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Le mouvement des indignées : passer à l’étape suivante par Josep Maria Antentas, Esther Vivas

+ La révolte des indigné-e-s. Notes depuis la Plaza Tahrir de Barcelone. 22 mai 2011 Josep Maria Antentas, Esther Vivas

Article mis en ligne le jeudi 16 juin 2011

Le mouvement des indignées : passer à l’étape suivante
par Josep Maria Antentas, Esther Vivas

9 juin 2011

http://www.cadtm.org/Le-mouvement-des-indignees-passer

Cela fait déjà quatre semaines. Quatre semaines que le paysage politique et social dans tout l’Etat espagnol a été bouleversé par l’irruption d’un mouvement que personne n’attendait. Ce mouvement a déjà à son actif quelques victoires politiques face à la Junte Electorale d’abord, et face à la tentative d’expulsion du camp de Barcelone ensuite. Et, surtout, il a mis fin à la passivité résignée face aux attaques contre les droits sociaux.

Après d’intenses journées d’activisme, la fatigue et l’épuisement laissent des traces dans les campements. Les difficultés de gestion de plusieurs d’entre eux sont notoires. Leur temps s’achève. Car ces campements et occupations de places ne sont pas une fin en soi. Elles ont agit à la fois comme symboles de référence et bases d’opération, comme des points d’appui afin d’impulser les mobilisations de demain et comme haut-parleurs pour amplifier celles d’aujourd’hui. Lever ces camps dans une position de force, volontairement, sans entrer dans une spirale en déclin comme certains signes le laissaient déjà entrevoir, tel est le pas à faire maintenant. Et c’est ce pas qui est actuellement suivi, avec difficulté, dans de nombreux campements.

Le défi est d’être capable de gérer le succès afin de passer à la phase suivante en utilisant l’énergie et l’impulsion des campements pour continuer à avancer. Des campements et occupations des places émerge ainsi un calendrier de mobilisations immédiates. Elles doivent permettre à la fois de faire culminer la phase ouverte par le 15 mai et marquer l’entrée dans la phase suivante, pour commencer à déplacer le centre de gravité du mouvement.

Premièrement, il y a les mobilisations qui se déroulent ce samedi 11 juin dans de nombreuses localités à l’occasion de l’entrée en fonction des nouvelles majorités régionales et municipales, et cela à la suite des rassemblements qui ont été durement réprimés devant le Congrès (de la communauté autonome, NdT) de Valence ce 9 juin, avec l’investiture du nouveau gouvernement régional de droite.

En second lieu, il y a les mobilisations devant les sièges de plusieurs institutions contre les politiques d’austérité, à la suite des rassemblements du 8 juin face au Parlement à Madrid contre la réforme des négociations collectives, et celui du vendredi 10 juin face au siège du Ministère du Travail. Parmi les rassemblements prévus, ceux des 14 et 15 juin devant le Parlement catalan, pour y organiser un campement et un blocage, sont particulièrement importants.

Une mobilisation réussie le jour où la session du Parlement commence à discuter du budget peut constituer un moment clé dans les luttes contre l’austérité qui secouent depuis plusieurs mois la Catalogne, surtout dans les secteurs de la santé et de l’enseignement. Cela pourrait constituer une référence pour de futures mobilisations dans d’autres communautés autonomes lorsque ces dernières commenceront également à se pencher sur des mesures d’austérité à partir de l’automne prochain.

En troisième lieu, il est nécessaire de préparer la journée de manifestations du 19 juin (19J) dans tout l’Etat espagnol et dont le thème général proposé par le campement de Barcelone est «  La rue est à nous. Ne payons pas leur crise ». Ce rendez-vous devrait permettre de traduire dans la rue les sympathies suscitées par les campements et les occupations et de renforcer ainsi la dimension de masse du mouvement. Le défi du 19 juin est de pouvoir montrer l’élargissement politique et social du mouvement par rapport à la journée du 15 mai.

Au-delà de ces mobilisations immédiates, il faut également fixer une feuille de route pour l’étape suivante. Il est également nécessaire d’élaborer en ensemble de revendications de base qui combinent un discours général de critique face au modèle économique actuel et à la caste des politiciens, dans l’esprit du slogan central de la journée du 15M : « Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiciens et des banquiers » et avec des propositions concrètes. Faute d’un cahier de revendications communes à tous les campements, celui de Barcelone semble le plus consistant du point de vue politique et constitue un bon point de départ et de référence revendicative pour l’avenir.

