Une tribune pour les luttes

Témoignage d’une militante RESF

Du traitement réservé aux enfants en Centre de Rétention

Et les enfants dans tout ça ?

Article mis en ligne le mercredi 16 avril 2008

Coup de cœur affectif là où il vaudrait mieux se blinder…

J’ai eu l’occasion avec le Réseau Education Sans Frontières d’accompagner à quelques reprises des familles de sans papiers au tribunal (de grande instance ou administratif). Si nous sommes présents pour aider les parents à trouver une solution pour rester en France, je tiens à porter mon regard aujourd’hui sur les enfants. A plusieurs reprises, j’ai essayé de placer mon regard à leur niveau.

Imaginez, les cinq enfants de la famille Aouchev à Vesoul.
En mars dernier, à 6 heures du matin, les gendarmes débarquent dans l’appartement pour les placer en garde à vue. (Même scénario chez les Dadayev à quelques kilomètres de là). Puis, 9 heures de route pour arriver au centre de rétention d’Oissel, à l’autre bout de la France.
Le lendemain, ils passent devant le juge des libertés qui va statuer sur la légalité de la rétention au tribunal de grande instance de Rouen. Deux fourgons sont nécessaires pour amener la famille sur place, le père menotté dans le dos pour les déplacements, puis au siège dans le couloir pendant la longue attente.
Les enfants sont assis très sagement le visage fermé. Les deux grands (9 et 11 ans) nous servent d’interprètes. Ils vont à l’école, ils se débrouillent en français. Je remarque leurs chaussures de sport neuves… sans lacet. S’ils ont besoin d’aller aux toilettes, je les accompagne, suivie d’un policier qui restera devant la porte.
Une fois dans le bureau du juge, il n’y a pas assez de sièges : les cinq enfants (2, 5, 7, 9 et 11 ans approximativement) sont donc rangés sagement dans un coin, debout, les mains dans le dos. Ils sont engoncés dans leurs anoraks bien fermés alors que tous les adultes ont retiré le manteau. L’audience durera deux heures. Petit à petit, avec mes camarades, nous inviterons les enfants à retirer leurs manteaux, s’asseoir par terre, aller aux toilettes avec un chaperon… histoire de se dégourdir les jambes…mais rester sage, silencieux. Le plus petit pliera les vêtements consciencieusement pour les donner à sa grande sœur qui les empilera près d’elle. Je ne sais pas ce qu’ils comprennent de la discussion entre leurs parents, l’avocat, le juge et la représentante de la préfecture (Celle qui est chargée d’enfoncer le clou : c’est un métier, ça… oui !).

Lorsque le plus petit cherchera à voir ses parents, aucun angle de vue ne le lui permettra. Il se réfugiera contre les grands. Ils n’ont que les mains pour jouer, ouvrir et fermer les scratchs. Il faudrait dire à tous les parents de sans papier d’acheter des chaussures à scratch, cela évitera l’humiliation des lacets retirés et offre une possibilité de jeu en attendant les audiences (parce que pendant : on vous fait arrêter). On joue avec les doigts, des petits coucous qui occupent l’esprit et font sourire les plus jeunes. Petit à petit, ils se resserrent pour finir en un bloc compact, se caressant les cheveux, se réconfortant. Ils auront vu leurs parents tour à tour silencieux, se défendre bec et ongles ou pleurer devant le juge. La tension est très forte.

Pendant ce temps, les parents Dadayev et leurs trois enfants (dont un tout petit d’à peine un an) attendent. Ils sont arrivés au tribunal en même temps. Les gendarmes leur ont épargné les trois heures dans le couloir et leur ont donné accès à une salle d’audience vide. Ils restent avec eux pour les surveiller mais là, le père n’est pas entravé. Il est près de treize heures lorsqu’ils passent devant un autre juge. Mais les conditions d’accueil restent les mêmes : debout et en silence. Le petit commence l’audience sur les genoux de sa maman puis se tord dans tous les sens. Elle le laisse aller. Il va et vient. Les filles un peu plus grandes (4 et 6 ans ?) veulent câliner leur mère qui les rabroue. Ce n’est pas le moment. Le regard noir du père est éloquent. Elles retournent à l’arrière et jouent avec les lattes de parquet. Ils n’ont pas mangé mais restent stoïques. A chaque fois, devant la porte 2 ou 3 policiers montent la garde.

