois de développement.

La marche forcée économique, et politique vers un aménagement institutionnel internationalement avec l’évolution du FMI et la création de l’OMC, mais aussi nationalement avec l’accession des « conservateurs » aux pouvoirs c’est tout cela que le nouveau Président incarne.

Essayons de comprendre et de raisonner logiquement, sans à priori ni préjugés.

LES CONTRE TEMPS DE L’HISTOIRE

Lorsque la gauche accède au pouvoir en mai 1981, le monde est au seuil de la vague libérale qui va le submerger. Le programme de nationalisations de la Gauche, son programme social, sont parfaitement à contretemps de la tendance générale imposée par la mondialisation du capital au travers des politiques impulsées par Reagan et Thatcher. Le mythe de la Gauche ne tiendra que trois ans (les deux gouvernements Mauroy), ce sera ensuite Fabius et son plan de rigueur et la première cohabitation en 1986.

Dès lors, la Gauche fait sienne, sans l’avouer, le libéralisme économique... Apparaît ce que l’on nommera à juste titre le « social libéralisme ».

Dès lors, tous les grands thèmes qui fondaient les « politiques de Gauche » vont être battus en brèche : nationalisations, défense du service public, protection sociale, retraites, pouvoir d’achat... les programmes économiques et de la Gauche vont étrangement se ressembler,... pas seulement en France, mais dans tous les pays européens... La tendance est générale. Tous les pays européens occidentaux, et d’une certaine manière ceux d’Europe de l’Est, plus les USA, suivant les spécificités de chacun, passent par cette phase

Il serait évidemment faux d’en conclure à une quelconque fatalité. Il ne s’agit pas de cela mais d’une logique dans le développement mondialiste du capital.

Le système marchand se donne ainsi, ce qui est parfaitement logique, les conditions politiques et idéologiques de répondre au mieux à ses impératifs économiques. Que ce soit les salariés qui en fassent les frais est une conséquence logique de ce qu’est véritablement le système marchand.

LA « RUPTURE » CONSERVATRICE

Beaucoup se sont gaussés du terme de « rupture » employé par le leader de la droite... C’était une erreur. On a trop tendance à comprendre le terme de « rupture » dans le sens de « rupture progressiste », rupture avec un système pour plus de progrès social. On a oublié que ce terme peut se comprendre dans l’autre sens... et c’est bien dans celui-ci que se fait la rupture conservatrice.

Ne nous laissons pas tromper par les différences et particularismes locaux et nationaux.

La rupture qui s’installe en France avec le nouveau gouvernement est une phase nouvelle du développement du système tel que l’a connue l’Angleterre thatchérienne : fini les concessions, fini les acquis sociaux, fini le dialogue social aboutissant à un compromis. L’« Etat providence » laisse désormais la place à l’« Etat gendarme »., la juridiciarisation des conflits sociaux devient la norme.

Tout affrontement direct, central, est voué à l’échec. Le système a les moyens politiques, judiciaires, militaires et même psychologique et idéologique avec les médias, de déjouer toute action de déstabilisation du modèle classique : grèves... même insurrectionnelles, manifestations... même violentes, pétitions, élections,...

Les outils de la contestation classique qui a fait les beaux jours des syndicats et partis politiques sont désormais obsolètes.

UNE OPPOSITION INEXISTANTE

Face à cette nouvelle phase de développement du capital, la pensée de Gauche est totalement désarmée et même divisée... c’est le moins que l’on puisse dire sa stratégie purement électorale est en lambeaux.

Soit elle adhère peu à peu à la nouvelle logique sans l’avouer mais sans ambiguïté quant aux conséquences,... c’est le cas du PS. Qui tient un double discours peu crédible, ni dans un sens ni dans l’autre.

Soit elle s’accroche aux vieilles formes de contestations de l’époque des « trente glorieuses » et avant... et c’est le cas de la « gauche de la gauche » qui tient un discours radical, vindicatif, mais est impuissante sur le terrain... et sans perspective même et surtout électorale... sans parler de la pratique alternative concrète.