Dans cette nouvelle période, on ne peut perdre de vue le caractère de référence symbolique qu’ont acquis les campements et les occupations des places. Maintenir ces symboles, en tant que « mémoire » et élément de continuité, est très important. De là la volonté de nombreux campements qui ont décidé de se dissoudre tout en maintenant une petite infrastructure sur les places (des points d’information) et d’y organiser régulièrement des assemblées.

Les chemins à prendre pour les prochains moins semblent clairs. Premièrement, renforcer l’enracinement territorial du mouvement, renforcer les assemblées locales et établir des mécanismes de coordination stables. Il sera nécessaire de trouver une méthode capable de combiner l’enracinement local et les activités unificatrices, sans tomber dans la dispersion d’objectifs. La proposition d’une consultation populaire qu’ébauchent certains activistes de la Plaza de Catalunya pourrait permettre, avec d’autres initiatives, d’atteindre un tel objectif.

Deuxièmement, établir des liens avec la classe ouvrière, les secteurs en lutte et le syndicalisme de combat et maintenir ainsi la pression sur les syndicats majoritaires, déconcertés par un changement du panorama politique et social qu’ils n’avaient pas prévu. Le défi est de porter l’indignation dans les lieux de travail, où la peur et résignation prédominent toujours.

Troisièmement, préparer la journée du 15 octobre, comme date de mobilisation unificatrice en cherchant en outre à la transformer en une journée d’action globale et un moment décisif pour l’internationalisation du mouvement.

Quatrièmement, combiner le développement d’un mouvement généraliste, le « mouvement des indignées » qui fait une critique de l’ensemble du modèle politique et économique actuel, et son articulation avec des luttes concrètes contre l’austérité et les politiques qui visent à faire payer la crise aux travailleurs-euses.

Une étape s’achève et une autre commence. Sans que l’on s’en rende compte, nous avons dans les mains un mouvement dont on commence seulement à découvrir tout le potentiel.

http://esthervivas.wordpress.com/francais/

* Traduction française par Ataulfo Riera pour le sitewww.lcr-lagauche.be

Josep Maria Antentas est professeur de sociologie à l’Universitat Autónoma de Barcelona (UAB).
Esther Vivas participe au Centre d’études sur les mouvements sociaux (CEMS) de l’Universitat Pompeu Fabra (UPF). Tous deux sont membres de la Gauche Anticapitaliste (Izquierda Anticapitalista), rédacteurs à la revue « Viento Sur » et auteurs de « Resistencias Globales. De Seattle a la Crisis de Wall Street » (Editorial Popular, 2009).


12 juin 2011

Espagne : La contestation évolue, la tension demeure

http://fr.globalvoicesonline.org/2011/06/12/70845/
avec photos et vidéos



28 mai 2011

A la Puerta del Sol, le mouvement se renforce après les violences policières à Barcelone (voir vidéos)

http://www.lemonde.fr/europe/articl...

Répression et résistance Los Invencibles de la plaza Cataluña 27/05/2011
https://www.youtube.com/watch?v=fiW...

Retirada de Mossos de Plaza Cataluña. Desalojo 27-M
_http://www.youtube.com/watch?featur...


Par mail :

Témoignage :

27 mai 2011

Depuis 2 semaines, le campement des indigné-e-s occupe la Plaça Catalunya dans le centre de Barcelona.

Au debut, avec un discours très citoyen genre "indignez-vous", la dynamique collective basée sur la démocratie directe (les reus générales de parfois 5 ou 6000 personnes prennent les décisions au consensus -40), l’autogestion de l’espace (avec des dizaines de tentes bibliothèque, garderie, salle de classe, cuisine, hacklab, jardin potager, clinque, et un sans fin d’autres initiatives) et l’autonomie a peu à peu donné un caractère profondément révolutionnaire (?!) à cette révolte...