Ces deux familles auront de la chance, elles seront libérées le soir même mais devront retourner par leurs propres moyens (ceux du réseau) dans leur région où elles sont assignées à résidence (avant leur « réadmission » en Pologne).

Le 8 avril, c’est au tour de la famille Mentiev d’être arrêtée chez elle près de Pontarlier. Pas de passage en garde à vue, mais transport direct vers Oissel (9 heures de trajet) puis, le mercredi matin aux aurores, départ pour un aéroport parisien (2 heures de trajet au moins). La maman fait un malaise lors de l’embarquement. Retour à la case Oissel (2 heures en plus) puis en route vers le tribunal de Rouen où l’attente sera de plus de 2 heures pour passer devant le juge. Ils ne laissent rien paraître de leur angoisse sauf un tapement nerveux sur le parquet de la « petite » de 11 ans qui était allée se blottir aux pieds de son père entravé lorsqu’ils patientaient dans le couloir.

Cette fois-ci pas de vice de procédure, la rétention est confirmée et prolongée pour quinze jours. Si rien ne se passe, ils seront sans doute conduits à l’avion jeudi prochain. Pour un retour dans cette Pologne qui ne veut pas les accueillir et les renverra se faire persécuter voire trucider en Russie.

En attendant ils sont retournés au centre de rétention où ils n’ont pas accès à ce qui peut ressembler à un crayon ou un stylo… ils disposent d’un bac de jouets mais ne peuvent pas jouer au sol.

Où sont les droits de l’enfant dans les centres de rétention ? On pourrait envisager des animateurs ou une structure de petite enfance au sein des centres, mais doit-on rendre les conditions de vie des enfants meilleures en centre de rétention ?

N’est-ce pas la rétention qui est inacceptable ?

Les juges estiment être humains en ne séparant pas les familles. Mais est-il humain de faire vivre aux enfants la rétention ?

Y a-t-il de l’humain dans le concept de rétention ?

Quelle faute énorme hormis le fait d’avoir voulu vivre en France, d’avoir passé la frontière ou s’être installé ici illégalement ont commis leurs parents pour qu’on leur inflige cela ? Quel danger représentent-ils pour la société pour qu’il faille les mettre au ban de la société ? Quelle différence ces enfants peuvent-ils faire avec la prison ?

Les enfants que j’évoque ici sont des tchétchènes qui ont vécu la guerre puis la persécution familiale puis le passage clandestin en Pologne puis en France et qui pensaient s’être posés. Qu’est-ce qui s’imprime dans leur tête déjà pleine de traumatismes ? Comment vont-ils se construire avec ces angoisses, ces humiliations, ces rejets ?

Maintenant, les juges s’en lavent les mains : ce ne sont pas les enfants qui sont en rétention, mais leurs parents. En tant que juges, ils ne peuvent pas statuer sur leur sort. Donc, ils font comme s’ils n’étaient pas là…

Et nous, quel rôle jouons-nous là dedans ? On voudrait les aider, on essaie de les aider, parfois on y arrive mais pour combien de temps ?

Faut-il continuer à les accompagner pour jouer le rôle du témoin ?

Du seul témoin impuissant mais du bon côté de la frontière.

Aujourd’hui, j’ai envie de hurler car il ne me reste plus que le cri pour espérer faire entendre ce silence assourdissant des enfants au regard profondément désespéré qui s’accroche à notre sourire comme à une bouée.

Muriel Quoniam

Rouen, le 10 avril 2008

http://www.educationsansfrontieres.org/spip.php?article12864

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