Entre les deux, un Parti Communiste complètement déboussolé, sans stratégie, ayant perdu sa base ouvrière, ses bastions, ses référents, et qui ne sait plus s’il doit d’allier à son ancien allié, le PS pour sauver ses élus locaux, ou rompre sachant qu’il n’a plus le leadership à gauche.

A la fin des années 90 un courant, mouvement, dit altermondialiste a pris conscience du changement, des perspectives inquiétantes et de l’urgence d’un nouveau type de mobilisation... Soulevant un immense espoir, il s’est rapidement englué dans les problèmes bureaucratiques, les compromissions politiciennes, l’expression des égos surdimensionnés des nouveaux leaders. Il a subit l’assaut plus qu’intéressé des organisations politiques traditionnelles qui voyaient là un vivier de militants et d’idées. Il a finalement fini exsangue aux marges d’une classe politique de gauche débile et d’un mouvement social désorienté, incapable, sinon dans les formes anciennes de penser un nouveau rapport au politique.

On en est là aujourd’hui alors que les gestionnaires du capital, profitant d’un évanouissement du mouvement social épuisé par de vaines mobilisations, de vains débats, de vaines querelles partisanes, passent à la vitesse supérieure pour « moderniser l’économie et la politique », autrement dit, liquider les acquis sociaux de plus d’un siècle et soumettre notre société aux exigences de la valorisation du capital.

UNE INCOMPREHENSION TOTALE DE LA NOUVELLE SITUATION

La vieille tactique qui consistait à dire, « faisons de la propagande, accédons au pouvoir, et mettons en place une politique progressiste sur le plan économique et social »,... ne marche pas,... et donne encore moins l’illusion de marcher car le système ne peut plus, dans le cadre de la mondialisation s’acheter la paix sociale par des concessions.

Cette vieille tactique a plus ou moins fonctionné tant que le système se satisfaisait de son existence dans le cadre des « états nations » : la Gauche accédait au pouvoir et faisait des réformes sociales que le système pouvait économiquement supporter.

Avec la mondialisation, qui est en fait la mondialisation de la valorisation du capital, tout change : le coût économique des acquis sociaux entrave le bon fonctionnement du capital qui a d’autres horizons pour se valoriser. L’arrivée de la « Gauche » au pouvoir dans les différents pays européens montre que cette pratique politique aboutit inéluctablement à la gestion libérale du système. Les programmes politiques sociaux tels que pouvait les proposer la Gauche ne sont plus crédibles... car, comment expliquer autrement leur rejet par le plus grand nombre et l’adhésion de celui-ci à des programmes qui sont parfaitement contradictoires avec ses intérêts ?

Il nous faut repenser notre rapport au politique et donc à la politique de manière totalement différente.

Le problème, c’est qu’un tel bouleversement non seulement transforme notre vision de l’action politique, mais va à l’encontre des intérêts bien établis des bureaucraties politiques qui font de leur pratique électorale de parlementaires et de notables, un véritable fond de commerce. Or, ces bureaucraties verrouillent le champ et le débat politique. Demandez à un sénateur, député ou notable local de changer sa vision de l’action politique !...

Fonctionner avec ces bureaucraties c’est à coup sur se réduire à l’impuissance. La plupart ne comprennent pas la nouvelle donne, mais surtout, parmi ceux qui comprennent, ils ne veulent surtout pas changer une situation dont ils tirent personnellement milles avantages et privilèges.

Le champ de l’action politique est ailleurs...dans le champs de l’économique et du social. Nous ne pourrons convaincre au changement, et le plus grand nombre ne pourra se convaincre de la nécessité et de la possibilité du changement que si une alternative économique et sociale crédible s’impose.

Face à un capital internationalisé, incapable de dépasser ses contradictions dans le domaine du lien social et de la préservation de l’environnement, et disposant d’une puissance militaire et médiatique sans égal dans l’Histoire, nous ne pouvons jouer que sur son pourrissement et donc à partir des structures alternatives que nous construirons.

Patrick MIGNARD

Patrick Mignard enseigne l’économie à l’I.U.T. de Toulouse (Université Toulouse III). Il est également chercheur au LERASS (Laboratoire d’Etudes et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales).

http://www.fedetlib.net/carnets/tb.php?id=80

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Analyse/réflexions c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 2110