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Mouvements

Précarité et monde du travail associatif

Par Simon Cottin-Marx

Article mis en ligne le samedi 10 décembre 2011

http://www.mouvements.info/Precarite-et-monde-du-travail.html

Le monde associatif est devenu le terreau d’une nouvelle précarité. Incités à prendre en charge les politiques publiques d’action sociale autrefois dévolues à l’Etat, les travailleurs associatifs voient leurs conditions de travail se dégrader. Tableau par Simon Cottin-Marx.

Fragilité de l’idéal

Dans l’imaginaire collectif, travailler dans le monde associatif est le lieu idéal pour se réaliser, avoir un travail qui fait sens et s’épanouir. Pourtant, loin de l’idéal, les conditions de travail y sont plus dégradées qu’ailleurs et le monde associatif est devenu le terreau d’une nouvelle précarité. De petites structures, partiellement professionnelles, se voient confier par l’Etat la charge de ses politiques publiques d’action sociale sans pour autant bénéficier des financements pérennes dont disposait auparavant le service public. Cet article vise à produire une vision désenchantée du monde du travail associatif transformé malgré lui en lieu d’expérimentation de la flexibilisation du travail.

Le monde associatif a bénéficié d’une extraordinaire croissance salariale ces trente dernières années et en a fait le principal employeur de l’économie sociale et solidaire. Selon le fichier SIRENE de l’INSEE, le nombre d’emplois salariés dans les associations relevant de la loi de 1901 est passé de 660 000 salariés en 1980, à 1,9 millions en 2009.

Malgré ses 14 millions de bénévoles, le constat s’impose : ces dernières années, le monde associatif, par le biais de ses 172 000 associations ayant recours à des salariés, est devenu un véritable marché du travail. Les jeunes, profitant de la manne d’emploi proposée par les associations-employeuses, se tournent vers un ensemble de formations spécifiques se développant aussi bien dans les universités que dans les écoles de commerce, comme l’ESSEC. Une nouvelle génération de travailleurs associatifs se bouscule dans les réseaux associatifs et sur les sites spécialisés de recrutement. À l’image du service public autrefois, désormais fermé aux jeunes avec la règle de non-renouvellement d’un fonctionnaire sur deux, le marché du travail associatif semble un lieu où il est encore possible de travailler avec du sens, une dimension éthique et un souci des autres.

Dans cet article, c’est le point de vue de l’intérieur, celui d’un travailleur associatif, membre du syndicat Asso [1], que j’aimerais porter sur un univers devenu un véritable marché du travail trop encensé, qui n’arrive pas encore à se mobiliser contre ses «  mauvaises pratiques » et les raisons structurelles qui les suscitent.

La précarité dans le monde du travail associatif

Les associations, gouvernées sur un mode démocratique, ont pour objectif premier de satisfaire l’objet social défini par leurs adhérents. Contrairement aux entreprises capitalistes, leur objectif n’est pas la recherche du profit, ou la rétribution des actionnaires : elles défendent l’intérêt général. Encensées par la gauche qui fait des associations les hérauts d’un monde meilleur, on ne devrait que se réjouir du formidable dynamisme du monde associatif du point de vue de la création d’emplois. Pourtant, loin de l’idéal, la réalité fait défaut à l’utopie. Depuis quelques années, des sociologues pointent du doigt une particularité du monde associatif : dans ce marché du travail c’est le salariat « atypique » qui est typique [2]. Les salariés du monde associatif sont fortement marqués par la précarité, c’est-à-dire par la discontinuité associée à la carence du revenu, ou à la carence des protections.

Comparé au secteur privé et public, ce que certains présentent comme le tiers secteur de l’économie [3] est d’avantage marqué par de fortes disparités en termes de conditions de travail –par exemple en ce qui concerne l’application des conventions collectives– et d’emploi. La présence de près de 45% de formes d’emplois atypiques au sens du Code du travail souligne une dérive marquée du monde associatif vers la précarité de l’emploi.

Malgré une forte présence, la précarité dans ce marché du travail a encore peu de visibilité ; les raisons de cette occultation partielle sont peut-être à chercher du côté de l’absence de syndicat spécifique au monde associatif jusqu’en 2010 avec la création du syndicat ASSO, ou peut-être du côté du peu d’intérêt porté par les sciences sociales à ce secteur. En effet, comme l’écrit Philippe Frémeaux, « Jamais aucun congrès ou réunion d’acteurs de l’économie sociale et solidaire ne se déroule sans qu’un intervenant se désole de sa faible visibilité dans le champ social » [4]. Le statisticien-économiste Philippe Kaminski, président du comité scientifique de l’Association pour le développement de la documentation sur l’économie sociale, estime quant à lui, que seulement une centaine de chercheurs travaillent sur le sujet. Ce n’est que récemment, que certains d’entre eux, ont abordé le monde associatif sous l’angle de la « question sociale » qui s’y joue pleinement selon nous, c’est-à-dire sous l’angle des métamorphoses néolibérales du salariat.
des déclarations d’embauche en CDD court. Les contrats à durée déterminée ont progressé de 197 % sur la période.

De plus le secteur associatif compte une proportion élevée d’emplois de statuts divers qu’il est encore difficile à quantifier : emplois aidés, stagiaires, volontaires, auto-entrepreneurs, vacataires, etc.