Tous les secteurs en lutte, santé, logement, féministes, éducation, etc. se regroupent ainsi dans la 40aine de commissions thématiques (rassemblant entre 10 et 150 personnes). C’est un peu compliqué à raconter en deux mots mais en gros des milliers de personnes de tous horizons, générations et manières de voir le monde, partageant un même malaise et une même rage se sont rencontrées et à tâtons ont construit ensemble l’espace autonome le plus immense, hétérogène et enthousiasmant que j’ai jamais vu. Et le pouvoir tremble un peu...

Ce matin la police est venue pour "nettoyer" la place en vue du match de football de demain (ici le Barça c’est une véritable religion).

A 7h, les centaines de personnes qui dormaient sur place se sont ainsi vu encerclées par la police, pendant que les services municipaux detruisaient toutes les structures et remplissaient leurs camions de nos affaires.

Rapidement ont commencé à se rassembler des centaines de personnes solidaires et le nombre n’a fait qu’augmenter pour arriver à peut-être 10000 autour de 13h.

La masse est assise, coude a coude, pour empêcher les camions de passer et la police charge violemment. Plusieurs centaines de personnes reçoivent les coups mais résistent aux cris de "la place est au peuple !", "nous n’avons plus peur !" "el pueblo unido jamas sera vencido !"... La passion pour ce campement visible dans le regard des gens se transforme en énergie collective. Avec des fleurs ou avec des cris, assis ou en face en face, chacun-e à sa manière, s’organise et s’oppose aux agissements des flics.

Peu à peu la police agit de manière complètement insensée en tirant par exemple au flashball sur des pacifistes assis par terre et ce devant les caméras de télévisions. Face à cela, l’intelligence collective et la détermination des gens rassemblés est impressionnante. La foule encercle peu à peu toute la place et les flics se replient pour protéger leur dispositif et le centre de la place.

La tension monte progressivement et tout en gardant une attitude "non-violente" les gens poussent tout autour pour pénétrer sur la place.

Pas à pas, avec calme et avec force la foule avance sur le cordon policier. Celui-ci est débordé de partout mais essaye un moment de garder ses positions en frappant à tout va. Avec les coups reçus, la rage des manifestant se fait chaque fois plus forte et c’est finalement complètement paniqués que les flics doivent se replier vers leur camion.

Ils sont poursuivis sur 500 mètres par la foule en colère et euphorique.

La place est reprise et des milliers de personnes qui hurlent "ici commence la révolution !". Certains journalistes se font eux-aussi virer de la place pendant qu’il est fermement conseillé aux autres de ne pas mentir sur les faits de ce matin aux cris de "Télévision = manipulation !".

Alors voila la place est au peuple ! Depuis Barcelona nous vous invitons à occuper les places, à débattre et conspirer ensemble, à déborder la normalité !

Salut i força !
Visca la revolta de la plaza Catalunya !

la web du campement

http://acampadabcn.wordpress.com/?ref=spelling

photos

http://www.elpais.com/fotogaleria/D...

http://barcelona.indymedia.org/newswire/display/422031/index.php

videos

http://barcelona.indymedia.org/newswire/display/422043/index.php

http://latele.cat/



Vendredi 27 mai 2011

Ce matin la police a évacué avec violence la place de Catalogne à Barcelone. Voir les vidéos.
Ce soir la place est de nouveau occupée dans une ambiance festive.

Ce matin la police a avec violence évacué la place de Catalogne à Barcelone.

http://www.internationalistes13.org...

http://npa29quimper.over-blog.fr/ar...

Il y aura aussi une grande manif contre la repression à 19 h à Barcelone, Pour l’instant il y a 2 personnes arrêtées et 43 personnes blessées.

17h.

L’appel à rejoindre la place pour faire face à la police a été entendu
et plusieurs milliers de personnes qui sont arrivées assez vite, alors que la police avait commencé à matraquer et à tirer des coups de flashball sur la foule.
La police s’est donc trouvée débordée jusqu’à être encerclée par
plusieurs centaines de personnes (qui semblaient arriver de tous les
côtés). La police aurait proposé aux manifestant-e-s de céder la moitié de la place : réponse immédiate par vote de l’assemblée générale qui s’est tenu au cœur de la place : NON.
Finalement les flics se sont barrés de la pl. Catalunya.
A présent un appel est diffusé massivement pour une présence maximale à 19h ce soir. En attendant le campement se reforme : il y a du matériel de perdu (notamment des ordinateurs).
Le nouveau mot d’ordre immédiat : démission de Felipe Puig. Ça devrait être la principale motivation des manifestant-e-s ce soir à 19h.
En attendant, l’ambiance semble être à la fête !"

http://www.liberation.fr/monde/0101...


