La justice, cette grande mascarade...
Retour sur le procès d’un prisonnier jugé pour une altercation avec des surveillants du centre de détention de Roanne en mai dernier.
Cest une histoire qui a fait quelques lignes dans la presse torchon, une histoire très ordinaire, dans le sens où des histoires comme ça, il s’en passe des dizaines. Une taule, où les mesquineries et pressions diverses de l’administration pénitentiaire et des matons, qui se répètent, face à une personne, génèrent ce qu’on pourrait appeler un pétage de plombs, une réponse, une révolte... Il s’en prend alors plein la gueule, mais pour eux ce nest pas assez. Il passe ensuite en procès, pour que la société bien pensante et ses représentants en remettent une couche.
Dans cette histoire (c’est assez rare), les informations ont circulé. Voilà une retranscription de quelques éléments du procès, et un retour sur les faits...
http://rebellyon.info/La-justice-cette-grande-mascarade.html
Publié le 30 mai
A lire avec les liens :
http://rebellyon.info/Les-detenus-subissent-une-triple.html
Entretien avec Céline Reimeringer, permanente de la section Rhône-Alpes de l’Observatoire Internationale des Prisons, autour de la situation de Samir Tafer, condamné initialement à 8 mois de prison, et qui devrait au final en effectuer au minimum 48. (Voir plus bas NdR)
Un rassemblement de soutien à Samir aura lieu mercredi 6 juin à 14 h à Lyon.
Samir Tafer a déjà effectué 40 mois de prison alors qu’il n’était entré que pour 8 mois et qu’il ne devrait pas sortir avant janvier prochain. Sa détention a été prolongée de plus de 3 ans, pour des faits (supposément) commis en détention, suite à 3 plaintes différentes de surveillants. Connait-on le nombre de peines de prison prononcées pour des faits commis en détention ? Quelles sont les principales accusations ?
Céline Reimeringer : Nous n’avons pas connaissance de statistiques précises, qui seraient d’ailleurs sans doute très parlantes. Les pratiques divergent selon les parquets (dans chaque tribunal) qui décident de poursuivre ou pas tels types de faits. C’est donc très variable selon les établissements. En général, l’introduction ou la détention et le trafic de stups sont systématiquement poursuivis, il en va de même en cas de violences des détenus sur les personnels ou d’outrages de détenus sur les personnels.
Pour le reste, les violences entre détenus sont assez rarement poursuivies (par rapport au nombre de procédures disciplinaires internes). Enfin, certains parquets poursuivent systématiquement en cas de découverte de téléphone portable, d’autres pas. Nombre de faits poursuivis concernent donc des actes résultant des violences et des tensions induites par le fonctionnement de l’institution, ce qu’ont montré plusieurs études sociologiques. L’une d’elles constate que la prison rend nerveux, irritable, angoissé, agressif et stressé » et que « tout peut devenir un motif de colère, d’altercation, d’insulte ou de violence ».
Malgré cette situation maintenant connue et reconnue (l’étude précitée date de 2005), les juges au pénal persistent à condamner aveuglément, sans tenir compte de cette situation particulière. Le pire de cette logique consiste dans les peines plancher, à cause desquelles un détenu récidiviste peut être condamné à 4 ans de prison pour avoir introduit 5 grammes de shit. Enfin, les détenus subissent en général une triple peine pour toute infraction commise en détention : ils vont bien souvent au mitard dans le cadre de la procédure de discipline interne, ils se font condamner au pénal, mais aussi, ils se voient retirer de façon quasi systématique leurs « crédits de remise de peine » sur simple décision du juge de l’application des peines (JAP) et se voient interdire des remises de peine supplémentaires pour bonne conduite. Les peines peuvent donc s’allonger très rapidement, et le cas de Samir est l’illustration d’une problématique récurrente, qui signe d’ailleurs l’échec de la prison à faire entrer des « petits délinquants » dans le « droit chemin ».
Les plaintes peuvent donc être posées par les surveillants pour « outrage et rebellion à l’égard de personnes dépositaires de l’ordre public », comme les policiers notamment. Quelle incidence le renforcement de ce délit dans la loi, en 1996, a-t-elle eu en prison ?