I. Les formes des contrats atypiques dans le monde associatif

(...)

II. Explications de la présence de la précarité

(...)

3. Logique de libéralisation et de mise en concurrence

La précarité dans le monde associatif est également directement le résultat des politiques publiques d’action sociale. L’engouement et le développement du monde associatif n’est pas simplement le résultat d’une volonté, mais davantage d’un besoin structurel de la société.

La décentralisation a eu pour effet de diminuer les financements de l’Etat, tandis que les Départements et Régions étaient investis de compétences sociales qu’elles ont confiées en partie aux associations. La restructuration des finances publiques a entrainé une modification des missions des associations ainsi que l’augmentation du nombre d’organisations.

Si les financements publics ont augmenté en volume, les associations se trouvent en concurrence entre elles pour l’accès aux ressources publiques comme pour l’accès aux autres ressources ou au bénévolat. Les restrictions budgétaires qui ont affecté le budget de l’État en 2005 et 2006 ont amplifié les difficultés des associations touchées par cette restructuration.

La réduction des transferts d’argent en direction des associations remplissant des missions de service public – reconnue ou non – et de lien social, s’est poursuivie. En novembre 2009, à la question « La crise a-t-elle entraîné pour votre association une réduction des financements ? », 32 % des grandes associations déplorent une diminution des financements publics [22].

Mais au-delà d’un désengagement de l’État, plus ou moins bien pallié par l’investissement des collectivités locales, un nouveau mode de financement s’est développé et fragilise la possibilité de perspectives longue-termistes pour les associations.

Le rapport « Pour un partenariat renouvelé entre l’État et les associations » paru en 2008 [23] est révélateur du passage de la culture de subvention à celle de la commande publique. Abandonnant progressivement les subventions de fonctionnement, pour la commande publique, les institutions publiques mettent en Contrat à Durée Déterminée les bénéficiaires de l’argent public, ce qui fragilise l’emploi associatif condamné à ne pouvoir embaucher que sur les durées déterminées des appels d’offre.

S’ajoute à la moindre qualité des financements de l’État, la circulaire du 18 janvier 2010 signée par le premier ministre français François Fillon qui fragilise davantage encore des milliers d’associations. En effet, en affirmant que « la majorité des activités exercées par [celles-ci] peuvent être considérées comme des activités économiques », la décision gouvernementale étend la réglementation européenne des aides aux entreprises à l’ensemble des subventions attribuées, quel que soit l’objet [24]. Les associations marchandes non-lucratives sont abandonnées par l’Etat dans leurs efforts d’insertion sociale, et se retrouvent mises en concurrence avec les entreprises du secteur privé lucratif.


Le monde associatif terreau de la précarité de l’emploi

Fragilisées par la mise en concurrence entre elles, et avec les entreprises privées, par le reflux et l’instabilité des subventions, les associations doivent prendre conscience du processus dans lequel elles sont inscrites. Victimes de la dégradation des politiques publiques de la jeunesse, de l’insertion, de l’emploi, elles investissent les nouveaux statuts précaires. Contraint à l’effet d’aubaine pour poursuivre leurs missions, elles risquent d’institutionnaliser le développement du sous-emploi.

L’économie sociale et solidaire, engagée, militant contre la précarité, pour un monde plus juste, se retrouve par «  pragmatisme » le terreau des tenants de la flexibilisation du travail et des promoteurs du travail gratuit : en somme d’une nouvelle précarité.

Nous devons rester vigilants face à la banalisation de la bénévolisation du travail, car cette offensive politique dépasse largement le seul monde associatif. En mai 2011, le ministre Laurent Wauquiez, chef de file de la Droite sociale, propose à l’instar de Hartz 4 en Allemagne, que « les bénéficiaires du RSA consacrent, en contrepartie de leurs allocations, 5 heures de service social par semaine au sein d’une collectivité ou d’une association ». 70 % des personnes interrogées répondent positivement à cette proposition. L’opinion française, spontanément, trouve justifiable que les richissimes bénéficiaires des 460 euros du RSA travaillent gratuitement pour y avoir droit. La proposition de Laurent Wauquiez s’inscrit dans un tout idéologique plus général de valorisation politique et idéologique du travail bénévole et volontaire.

Après une période d’engouement pour l’économie sociale et solidaire nous devons questionner cette économie « au service d’un autre développement »… qui pourrait se retrouver être celui de l’économie néo-libérale En se développant sur la privatisation de l’action publique, le monde associatif y gagne son dynamisme, mais participe également à la dégradation de l’emploi. L’Etat néo-libéral confronté à une fonction publique organisée et politisée a confié ses missions historiques de service public à un monde associatif dont les acteurs précarisés ont perdu le statut naguère garanti par la fonction publique.

À s’engager «  ici et maintenant », l’économie sociale et solidaire ne doit pas hypothéquer le «  changer le monde », partout et pour toujours. Le monde associatif, bien que morcelé en une myriade d’organisations, doit apprendre à s’organiser et se politiser afin de ne pas se retrouver à la merci du moindre coup de frein idéologique, et ne pas devenir une variable d’ajustement consentante de l’économie néolibérale.

Publié par Mouvements, le 9 décembre 2011.

http://www.mouvements.info/Precarite-et-monde-du-travail.html

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