Une tribune pour les luttes

Mort d’Agnès : combien de cas similaires chaque année ?

Laurent Mucchielli

Article mis en ligne le lundi 21 novembre 2011

Avec les liens :
http://insecurite.blog.lemonde.fr/2...

21 novembre 2011

Ce que chacun appelle désormais la "mort d’Agnès" est, de par la nature des faits et la situation de récidive, un événement dramatique qui choque à juste titre tout un chacun et occupe les devants de la scène médiatique : l’on veut tout savoir du lieu du drame et de ses protagonistes, on guette les policiers et le Procureur de la république pour avoir des fuites sur les procès-verbaux, on cherche les parents et les amis, on invite au journal tel responsable de l’internat concerné, on interviewe des psychiatres... Et, comme souvent, la dimension nationale et l’ampleur de l’incendie médiatique favorisent la réaction des politiques. Président, premier ministre, ministres, chacun y va de son intervention. François Fillon déclare que la prévention de la récidive sera désormais "une priorité absolue" (elle ne l’était pas déjà ?). De son côté, le ministre de la Justice annonce qu’il présentera mercredi au Conseil des ministres un nouveau projet de loi réformant le code pénal (peut-être la 50e réforme depuis dix ans ?). Mais personne ne se demande jamais si ce genre de crime est fréquent ou pas.

Les statistiques de police et de gendarmerie comptent chaque année les meurtres, elles donnent aussi quelques précisions et distinguent notamment les homicides sur mineurs. Elles renseignent aussi sur l’auteur. L’on peut ainsi savoir combien de mineurs ont tué un(e) autre mineur au cours de la dernière année complète. En 2010, il y a eu en France deux mineurs ayant tué un(e) autre mineur.

De nos études sur les homicides, nous pouvons préciser que ces meurtres entre mineurs sont généralement le fait de garçons sur d’autres garçons. La statistique de police ne précise pas le sexe des victimes, mais il est donc probable que sur ces 2 cas de 2010, 1 seul sinon 0 correspond au cas d’un mineur (garçon) tuant une mineure (fille).

Enfin, de l’étude sur les viols (http://www.laurent-mucchielli.org/i...) que nous avons pilotée avec Véronique Le Goaziou, nous pouvons ajouter que, étudiant les viols jugés aux assises dans trois département (Paris, Versailles et le Gard - justement) durant les années 2000, nous avons dépouillé 425 dossiers impliquant 488 auteurs et 566 victimes. Sur ces 425 viols, seuls 2 avaient été suivis de meurtre. Et l’un des deux violeurs-tueurs était un mineur (dont il n’était du reste pas absolument certain qu’il s’agissait d’un viol et pour lequel il n’y avait pas de situation de récidive). Au total, sur une période de presque dix ans et sur 3 départements, nous avons donc trouvé en tout et pour tout 1 seul cas correspondant un peu à la situation sous analyse.

Dès lors, si l’on comprend bien l’émotion déclenchée par cette affaire, l’on voit mal quel problème de société il faudrait en déduire, ni quelle réforme pénale ou psychiatrique il serait urgent d’adopter s’agissant, redisons-le une dernière fois, d’une fréquence annuelle de cas comprise entre 0 et 1 par an à l’échelle de la France entière. Peut-être pourrait-on aussi s’interroger : le risque zéro existe-t-il ? Ou bien encore : d’autres causes de mortalité des adolescents (le suicide par exemple) ne sont-elles pas beaucoup plus importantes alors que l’on n’en parle quasiment pas ?


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Vos commentaires

  • Le 22 novembre 2011 à 19:32, par Lucienne En réponse à : Mort d’Agnès : combien de cas similaires chaque année ?

    Laurent Muchielli, comme d’habitude, oublie de signaler que le sexisme est un phénomène de société, et que le viol, même désormais criminalisé, reste un sport masculin suffisamment ordinaire pour qu’il y en ait plus de 50 000 par an en France aujourd’hui. Cela concerne toutes les classes,classes d’âge,ou origines.

    On peut dénoncer l’instrumentalisation sécuritaire (contre certains...),et dénoncer d’autant plus la mentalité générale qui continue de banaliser un mépris des femmes aux conséquences trop souvent terribles, et parfois meurtrières.

