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"la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde"

Immigration : La France et la misère du monde

parThierry Pech

Article mis en ligne le mardi 24 avril 2007

A propos de l’idée selon laquelle "la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde", on trouve un très intéressant contre-argumentaire sur le blog de Thierry Pech (en date du 28 mars) :

http://thierrypech.blogs.nouvelobs.com

28.03.2007

Immigration : La France et la misère du monde

A propos de mon dernier billet, plusieurs commentaires soulèvent l’argument selon lequel « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». J’aimerais réagir à cet argument que l’on entend désormais à tout propos et dont l’évidence me paraît dangereusement trompeuse.

Qu’en est-il au juste de la « misère du monde » ? Selon la Banque mondiale, la planète compterait aujourd’hui quelque quatre milliards de pauvres, soit près des deux tiers de la population mondiale (estimée à 6,6 milliards d’individus). On peine à imaginer qu’une telle quantité de femmes et d’hommes puisse venir trouver refuge entre le Rhin et le Finistère. Ce point est tellement évident qu’il semble même inutile de le rappeler aussi souvent. D’autant que, parmi ces quatre milliards de pauvres, en réalité, peu sont réellement mobiles. En effet, selon l’Organisation internationale des migrations, 191 millions d’individus vivraient actuellement dans un pays où ils ne sont pas nés. Soit environ 3% de la population mondiale. Sur ce total, notre pays en accueille, pense-t-on, environ cinq millions (Insee, 2006), dont deux millions ont acquis la nationalité française. Il nous reste donc trois millions de migrants non nationaux installés sur notre sol, soit 1,8 % de la totalité des émigrés mondiaux. A supposer que toutes ces personnes fassent partie des quatre milliards de pauvres recensés par la Banque mondiale (ce qui n’a rien d’évident), notre part à la « misère du monde » se situerait donc aux alentours de 0,075% et probablement en-dessous. Si la répartition des pauvres entre les nations était parfaitement équitable, notre pays qui représente environ 1% de la population mondiale, devrait en accueillir 13 fois plus. Dieu merci, ni la France ni l’Europe ne renvoient, par leur composition sociale, une image fidèle de ce qui se passe au niveau global, car nous compterions alors 40 millions de pauvres dans l’Hexagone ! Si inappropriées soient-elles, ces projections ont toutefois l’avantage de nous faire sentir la nécessaire mesure des appréciations en la matière, mesure qui fait si cruellement défaut dans ces parages.

De fait, non seulement la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais cette éventualité est très loin d’être à l’ordre du jour. Et ce d’autant plus que les flux d’immigration sont actuellement très inférieurs dans notre pays à ce qu’ils sont en Grande-Bretagne, en Espagne ou en Italie, et même inférieurs à la moyenne européenne (UE à 15). Ils sont aussi très inférieurs à ce qu’ils furent voici quatre décennies dans notre propre pays. Non seulement nos « importations de pauvres » (pour utiliser un vocabulaire imagé particulièrement en vogue) ont décéléré, mais nous partageons désormais les flux migratoires à destination de l’Europe occidentale avec de nouvelles terres d’accueil (notamment l’Espagne et l’Italie qui, il y a encore une vingtaine d’années, n’étaient pas des pays d’immigration mais plutôt d’émigration).

Le début de l’argument mérite également une attention particulière : « La France ne peut pas accueillir... ». En effet, à bien y réfléchir, les capacités d’accueil (logement, emploi, éducation, etc.) sont un bien curieux critère. Si vraiment le problème n’était qu’une affaire de capacité d’accueil, la question ne serait pas de savoir si tel nouveau venu est né ailleurs, s’il parle ou non français, s’il est ou non qualifié, etc. Le seul problème que nous poserait cet individu serait... son arrivée parmi nous. Au même titre que n’importe quel enfant nouveau-né sur le sol français de parents français, par exemple. En effet, sous le rapport des seules capacités d’accueil, chaque individu compte pour un, quelles que soient par ailleurs ses origines, sa culture ou même son « employabilité ». De ce point de vue, la gestion du solde migratoire ne se distingue pas de la gestion du solde naturel en général, et il conviendrait de planifier toutes sortes d’évolutions démographiques à la même aune. S’est-on demandé par exemple, au début du baby-boom, si nous aurions 70 ou 80 ans plus tard des capacités suffisantes pour accueillir une population vieillissante dont le nombre, l’état de dépendance et le coût social croissent à proportion de la longévité ? Déterminera-t-on bientôt des quotas d’enfants par couple à ne pas dépasser parce qu’une savante planification aura fixé scientifiquement les limites de nos capacités d’accueil à l’horizon d’une improbable prospective ? Devrait-on ainsi cesser de procréer parce que la situation actuelle du logement et de l’emploi ne permet pas d’offrir à chacun un toit et un travail ?

J’entends d’ici les sceptiques : « Quel manque de réalisme ! Nous avons déjà du mal à donner un emploi à chacun et il voudrait nous persuader que nos capacités d’accueil ne sont pas saturées ». Aux sceptiques, je voudrais dire ceci. Quand, entre 1870 et 1920, cinquante millions d’Européens (et, parmi eux, beaucoup de pauvres parlant des langues très diverses et priant des dieux assez différents) traversèrent l’Atlantique pour gagner le Nouveau monde, ils ne se demandèrent pas s’il y avait cinquante millions d’emplois qui les attendaient à la descente du bateau. Et ils contribuèrent pourtant à bâtir l’économie la plus puissante du monde. Je voudrais soumettre à la méditation de chacun une histoire récoltée, entre mille autres semblables, au musée de l’immigration d’Ellis Island, à quelques minutes de bateau de Manhattan. Un immigrant italien arrivé à l’âge de 6 ans sur le sol américain au tout début du XXe siècle y a laissé ce témoignage : « Avant de partir, mes parents m’avaient dit que l’Amérique était un pays où les rues étaient pavées d’or. Quand nous sommes descendus du bateau, j’ai compris trois choses. La première, c’est que les rues n’étaient pas pavées d’or. La deuxième, c’est qu’elles n’étaient pas pavées du tout. Et la troisième, c’est que c’est nous qui allions devoir les paver et les recouvrir d’or. » La moralité de cette histoire, si je puis dire, c’est que la quantité de population n’est pas pour rien dans la croissance d’une économie et qu’en dépit des apparences ou des croyances, l’immigration n’est l’ennemi ni de l’emploi ni de la consommation. Le « coût de l’immigration » ne saurait donc être mesuré sérieusement qu’en étant confronté aux bénéfices de l’immigration. Sur ce point, les polémiques sont nombreuses et le solde final dépend beaucoup du moment où l’on arrête les comptes. Si l’on tente de faire ce calcul quelques jours après que notre jeune italien est descendu du bateau, il y a fort à parier que le solde sera négatif. Mais si l’on fait le calcul, quelques années plus tard, alors même que ses parents ont commencé de paver les rues, alors le solde sera certainement positif.

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