La révolte des indigné-e-s. Notes depuis la Plaza Tahrir de Barcelone.

Josep Maria Antentas et Esther Vivas

22 mai 2011

Il n’y a plus de doutes. Le vent qui a électrisé le monde arabe ces derniers mois, l’esprit des protestations répétées en Grèce, des luttes étudiantes en Grande-Bretagne et en Italie, des mobilisation anti-Sarkozy en France… est arrivé dans l’Etat espagnol.

Il n’y a plus de place pour le «  business as usual ». Les confortables routines mercantiles de notre «  démocratie de marché » et ses rituels électoraux et médiatiques se sont vus soudainement perturbés par l’irruption imprévue dans la rue et dans l’espace public d’une mobilisation citoyenne. Cette révolte des indigné-e-s inquiète les élites politiques, toujours mal à l’aise quand la population prend au sérieux la démocratie… et décide de la pratiquer pour son propre compte.

Il y a deux ans demi, quand la crise historique a éclaté en septembre 2008, les « maîtres du monde » ont connu un bref moment de panique, alarmé par l’ampleur d’une crise qu’ils n’avaient pas prévus, par l’absence d’instruments théoriques pour la comprendre et par la crainte d’une forte réaction sociale. Sont arrivées alors les proclamations creuses sur la «  refondation du capitalisme » et les faux mea culpa qui se sont peu à peu évaporés, dès que le système financier a été sauvé, face à l’absence de toute explosion sociale.

La réaction sociale s’est faite attendre. Depuis l’éclatement de la crise, les résistances sociales ont relativement faibles. Il y a eu un énorme gouffre entre le discrédit du modèle économique actuel et sa traduction sous forme d’action collective. Plusieurs facteurs l’explique, en particulier la peur, la résignation face à la situation actuelle, le scepticisme par rapport aux syndicats, l’absence de référents politiques et sociaux et l’influence, parmi les salariés, des valeurs individualistes et consuméristes inculquées en permanence depuis des années par le système.

La révolte actuelle, cependant, ne part pas de zéro. Des années de travail à petite échelle des réseaux et mouvements alternatifs, d’initiatives de résistances à l’impact bien plus limité ont maintenu la flamme de la contestation pendant cette période difficile. La grève générale du 29 septembre avait ouvert une première brèche, mais la démobilisation ultérieure des directions des syndicats CCOO et UGT et la honteuse signature du Pacte social l’ont refermée en stoppant toute mobilisation syndicale. Avec comme conséquence le discrédit et la perte de tout prestige des syndicats majoritaires aux yeux de la jeunesse combative qui protagonise aujourd’hui les occupations.

Indignés et indignées !

« L’indignation », rendue populaire à travers le pamphlet de Stéphane Hessel, est une des idées-force qui définissent les protestations en cours. C’est la réapparition, sous une autre forme, du «  Ya Basta ! » (« Assez ! ») lancé par les Zapatistes à l’occasion de leur soulèvement le 1er janvier 1994 dans la première révolte contre le «  nouvel ordre mondial » proclamé à l’époque par George Bush père après la Première guerre du Golfe, la disparition de l’URSS et la chute du Mur de Berlin.

« L’indignation est un commencement. On s’indigne, on se soulève et puis on voit » soulignait Daniel Bensaïd. Peu à peu, on est passé du malaise à l’indignation et de l’indignation à la mobilisation. Nous sommes face à une véritable « indignation mobilisée ». Du tremblement de terre de la crie commence à surgir le tsunami de la mobilisation sociale.

Pour lutter, il ne faut seulement du malaise et de l’indignation, il faut également croire dans l’utilité de l’action collective, dans le fait qu’il soit possible de vaincre et que tout n’est pas perdu avant même de commencer. Pendant des années, les mouvements sociaux dans l’Etat espagnol n’ont connu que des défaites. L’absence de victoires qui démontre l’utilité de la mobilisation sociale et qui augmentent les expectatives du possible ont pesé lourdement dans la lente réaction initiative face à la crise.