C. R. : Une telle information serait là encore très instructive, mais nous n’avons aucune donnée en notre possession.
En juillet 2010, un communiqué de l’OIP pointait une série d’allégations de violences de surveillants à l’égard de détenus à la prison de Saint Quentin Fallavier. En janvier 2012, c’est la prison où a eu lieu la dernière altercation de Samir Tafer, lui valant une année supplémentaire de détention. Qu’en pensez-vous ?
C. R. : Malheureusement, les autorités compétentes (tant judiciaire que pénitentiaire) cultivent le silence à ce sujet et laissent donc place à la suspicion. L’interpellation de l’OIP a été suivie d’une enquête de grande ampleur des services d’inspection interne à la pénitentiaire mais ses conclusions ne nous sont pas connues ; le personnel de direction et une partie du personnel d’encadrement a été muté mais l’administration ne s’est pas expliquée. Par ailleurs, pour l’instant, seul un dossier a donné lieu à la traduction devant la justice d’un personnel de surveillance qui avait asséné un coup de tête à un détenu au sein de l’établissement. A notre connaissance, aucune autre condamnation pénale n’a été prononcée. Ce silence dessert tout le monde, y compris les institutions concernées...
Les gardiens connaissent le « curriculum vitae » des détenu-e-s dès leur arrivée. Il semblerait qu’ils se passent le mot, et Samir Tafer les accuse de pousser les détenu-e-s à la faute juste avant leur date de libération. Qu’est-ce que les détenus connaissent des surveillant-e-s ?
C. R. : En effet, les personnels disposent de nombre d’informations, notamment sur le comportement des détenus en prison. Le problème principal, c’est la traçabilité de ces informations, c’est-à-dire le fait que les détenus traînent pendant toute leur détention (y compris après transferts) le moindre incident ou la moindre remarque sur leur comportement comme autant de boulets. Et l’administration, comme les juges, a tendance à devenir de plus en plus dure avec les détenus qui lui posent problème, ce qui crée un cercle vicieux qui a lui aussi été largement décrit par des sociologues.
Les détenus ont évidemment beaucoup moins d’informations sur les personnels, dont ils ne connaissent en général pas le nom (sauf pour les gradés), ni le matricule qui n’est pas mentionné sur l’uniforme.
Un-e détenu-e peut-il porter plainte contre un surveillant ?
C. R. : En théorie, oui bien sûr. Le problème, c’est d’abord et avant tout l’inertie de l’autorité judiciaire (les parquets) à mener des enquêtes sérieuses, c’est à dire à même de permettre la poursuite des auteurs d’infractions. Le principe de l’« opportunité des poursuites », qui permet au procureur de décider de poursuivre ou pas sans avoir à s’en expliquer a été critiqué par le Comité contre la torture de l’ONU en 2010, qui s’est dit « particulièrement préoccupé face à la persistance d’allégations qu’il a reçues au sujet de cas de mauvais traitements qui auraient été infligés par des agents de l’ordre public à des détenus et à d’autres personnes entre leurs mains ». L’autre problème, c’est que la plupart du temps, l’administration refuse d’admettre que des violences puissent être commises par des personnels et donc, fasse tout pour étouffer de tels faits. La meilleure preuve, c’est qu’elle ne comptablise pas dans ses statistiques sur les violences en prison, celles commises par des personnels. Plus encore que le comportement individuel des personnels, c’est la réaction des institutions qui pose problème.
Quelles sont les conditions de jugement d’un-e détenu-e ? Peut-il citer des témoins ? Le tribunal ou la défense ont-ils accès au dossier professionnel d’un surveillant pour voir s’il porte plainte régulièrement, ou s’il a été impliqué dans des faits de violence ou d’injure ?
C. R. : Un ami récemment incarcéré nous a dit que la parole du détenu est bafouée, et ce dès le passage devant le juge. Pour la seule raison qu’une infraction lui est reprochée. C’est encore plus vrai en cas de jugements de faits commis en détention. C’est un élément qu’il faut avoir à l’esprit pour organiser sa défense, car c’est là le principal obstacle qu’il devra affronter. En général, le dossier pénal est très mince et parfois constitué des seules pièces produites par l’administration pénitentiaire. Le détenu aura donc beaucoup de mal à se défendre. D’autant plus que la plupart du temps il sera présent devant le tribunal correctionnel après une simple enquête du parquet lors de laquelle il ne peut intervenir pour demander les actes d’investigations. