Une tribune pour les luttes

LES AMBIGUITES DE L’ABSTENTION

par Patrick MIGNARD

Article mis en ligne le samedi 14 avril 2007

Je peux d’autant mieux parle librement de l’abstention que je suis un abstentionniste. Pourtant je ne tire de cette situation, ni honte, ni fierté. Cette attitude m’est imposée par un système inique et manipulateur qui dépossède le citoyen d’un pouvoir qualifié de « souverain ». Ne pas dénoncer les apparences et s’y conformer fait de nous des complices. Pourtant...

Les élections font de moins en moins illusions. Même pour un observateur peu curieux il est aujourd’hui évidents qu’elles constituent plus un alibi à un système qui se dit démocratique qu’un réel moyen d’expression des citoyens.

L’abstention tente de plus en plus celles et ceux qui sont appelés aux urnes.

L’abstention fait de plus en plus peur aux politiciens qui voient là, à juste titre, un désaveu cinglant de leur démagogie.

Le vote a fondé le fonctionnement « démocratique » de notre société. Le problème c’est le fossé qui se creuse entre ce que l’on pouvait espérer du vote et ce qui se passe réellement... au point que ce fonctionnement apparaît comme de moins en moins, et même plus du tout, démocratique.

Le vote apparaît aujourd’hui comme le meilleur moyen pour que ... rien ne change. Car, même si les majorités changent, rien ne change véritablement dans la situation économique et sociale de l’immense majorité.

LA FIN DES ILLUSIONS

L’illusion a pu jouer tant que les forces politiques avaient des « programmes » sensiblement différents. Il est vrai qu’un « programme de Gauche » était « plus social » qu’un « programme de Droite ». Ceci a été vrai tant que l’Etat-nation garantissait la possibilité de réformes par des politiques économiques... et encore, le recul nous montre que ce ne fut qu’une situation conjoncturelle aujourd’hui complètement remise en question.

L’internationalisation du capital, autrement dit la mondialisation marchande a relativisé la compétence et le champ d’action de l’Etat.

Cette situation a deux conséquences importantes :

- les marges de manœuvre de l’Etat étant réduites, pour garantir à la fois les intérêts des salariés et la pérennité du système, les politiques de droite et celles de gauche sont quasiment identiques.

- les « acquis » durement gagnés durant les dernières décennies sont tous remis en question, et ce, aussi bien par la Droite que par la gauche

L’Etat se révèle ainsi être ce qu’il est vraiment : le garant du système marchand. L’illusion de l’« Etat arbitre » ; l’« Etat neutre », l’« Etat garant de l’intérêt général », s’effrite peu à peu.

L’« Etat providence » qu n’était en fait qu’une attitude opportuniste pouvant allier les intérêts fondamentaux du capital et les intérêts conjoncturel des salariés... a laissé la place à ce que nous connaissons aujourd’hui : l’« Etat gendarme ».

La « paix sociale » ne s’achète plus avec des concessions faites aux salariés, mais par la criminalisation des conflits sociaux et l’usage de la répression.

Dans ces conditions voter pour la Droite, de même que pour la Gauche apparaît comme une duperie.

UNE SITUATION CORNELIENNE

Aujourd’hui, beaucoup vont voter un peu comme ces pratiquants qui vont au culte sans être bien sûr que Dieu existe,... mais ils ont leurs habitudes et puis « on sait jamais », « tout le monde le fait », « il vaut mieux ça que rien ».. et puis il paraît que c’est non seulement« un droit mais aussi un devoir »... qu’il y en a qui « sont morts pour ce droit »... Alors on y va, sans conviction, mais on y va.

Mais l’essentiel n’est il pas aujourd’hui pour le système « qu’on y aille »... peu importe ce que vous votez, mais votez ! C’est dans ce simple geste que le système fonde sa légitimité. « VOTES DUR, VOTEZ MOU, MAIS VOTEZ DANS LE TROU » (Slogan de Mai 68)

Beaucoup de celles et ceux qui vont voter le font s’en se faire trop d’illusion... Il y a certes un réflexe plus ou moins légitimiste provoqué par le conditionnement social de ce que doit-être un « citoyen responsable ». Mais il y a aussi incontestablement la « peur du vide ». « Il vaut mieux ça que rien »

Alors on ne sait plus trop ce qu’il faut faire... , voter ou s’abstenir.