    Traiterait-il ainsi un crime raciste ? Non, puisque le discours sécuritaire n’en parlerait pas ! mais aussi parce que l’évidence s’imposerait d’avoir à combattre une désignation inégalitaire.

  • Le 27 novembre 2011 à 11:23, par Christiane En réponse à : Le rapport de l’ONDRP dément en réalité l’augmentation des violences

    22 novembre 2011

    Le rapport annuel de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qui est « dévoilé » à la presse ce mardi 22 novembre, contient de nombreuses données statistiques. L’une des plus intéressantes est l’enquête annuelle de victimation baptisée « Cadre de vie et sécurité », qui a été réalisée en France métropolitaine entre janvier et avril 2011, auprès d’un échantillon représentatif d’environ 17 000 ménages. _ Au sein de chacun de ces ménages, une personne de 14 ans et plus a répondu à des questions de victimation personnelle ou d’opinion sur la sécurité. Les personnes ayant entre 18 et 75 ans ont, de plus, été interrogées spécifiquement sur les violences sexuelles subies sur deux ans. _ Importées des États-Unis en France par les chercheurs du CESDIP (CNRS) dès les années 1980, ces enquêtes ont notamment le grand intérêt de permettre une mesure de certains types de délinquance indépendamment de l’action policière.
    Et elles montrent clairement la stabilité (voire la légère baisse) de la plupart des comportements délinquants qu’elles recensent. Ceci contredit la plupart des commentaires médiatiques du jour qui sont tournés uniquement vers les statistiques de police et qui - comme à l’accoutumée - mettent en exergue l’augmentation supposée permanente de la violence des mineurs et des femmes.

    Les principaux résultats

    Dans la société française actuelle, le principal risque n’est pas de se faire agresser mais de subir une atteinte à ses biens. Voici, en ordre décroissant d’importance, les huit principaux chiffres et les principales tendances qui ressortent de l’enquête de victimation réalisée début 2011 et de la comparaison avec les enquêtes des années précédentes :

    - Environ 8 % des ménages interrogés déclarent avoir subi en 2010 un acte de vandalisme contre leur logement ou leurs véhicules (en légère baisse).

    - Un peu plus de 4 % des ménages interrogés déclarent avoir subi en 2010 un vol de voiture (en forte baisse).

    - Un peu moins de 3 % des ménages interrogés déclarent avoir subi en 2010 un cambriolage (niveau stable).

    - Un peu moins de 2 % des personnes interrogées déclarent avoir subi en 2010 un vol ou une tentative de vol sans violence ni menace (en forte baisse chez les femmes).

    - Un peu moins de 2 % des personnes interrogées déclarent avoir subi en 2009 et 2010 une agression sexuelle au sein de leur ménage, c’est-à-dire commise par une personne habitant le même logement (légère baisse).

    - 1,3 % des personnes interrogées déclarent avoir subi en 2010 une agression physique hors de leur ménage (légère baisse).

    - 0,6 % des personnes interrogées déclarent avoir subi en 2010 un vol ou une tentative de vol avec violence ou menace (en hausse chez les femmes, ce qui pourrait être lié à la baisse évoquée plus haut).

    - 0,6 % des personnes interrogées déclarent avoir subi en 2009 et 2010 une agression sexuelle hors ménage (stable).

    Pas de hausse de la violence

    Au total, on le voit, le tableau d’ensemble indique que le niveau des problèmes est globalement stable sur la période récente. On ne constate nulle part la hausse importante des violences que présupposent les discours émotionnels déclenchés à l’occasion de chaque fait divers. En dehors du cas très précis des vols avec violence ou menace commis sur des femmes (et qui s’accompagnent étrangement d’une forte baisse parallèle des vols sans violence ou menace commis sur des femmes), la totalité des indicateurs indiquent des stabilités voire de légères baisses. On vérifie en outre une fois de plus que les violences sexuelles les plus fréquentes surviennent au sein de la famille et non de la part d’inconnus. Ces résultats - qui ont tant de mal à être entendus dans le débat public - corroborent ceux d’autres enquêtes comme celle portant spécifiquement sur la région Ile-de-France. Ils invitent donc à rechercher ailleurs que dans l’évolution de la réalité délinquante les raisons de l’importance du sentiment d’insécurité parmi nos concitoyens.

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