http://blog.lesoir.be/colette-braec...
4 octobre 2011
La France de Nicolas Sarkozy est enlisée dans les scandales et plusieurs proches du chef de l’Etat sont éclaboussés, Thierry Gaubert son témoin de mariage, Brice Hortefeux, Nicolas Bazire… Pour couronner le tout, ou pour créer un contre feu, Robert Bourgi, longtemps considéré par l ’Elysée comme un spécialiste de l’Afrique, a révélé avoir à plusieurs reprises ramené en France des valises » remplies d’argent qui lui avaient été confiées offertes par des chefs d’Etat d’Afrique francophone dans le but de financer les campagnes présidentielles françaises.
Ces révélations ont ramené l’attention sur la « Françafrique », cette étrange relation que Paris entretient depuis un demi siècle avec ses anciennes colonies.
C’’était, à la veille des années 60, le pari du général de Gaulle : quitter l’Afrique pour mieux y rester. Fragmenter l’ancienne Afrique Occidentale française (AOF) et l’Afrique Equatoriale française (AEF) en une quinzaine d’Etats, indépendants en théorie mais en réalité étroitement liés à l’ancienne métropole. Soucieux de les préserver d’une éventuelle influence communiste ou d’une réelle émancipation, ces pays dits du « pré-carré » devaient garder avec la France des liens visibles et invisibles.
Côté visible : dès l’accession à l’indépendance, Paris fait signer aux jeunes régimes des accords de défense, de coopération et d’assistance technique. Des conseillers militaires français aident les nouveaux régimes à se défendre contre tout ennemi, intérieur ou extérieur. Et veillent aussi à préserver les intérêts de la métropole. L’agence d’Aide française au développement (AFD) met en œuvre une politique de coopération, mais surtout, via les projets dits « hors budget> » organise de nombreux « retours> » : l’argent distribué en Afrique est ristourné en France, à des partis ou des hommes politiques.
En outre, les quinze pays “ du champ “ sont dotés d’une monnaie commune, le franc CFA, lié au Trésor français. Stabilité d’un côté, dépendance de l’autre : en septembre dernier, c’est encore, le ministre français des finances qui a présidé la réunion des gouverneurs des Etats de la zone franc car toute décision prise par les autorités monétaires régionales (Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest ou Banque des Etats d’Afrique centrale) doit être contresignée par le Trésor français. Est-il besoin de préciser que, durant un demi siècle, la convertibilité du franc CFA en francs français puis en euros a été un instrument privilégié d’évasion de capitaux ?
En 1960, “ le secrétariat général pour les affaires africaines et malgache “ fut créé pour gérer cet empire fragmenté, avec à sa tête un homme de l’ombre qui, depuis les années de guerre, avait tissé d’innombrables réseaux : Jacques Foccart. A l’époque, un seul pays refusa la main tendue de la France
L’histoire de la Françafrique est jalonnée de cadavres : dans tous les pays “ du champ “, les dirigeants nationalistes furent systématiquement écartés, assassinés et remplacés par des hommes lige de Paris, souvent des militaires qui avaient participé, sous l’uniforme de l’armée française, aux guerres d’Indochine et l’Algérie.