Dans les deux cas, celle et celui qui a pris conscience de ce qu’est la comédie des élections peut se sentir culpabilisé-e :

- s’il vote, il cautionne une situation qu’il ne maîtrise pas.

- s’il ne vote pas il subit une situation qu’il ne maîtrise pas

Dans les deux cas, la situation est politiquement intenable.

MILITER POUR L’ABSTENTION ?

Le champs de « la » politique est hors du champ « du » politique.

Militer pour l’abstention est, dans le fond, sinon dans la forme, aussi inutile que d’aller voter.

Il est évident qu’en l’absence, ce qui est le cas aujourd’hui, d’alternative crédible, l’appel à l’abstention n’a non seulement aucune chance d’être massivement entendu... mais n’offre aucune perspective concrète.

Manifestation de révolte et d’opposition parfaitement compréhensible et légitime face au scandale de ce qu’est l’élection, elle n’offre aucune alternative. C’est un mouvement de révolte froide qui n’ouvre aucun avenir.

Je ne milite pas pour l’abstention car l’abstention ne mérite pas une militance. Elle n’est pas quelque chose de positif mais un refus. Si je ne vote pas c’est parce que l’élection n’a actuellement, à mes yeux, aucun sens et est même dans la plupart des cas (mis à part dans une élection locale dans un village), un déni de la démocratie.

Militer pour l’abstention serait tomber dans le piège même que l’on dénonce... Ce serait se battre sur le même champ... Or c’est de champ, de problématique, que l’on doit changer.

ALORS ?

Alors, il faut dépasser ce stade de la révolte. Sortir du champ de l’élection dans lequel nous cantonne la simple abstention et invertir « le » politique et le social en abandonnant « la » politique.

Bien sûr que c’est et sera difficile, ne serait ce que parce que toute notre formation civique, même i on en a une vision critique nous a façonné, au plus profond de nous même, en « bon petit électeur discipliné » » et surtout ne nous a jamais montré qu’il pouvait y avoir autre chose, une autre conception du politique.

L’abstention peut apparaître comme spectaculaire, comme une révolte peut l’être... mais après.

Imaginons une abstention massive, de l’ordre de 60-70% voire plus... Et alors.

Que va-t-il se passer ? Qui va « prendre la main » ? Quelle perspective peut se dégager ?

Vous ne voyez pas ? Moi non plus ! Là est le vrai problème.

Si au-delà de la démarche abstentionniste, qui certes peut être un moment important de prise de conscience et de manifestation d’opposition, il n’y a pas autre chose... quelque chose de plus concret, de plus consistant, de plus fondamental... l’abstention restera une simple manifestation de désaccord.... Et le système peut se satisfaire d’une importante « non participation » à condition que sa stabilité sociale et économique ne soit pas remise en question.

C’est donc sur ce terrain que l’action doit se centrer... sur la déstabilisation du système dominant en montrant que l’on est capable de faire autrement, de s’organiser socialement autrement...

Alors l’abstention ! oui, mais n’en faisons pas une « religion » comme les participationnistes font de la participation une religion. Ne restons pas à leur niveau. Réinventons la pratique politique et la citoyenneté sur d’autres bases et dans un champ différent. Inventons un monde pas seulement dans nos têtes, mais concrètement dans notre pratique quotidienne.

Patrick MIGNARD

Voir également les articles :

« VOTER EST UN DROIT MAIS EST-CE VERITABLEMENT UN DEVOIR ? »

« VICTOIRE DE LA POLITIQUE, MORT DU POLITIQUE »

« SE REAPPROPRIER L’ECONOMIQUE ET LE SOCIAL »

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Analyse/réflexions c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 2110