C’est précisément ici qu’entre l’immense contribution des révolutions dans le monde arabe aux protestations en cours. Elles nous montrent que l’action collective est utile, que, oui, « on peut le faire ». Il n’est donc pas étonnant que des ces révolutions, tout comme les victoires moins médiatisées du peuple islandais contre les banquiers et la caste politique, constituent, depuis le début, des références pour les manifestant-e-s et les activistes du mouvement actuel.

Ensemble avec la conviction que « c’est possible », que l’ont peut changer les choses, la perte de la peur, dans un contexte de crise et de difficultés personnelles, est un autre facteur clé. «  Sans Peur », c’est exactement l’un des slogans les plus exprimés ces derniers jours. La peur paralyse encore une grande majorité des travailleurs et des secteurs populaires, ce qui amplifie la passivité ou favorise les réactions xénophobes et peu solidaires. Mais la mobilisation du 15 Mai et les occupations qui se répandent comme une traînée de poudre constituent un puissant antidote contre la peur.

Le Mouvement du 15 Mai et les occupations ont une importante composante générationnelle. Comme à chaque fois qu’éclate un nouveau cycle de luttes, c’est une nouvelle génération militante qui émerge avec force, et la «  jeunesse » en tant que telle acquiert visibilité et protagonisme. Mais si cette composante générationnelle est fondamentale, et s’exprime par exemple dans certains mouvements organisés tels que « Juventud Sin Futuro », il faut souligner que la protestation en cours n’est pas un mouvement générationnel. C’est un mouvement de critique du modèle économique actuel et des tentatives de faire payer la crise aux travailleurs dans lequel les jeunes ont un poids important. Le défit est précisément que, comme dans tant d’autres occasions, la protestation de la jeunesse agisse comme un facteur déclenchant et un catalysateur d’un cycle de luttes sociales plus vaste.

L’esprit alterglobaliste est de retour

La dynamisme, la spontanéité et l’impulsion des protestations actuelles sont les plus fortes depuis l’émergence du mouvement alterglobaliste il y a plus d’une décennie. Né au niveau international en novembre 1999 dans les protestations de Seattle pendant le sommet de l’OMC (bien que ses racines remontent au soulèvement zapatiste au Chiapas en 1994), la vague altermondialiste avait rapidement atteint l’Etat espagnol. Le référendum pour l’annulation de la dette en mars 2000 (organisé le jour même des élections législatives et qui fut interdit dans plusieurs villes par la Junte Electorale) et la forte participation au contre-sommet de Prague en septembre 2000 contre la Banque mondiale et le FMI furent ses premières batailles, en particulier en Catalogne. Mais son caractère massif et large fut atteint avec les mobilisations contre le sommet de la Banque mondiale à Barcelone les 22 et 24 juin 2001, dont on fêtera sous peu le dixième anniversaire. Dix ans plus tard, nous assistons donc à la naissance d’un mouvement dont l’énergie, l’enthousiasme et la force collective n’a plus été observé depuis lors. Il ne s’agira donc pas d’un anniversaire nostalgique, bien au contraire. Nous allons le fêter avec la naissance d’un nouveau mouvement d’ampleur.

Les assemblées qui se sont tenues ces derniers jours sur la Place de la Catalogne (et, sans aucun doute, dans toutes les occupations qui ont lieu dans le reste de l’Etat espagnol, à commencer par celle de la Puerta del Sol à Madrid), nous ont offerts des moments inoubliables, de cette sorte d’événements qui n’arrivent que peu de fois et qui marquent un avant et un après dans les trajectoires militantes de ceux qui y participent et dans la dynamique des luttes sociales. Le mouvement du 15 mai et les occupations sont d’authentiques «  luttes fondatrices » et des symptômes clairs que nous assistons à un changement de cycle et que le vent de la révolte souffle à nouveau. C’est une véritable «  génération Tahrir » qui émerge, comme l’a fait avant elle la «  génération Seattle » ou la «  génération Genova ».

A mesure que l’impulsion du mouvement « alterglobaliste » a parcouru la planète, pourchassant les sommets officiels à Washington, Prague, Québec, Göteborg, Gênes ou Barcelone, des milliers de personnes se sont identifiées à ces protestations et une grande quantité de collectifs de par la monde ont eu la sensation de faire partie d’un même mouvement commun, d’un même «  peuple », le «  peuple de Seattle » ou de « Gênes , de partager des objectifs communs et se sentir participant à une même lutte.