La liste est longue et loin d’être close : au Togo, Sylvanus Olympio est assassiné et remplacé par Gnassingbe Eyadéma (son fils Faure a repris la succession), au Cameroun, au terme d’une guerre qui fera des dizaines sinon des centaines de milliers de morts, Ruben Um Nyobe et Felix Moumié, fondateurs de l’Union des populations camerounaises, sont éliminés, remplacés par Amadou Adhidjo (dont le Premier ministre Paul Byia est toujours au pouvoir), en Centrafrique, l’avion de Barthelemy Boganda s’écrase mystérieusement et le sergent Jean Bedel Bokassa, le futur empereur, prend le pouvoir, au Burkina Faso, ex Haute Volta, Thomas Sankara est assassiné et son adjoint Blaise Compaoré qui prend le pouvoir est resté un fidèle allié de Paris, au Gabon Omar Bongo, dont le fils Ali a repris la succession, a remplacé Léon M’ Ba, en Côte d’Ivoire Houphouet Boigny, contré par un opposant appelé Laurent Gbagbo sera longtemps le plus fidèle et le plus riche (avec Mobutu) des alliés de la France. Cette année encore, les forces françaises ont chassé Gbagbo qui, à l’issue d’une élection contestée, refusait de quitter le pouvoir. Gbagbo est aujourd’hui en résidence surveillée et c’est l’ancien Premier Ministre de Houphouet, Alassane Ouattara qui a été installé par Nicolas Sarkozy à la présidence. L’un de ses premiers gestes a été de placer des conseillers français dans tous les ministères et d’accueillir une bonne centaine de grands patrons venus de l’Hexagone…
Des pays francophones ou lusophones qui n’ont pas été colonisés par la France font également l’objet de beaucoup de sollicitude : en 1960 la sécession katangaise est soutenue par le colonel Trinquier et des anciens de la guerre d’Algérie et le maréchal Mobutu trouvera toujours à paris des interlocuteurs bienveillants, la France appuie la sécession du Biafra, riche en pétrole et Bernard Kouchner, alors jeune médecin, invente pour l’occasion le concept d’ingérence humanitaire : les appareils français apportent aux rebelles de la nourriture et des médicaments, mais aussi des armes…Quant au Rwanda, le président Mitterrand décide, en 1990, de défendre ce petit pays “ francophone “ contre des rebelles “ anglophones “ venus d’Ouganda et jusqu’à la victoire du Front patriotique rwandais en juillet 1994, l’armée française se trouvera aux côtés du régime génocidaire.
Malgré les déclarations de plusieurs présidents, dont Sarkozy “ la Françafrique, c’est fini “ la “ cellule Afrique “ de l’Elysée n’a jamais chômé : Charles Pasqua, fort de ses réseaux corses, a succédé à Jacques Foccart, ,Mitterrand avait nommé son ami Guy Penne, Chirac sur Fernand Wibaux, et Sarkozy sur Robert Bourgi….
Pourquoi la France a-t-elle besoin de ses partenaires africains ? Pour pouvoir compter sur leurs voix à l’ONU et garder son siège au Conseil de sécurité ? Pour préserver son rayonnement culturel grâce à la francophonie ? Pour assurer des débouchés, voire des marchés captifs à ses entreprises ? : Elf Aquitaine, qui a fusionné avec Total et Fina, est toute puissante au Cameroun et surtout au Gabon, Bouygues, Bolloré se sont déployés sur le continent noir et en particulier dans les pays côtiers, Areva devenue numero un mondial du nucléaire grâce à l’uranium du Niger…Pour garder un accès privilégié aux ressources naturelles africaines ? Lucide, le président Omar Bongo avait trouvé la formule : “ l’Afrique sans la France, c’est une voiture sans chauffeur. La France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant. “
L’existence du pré carré africain, dont la monnaie commune est le franc CFA permet ce que l’on appelle à Kinshasa les « opérations retour“. Les porteurs de mallettes voyagent dans les deux sens : il suffit de passer un accord avec ceux que l’on corrompt, afin qu’ils s’engagent à rétrocéder une partie des sommes qui leur ont été versées. S’ils amènent aux présidents de pays amis des projets et des budgets, les “ porteurs de mallettes “ décrits par Pierre Péan ramènent aussi des contributions financières pour les campagnes électorales ou des enveloppes plus personnelles, parfois dissimulées… dans des djembés (sortes de gros tam…)
Ces dernières années, les contrats d’armement passés avec des pays qui n’étaient pas « du champ » comme les Etats du Golfe ou le Pakistan ont permis les rétrocommissions, fonctionnant suivant un principe bien rodé en Afrique : pour vendre des armes, les industriels vendeurs ont longtemps versé des commissions aux acheteurs. Une partie des sommes provenant du Trésor public des acheteurs et destinée à payer les armes est rétrocédée par l’industriel vendeur aux dirigeants du pays concerné. Ces derniers, bon princes, ristournent alors une partie de cet argent aux dirigeants du pays vendeur.
