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Amnesty International publie le rapport sur les pistolets paralysants qu’elle a soumis au ministère de la Justice des Etats-Unis

Article mis en ligne le vendredi 12 octobre 2007

Amnesty International publie le texte du rapport qu’elle a présenté à une commission d’enquête du ministère de la Justice sur les cas de personnes mortes après avoir reçu des décharges de Tasers et autres armes électriques. Amnesty International a remis son rapport le 27 septembre à Washington, DC, en y joignant un communiqué destiné au groupe d’experts médicaux assistant la commission d’enquête.

La commission d’enquête du ministère de la Justice (créée en juin 2006 et devant rendre ses conclusions en 2008) étudie plus de 100 décès de personnes maîtrisées par des policiers au moyen de Tasers ou d’armes électriques similaires, pour savoir si ces instruments ont joué un rôle déterminant dans ces décès.

Amnesty International se félicite de cette enquête du ministère de la Justice et de cette occasion d’exposer ses préoccupations. Dans son rapport, Amnesty International a de nouveau exprimé ses préoccupations relatives à l’usage d’armes à décharge électrique pour le maintien de l’ordre, s’interrogeant sur l’innocuité de ce matériel mais aussi sur les risques d’abus.

Amnesty International s’est déclarée inquiète de ce que les armes du type Taser ont été déployées aux États-Unis avant qu’on ne dispose des résultats de tests rigoureux, indépendants et exhaustifs sur les risques de ces armes pour la santé. Les recherches déjà existantes ont conclu que les risques d’effets indésirables des pistolets électriques sont généralement faibles chez l’adulte en bonne santé, mais des études ont également montré qu’il fallait mieux connaître les effets de ces armes sur les personnes affectées par des problèmes de santé, la toxicomanie ou d’autres facteurs. Selon Amnesty International, les données recueillies dans plus de 290 cas de personnes ayant trouvé la mort depuis 2001 après avoir été touchées par un Taser de la police indiquent que de nombreuses personnes décédées appartenaient aux catégories « à risque ». Quinze de ces décès se sont produits au Canada, et le reste aux États-Unis.

Les examens médicaux avaient généralement attribué la cause du décès à d’autres facteurs, comme la toxicomanie, mais, selon Amnesty International, il faut procéder à de nouvelles recherches sur les effets des décharges électriques dans diverses situations : personnes perturbées ou sous l’emprise de drogues ; cardiaques ; personnes déjà soumises à un moyen de contrainte ; ou en cas d’infliction de décharges multiples ou prolongées. Dans au moins 20 rapports d’autopsie examinés par Amnesty International, les coroners ont cité les pistolets électriques comme la cause directe ou aggravante des décès, parfois combinée à d’autres facteurs.

Les données recueillies par Amnesty International montrent que la plupart des personnes décédées avaient reçu plusieurs décharges, et que 92 d’entre elles avaient subi de trois à 21 décharges. Une personne avait reçu des décharges répétées alors qu’elle se trouvait menottée, suivant des cycles de dix-neuf, douze et dix secondes ; une autre personne est morte après avoir reçu une décharge ininterrompue de cinquante-sept secondes. Selon Amnesty International, la possibilité de prolonger la décharge électrique au-delà de cinq secondes, tant que le policier garde le doigt sur la détente, peut accroître dangereusement le degré de stress, et il faut impérativement que des experts indépendants et compétents étudient les effets psychologiques et physiologiques des décharges prolongées ou répétées.

Amnesty International a également déclaré : « Le degré de risque tolérable lié aux pistolets paralysants, ainsi qu’à toutes les armes et instruments de contrainte, doit être évalué par rapport à la menace. Il est évident que les pistolets électriques sont moins dangereux que les armes à feu, lorsque des policiers sont confrontés à une grave menace qui pourrait déboucher sur un usage de la force meurtrière. Cependant, la grande majorité des personnes décédées après avoir été touchées par des pistolets paralysants étaient non armées, et ne constituaient pas une menace de mort ou de blessure grave au moment où elles ont reçu des décharges électriques. Dans de nombreux cas, ces personnes ne semblaient représenter aucune menace réelle. »

Sur les 291 morts signalées, Amnesty International n’a pour l’instant recensé que 25 personnes qui auraient porté une arme au moment où elles ont reçu des décharges électriques. Aucune n’était munie d’une arme à feu.

Amnesty International reconnaît qu’il peut exister des situations « à distance » où les pistolets électriques à aiguilles peuvent être utilisés de manière efficace au lieu d’armes à feu, afin de sauver des vies. Cependant, la possibilité d’utiliser ces armes en mode incapacitant à bout portant (ce qui permet souvent de les utiliser comme instrument d’« obéissance par la douleur » sur des personnes déjà en détention), et la capacité d’infliger une douleur sévère par des décharges multiples et prolongées font que ces armes se prêtent intrinsèquement aux abus.

Amnesty International note avec inquiétude que de nombreuses forces de police aux États-Unis utilisent régulièrement les pistolets électriques comme moyen de contrainte pour maîtriser des personnes récalcitrantes ou perturbées qui n’occasionnent pas de risque sérieux. Cet usage a été constaté sur des mineurs, n’ayant parfois pas plus de neuf ans. Cette pratique contrevient visiblement aux normes internationales en vertu desquelles la police ne doit recourir à la force qu’en cas de « stricte nécessité », et proportionnellement à la menace rencontrée.

Les préoccupations exprimées par Amnesty International auprès de la commission d’enquête du ministère de la Justice ne sont pas atténuées par une étude dont les résultats ont été publiés cette semaine, émanant de spécialistes urgentistes de Wake Forest University. Cette étude, qui s’est penchée sur presque 1000 cas d’utilisation de pistolets paralysants sur le terrain, a conclu que les lésions étaient rares et, dans la plupart des cas, semblaient sans gravité.

Amnesty International n’a aucune raison de contredire les conclusions de l’étude de Wake Forest, et se félicite que les recherches continuent dans ce domaine. Cependant, l’étude ne dit rien de l’usage détourné des pistolets paralysants ni de la pertinence du recours à ces armes dans des cas où la personne touchée a trouvé la mort aussitôt après. L’étude ne semble pas avoir évalué avec précision les effets du Taser en fonction des facteurs de risque (par exemple l’infliction de décharges multiples ou prolongées, surtout quand la personne visée subit déjà d’autres moyens de contrainte), ni testé les effets de cette arme sur des groupes particuliers, comme les personnes sous l’emprise de drogues, agitées ou cardiaques. Selon Amnesty International, ces questions doivent encore être résolues, et nous espérons que l’étude du ministère de la Justice y répondra.

Amnesty International demande à tous les organes gouvernementaux et chargés du maintien de l’ordre de cesser d’utiliser les Tasers et armes similaires tant que des études exhaustives et indépendantes n’auront pas été menées sur leurs usages et effets, ou de limiter ce recours à des situations où les policiers seraient légitimement amenés à faire usage d’une force meurtrière, lorsqu’aucune alternative moins dangereuse n’est possible. L’utilisation des armes électriques de type Taser doit être encadrée par des normes et une surveillance strictes.

www.amnesty.fr/

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