Le mouvement actuel s’inspire également de références internationales plus récentes et importantes de luttes et de victoires. Il cherche à se situer dans la constellation de mouvements aussi divers que les révolutions en Egypte et en Tunisie, des victoires en Islande, dans le contexte d’un combat général contre le capitalisme global et les élites politiques à sa solde. A l’intérieur de l’Etat espagnol, les manifestations du 15 mai, et aujourd’hui les occupations, exemplaires du point de vue de la simultanéité, de la décentralisation et de la coordination, tracent les contours d’une identité partagée et d’une communauté d’appartenance symbolique.

Le mouvement alterglobaliste a eu en ligne de mire, dans sa phase la plus élevée, les institutions internationales ; OMC, BM, FMI et les multinationales. Ensuite, avec le déclenchement de la « guerre globale contre le terrorisme » lancée par Bush junior, la critique de la guerre et de la domination impérialiste ont acquis une forte centralité. Le mouvement actuel par contre axe sa critique contre la caste politique nationale, dont la complicité et la servilité face aux pouvoirs économiques ont été plus que jamais mises à nu avec la crise. « Nous ne sommes pas une marchandise aux mains des politiciens et des banquiers » proclamait l’un des principaux slogans du 15 Mai. On relie ainsi la critique frontale de la caste politique, de la politique professionnelle, avec la critique, pas toujours bien articulée ou cohérente, du modèle économique actuel et des pouvoirs financiers. «  Capitalism ? Game over ».

Vers l’avenir

L’avenir du mouvement initié le 15 Mai est imprévisible. A court terme, le premier défi est de continuer à élargir les occupations en cours, à mettre en marches les villes qui ne sont pas encore touchées et à les maintenir, au moins, jusqu’au dimanche 22 mai. Il n’échappe à personne le fait que les journées du 21, «  jour de réflexion » pré-électoral, et du 22, jour des élections, vont être décisifs. Le caractère massif des occupations sera alors fondamental.

Il est également nécessaire de mettre en avant de nouvelles dates de mobilisation, dans la suite directe de celle du 15 Mai, afin de maintenir le rythme. Le défi principal est de préserver la dynamique simultanée d’expansion et de radicalisation de la protestation que nous avons connue ces derniers jours. Et, dans le cas spécifique de la Catalogne, de chercher des synergies entre la radicalité et la soif de changement du système exprimés le 15 Mai et dans les occupation, avec les luttes contre l’austérité, en particulier dans les secteurs de la santé et de l’enseignement. L’occupation de la Plaza Catalunya (rebaptisée « Plaza Tahrir » par les occupant-e-s, NdT) est devenue un point de rencontre, un puissant aimant, attirant de nombreux secteurs animant les luttes les plus dynamiques. Il s’agit d’amplifier son caractère de point de rencontre des résistances et des luttes qui permettent de jeter des ponts, de faciliter le dialogue et de propulser avec force les mobilisations à venir. Etablir des alliances entre les protestations en cours, entre les activistes non organisés, le syndicalisme alternatif et de combat, le mouvement des voisins, les collectifs de quartiers, tel est le grand défi des prochains jours.

« La révolution commence ici » chantions nous hier sur la Plaza Catalunya. Au moins, ce qui commence, c’est un nouveau cycle de luttes de masses. Ce qui ne fait pas de doute par contre, c’est que plus de dix ans après l’émergence du mouvement alterglobaliste et deux ans après l’éclatement de la crise, la révolte sociale est de nouveau à l’ordre du jour.

Josep Maria Antentas et Esther Vivas

Josep Maria Antentas est professeur de sociologie à l’Universitat Autónoma de Barcelona (UAB). Esther Vivas participe au Centre d’études sur les mouvements sociaux (CEMS) de l’Universitat Pompeu Fabra (UPF). Tous deux sont membres de la Gauche Anticapitaliste (Izquierda Anticapitalista – Revolta Global, en Catalogne) et auteurs de « Resistencias Globales. De Seattle a la Crisis de Wall Street » (Editorial Popular, 2009) et participent à l’occupation de la Plaza Catalunya de Barcelone.

http://esthervivas.wordpress.com/francais/

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Vos commentaires

  • Le 27 mai 2011 à 16:06, par Agora En réponse à : La révolte des indigné-e-s. Notes depuis la Plaza Tahrir de Barcelone.