En décrivant cette pratique et en dénonçant certains de ses bénéficiaires supposés,- Jacques Chirac, Dominique de Villepin-, Robert Bourgi, le dernier en date des Messieurs Afrique de l’Elysée, a dévoilé un secret de Polichinelle. _ Il a aussi, fort opportunément, détourné les projecteurs au moment où Pierre Péan sortait son ouvrage consacré à Alexandre Djhoury l’un des porteurs de valises du président actuel. La Françafrique c’est cela aussi : des coups tordus entre amis, qui s’échangent d’une génération à l’autre…
Quelques lectures utiles :
Pierre Péan,La République des mallettes, enquête sur la principauté française de non droit, Fayard, 486 pages
Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsiba, Kamerun, une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971, éditions La Découverte, 717 pages
Grégory Jarry et Otto T. Petite Histoire des colonies françaises, tome 4, la Françafrique, éditions FLBLB (livre illustré)
François-Xavier Verschave, la Françafrique, le plus long scandale de la République, éditions Stock, 1998
http://blog.lesoir.be/colette-braeckman/
Soutenir Mille Bâbords
Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !
Thèmes liés à l'article
Histoire c'est aussi ...
-
Il y 25 ans, le 2 décembre 1984, la catastrophe de Bhopal en Inde
Ce 2 décembre, Greenpeace tient à rappeler qu’il y a 25 ans a eu lieu la pire catastrophe de l’histoire industrielle mondiale, faisant probablement des dizaines de milliers de victimes, encore aujourd’hui peu ou pas indemnisées.
Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, une fuite de gaz toxique se produisit dans l’usine de pesticides de Bhopal (dans le centre de l’Inde). La catastrophe fit immédiatement (...)Le mercredi 2 décembre 2009
-
Des femmes au Panthéon ? Et pourquoi pas des femmes noires, pendant qu’on y est ?
Avec les liens : http://observatoire2.blogs.liberation.fr/normes_sociales/
24/11/2009
Des femmes au Panthéon ? Et pourquoi pas des femmes noires, pendant qu’on y est ? Par Louis-Georges Tin
A l’heure où l’on discourt pour savoir si oui ou non il convient de faire entrer Albert Camus au Panthéon, il importe de noter à quel point les enjeux de parité et de diversité ont été négligés dans ce (...)Le samedi 28 novembre 2009
-
Histoire de Marseille, histoire de migrations
Il y a tout juste un an, Emile TEMIME nous quittait. A cette occasion ACT vous propose de relire ou de réécouter une dizaine de documents que l’historien a écrits ou enregistrés. Ce qui semblait être un mystère, ces fantômes qui hantaient la ville et son imaginaire devenaient des hommes comme les autres. Sous sa plume ou par sa voix, ils intégraient l’histoire de la ville. Se référer à ses écrits (...)
Le samedi 21 novembre 2009
-
14-18 “Le camp des nègres” oublié
Mercredi 11 Novembre 2009 EVOCATION. De 1916 à 1918, le camp du Courneau a accueilli les tirailleurs sénégalais Devoir de mémoire envers la force noire
« C’est bon de rappeler qu’on n’a pas demandé leur carte d’identité à ces soldats quand on les a enrôlés de force », a insisté Alain Rousset, accompagné de Naïma Charaï, conseillère régionale PS. « En défendant la France, ces troupes africaines ont défendu (...)Le mercredi 11 novembre 2009
-
De la grève de 1910 au LKP : Un siècle de luttes en Guadeloupe
http://ugtg.org/article_1066.html
Wi sé vré lespwa éklò pendant les 44 jours de grève générale que nous avons mené en Guadeloupe. Dans notre pays de janvier à mars 2009, les femmes, les hommes, la jeunesse, les travailleurs : le peuple a envahi la rue pour signifier aux pwofitan, à tous les pwofitan notoires, sa revendication de vivre autrement.
Wi sé vré, par milliers, NOU Les guadeloupéens, Nèg, (...)Le jeudi 3 septembre 2009
0 | ... | 190 | 195 | 200 | 205 | 210 | 215 | 220 | 225 | 230 | 235