Une tribune pour les luttes

La démocratie du « n’importe quoi »

par Patrick Mignard

Article mis en ligne le lundi 1er octobre 2007

Dans un grand journal du soir, français, daté des 22 et 23 juillet, à propos de la situation en Turquie et plus particulièrement du succès populaire du parti des « islamistes modérés », le AKP, on pouvait lire un reportage sur le « petit peuple des barbecues » qui constitue la partie la plus pauvre de la société turque et qui se voit, par les autres classes, montré du doigt car, « tous les week end ils envahissent les espaces publics avec leurs familles et leurs barbecues ».

A une question du journaliste, l’un d’eux répondant : « c’est pour cela que nous allons voter pour un parti qui nous accorde le droit d’allumer nos barbecues » (???)

UNE DÉRIVE DE LA DÉMOCRATIE

Remarque anodine diront certains et même prêtant à sourire. En sommes nous si sûrs qu’il faille sourire ? Pas à cause de ce qu’est ce parti… que ce soit celui là ou un autre, là n’est pas le propos, mais sur le principe que recouvre ce type d’attitude de la part de ce qui s’appelle et que l’on appelle un citoyen.

La question qui se pose, quand on voit ce genre d’attitude, c’est tout simplement : est ce cela la démocratie ?

Bien sur, les puristes politiques, et il n’en manque pas, me rétorqueront que ce n’est qu’une expression et qu’elle reflète une réalité sociale et politique,… et qu’il ne faut pas prendre l’expression au « pied de la lettre ».

Pourtant, le comportement que l’on qualifie de citoyen, même dans un pays comme la France, se résume parfois, souvent, à une défense d’intérêts particuliers, accessoire, voire un fantasme,… et même quand ces intérêts sont collectifs, leur décalage total avec la réalité sociale en fait des particularismes élevés au rang de, sinon valeurs politiques, du moins éléments de positionnement politique. Un exemple ? un parmi tant d’autres… « les dates d’ouverture de la chasse au canard »(?)

Un tel comportement, une telle situation fait de la démocratie un « fourre tout » inextricable ou l’« impression », le « fait divers » tiennent lieu de « conscience politique ».

L’INSTITUTIONALISATION DU « N’IMPORTE QUOI »

Le système politique tel qu’il est conçu aujourd’hui, dans ce que l’on appelle les « démocraties modernes » est essentiellement fondé sur ce « n’importe quoi ».

Quel est ce « n’importe quoi » et quel sens a-t-il ?

« N’importe quoi » signifie que la volonté politique, peut se fonder sur tout et son contraire, sur des détails souvent inessentiels de la vie quotidienne. L’éclatement et la diversité des « intérêts » fait que le particularisme, l’accessoire, l’emporte sur l’essentiel. L’exemple des « barbecues » est significatif : le choix politique s’arrête à ce simple aspect d’une réalité sociale qui est autrement plus complexe et dont souvent le particularisme n’est que le révélateur. Le signifiant devient le signifié et acquière un statut d’impératif catégorique.

Au nom d’une conception particulièrement démagogique et perverse de la « liberté », le système dit « démocratique » a institutionnalisé cette pratique non pas qu’il faille taire ces revendications, mais, vouloir en faire la colonne vertébrale de l’investissement citoyen est la meilleur manière d’en détourner le sens… et les politiciens ne s’en privent pas.

Quand on observe de près le fonctionnement de la politique c’est effectivement aujourd’hui, comme cela, que fonctionne les « démocraties »… Les politiciens « déguisés en Père Noël » se livrent à une surenchère de promesses alléchantes, enveloppées dans un verbiage pseudo philosophico-économico-scientifique, pour faire bonne mesure, et se donner, et surtout, donner l’illusion de la profondeur de pensée discours toujours écris par des professionnels de la manipulation, du marketing politique et des experts toujours prêts à vendre leurs « compétences ».

Le citoyen se place en demandeur et le politicien en offreur reproduisant parfaitement le schéma du marché.

Nous avons là les bases les plus fétides du populisme.

UNE DÉMOCRATIE DÉGÉNÉRÉE

Cette dégénérescence populiste est scrupuleusement entretenue, vantée et même louée, par une classe politique qui y trouve tout son intérêt ; en effet une telle situation est propice aux promesses démagogiques, à la rhétorique de « super marché », voire au clientélisme.

L’attitude politique, la parole politique, le discours politique sont fabriqués non plus à partir d’idées et de conceptions, encore moins de pratiques, portant sur l’organisation sociale, réfléchies et soumises à la critique publique, mais à partir du glanage des désirs, voire fantasmes des électeurs. Le discours politique devient une sorte de mixture dans lequel tout le monde doit y trouver ce qu’il cherche.

Dénoncer cette escroquerie c’est risquer les foudres des pseudo démocrates qui tiennent absolument à ce que le peuple, toujours prenant prétexte de la liberté d’opinion et d’expression, ne s’en tienne qu’à ces/ses considérations superficielles.

L’intérêt de tout cela c’est que rien n’est abordé sur le fond, tout reste à la périphérie des grands problèmes qui, tout en étant la cause de ces « particularités », ne sont jamais mis et débattus sur la place publique. L’essence même du politique et donc de ce qui devrait constituer l’élément essentiel du fonctionnement démocratique, est sacrifiée sur l’autel des cuisines partisanes et des intérêts des clans politiciens.

Les organisations politiques qui ont la prétention de changer la société ont été emportées par le flot de la démagogie ambiante et n’hésitent pas, elles non plus, à en rajouter dans les promesses. La teneur des discours change mais la problématique reste la même… on promet, pas tout à fait les mêmes chose (encore que !),… mais ce que l’on appelle, pas du tout originalement, « être à l’écoute du peuple » revient à fonder son action politique sur le plus petit commun dénominateur de ce que l’électeur moyen, gavé d’absurdités diffusées par les médias, est capable d’ingurgiter.

Tant que nous ne changerons pas de problématique politique, tant que nous adopterons le système pervers de la soit disante « conquête - du - pouvoir - avec - un - programme - répondant - aux - besoins - du - peuple », non seulement nous serons dans le « n’importe quoi », mais nous n’arriverons même pas à l’imposer,… les aigrefins de la politique, maîtres chanteurs des médias, feront, en la matière, toujours « mieux » que nous.

Patrick MIGNARD

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