    Communiqué de la CNT-AIT d’Espagne

    Appel à l’abstention, appel à la mobilisation et à la lutte

    Les rassemblements massifs et les campements qui, depuis le 15 mai, ensemencent les places des villes et des villages constituent un exemple pertinent des capacités d’organisation que le peuple possède quand il décide d’être l’acteur de sa propre vie, quand il dépasse l’apathie, la résignation et l’absence de prise de conscience, quand il affronte les multiples problèmes dont nous souffrons, nous qui constituons la population (travailleurs, chômeurs, étudiants, immigrés, retraités, précaires…), quand il construit des alternatives.

    Le mode d’organisation développé dans ces mobilisations met en évidence la viabilité de la participation directe dans les assemblées lorsqu’il s’agit de prendre des décisions qui structurent nos aspirations et nos revendications et qui nous font dépasser les positions individualistes. Nous devenons ainsi des protagonistes, nous cessons d’être les spectateurs d’un système basé sur la délégation et la représentativité qui écrase notre personnalité. Les assemblées, les tours de parole, les commissions de travail, la responsabilité, la capacité, l’organisation, l’autogestion, la coordination, l’implication et la clarté sont les crans qui font tourner cet engrenage, capable de défier les institutions, de soulever des questionnements, de provoquer un débat public que la campagne électorale*1 et les messages répétitifs des médias ont éclipsés.

    Les espoirs générés par ces mobilisations massives ne doivent pas faire oublier que des partis politiques, des syndicats et des associations tenteront d’instrumentaliser le mouvement, de le dompter et de le diriger, car ils ont encore plus peur que le gouvernement de perdre le peu de légitimité qu’il peut leur rester. C’est aussi avec cette pensée qu’il faut analyser en profondeur les propositions et les messages qui émanent de cette mobilisation. Dépasser le bipartisme et modifier le Code électoral, comme le proposent certains, ne nous fera pas plus libres, ne favorisera pas la souveraineté de chaque individu. Sur ce constat, les revendications se centrent déjà sur d’indispensables changements sociopolitiques. Cependant, il y a encore des carences, elles concernent les propositions à faire dans le milieu du travail et ainsi que la dénonciation claire et explicite du rôle de collaboration que jouent les centrales syndicales institutionnelles dans l’actuelle « Réforme du travail », les EREs et les destructions d’emploi.

    Depuis le 15 mai, la désobéissance est l’élément fondamental, caractéristique, de toutes les mobilisations et toutes les protestations. Désobéissance qui défie, une fois de plus, la répression et les tentatives d’interdiction des campements par les Délégations gouvernementales*2 et les Gouvernements de région. Désobéissance qui renforce encore plus la participation, l’implication et la prise de conscience de la nécessité de nous organiser. Ainsi bat un pouls collectif qui démontre la force renversante que nous atteignons quand nous nous associons et quand nous décidons de ne pas céder sur nos revendications. Un battement dans nos cœurs qui fait éclater un réveil des consciences, qui nous fait réagir, étendre la mobilisation, la solidarité et dépasser cet élément neutralisateur de la lutte qu’est la peur.

    N’importe quelle nuit le Soleil peut se lever*3 sur cette place ou nous rendons palpable, par la pratique, que non seulement il est possible de nous associer, de nous unir et de luter pour changer notre présent le plus immédiat mais aussi pour élever, par l’autoorganisation, les piliers d’une société sans pouvoirs, sans inégalités, sans répression et sans délégationisme.

    Le 22 mai, avec plus de conscience et de clarté que jamais, répondons par l’abstention. Nous avons démontré par nous-mêmes que la classe politique ne nous représente pas et que nous n’en avons pas besoin

    La CNT poursuit sa participation au mouvement et appelle à la mobilisation permanente, à la lutte comme seul moyen pour résoudre les problèmes dans tous les aspects de la vie.

    Continuons à construire, continuons à désobéir.

    La protestation continue De jour comme de nuit.

    Secrétariat d’action sociale

    SP, Comité confédéral CNT

    Traduction : CNT-AIT de Toulouse.

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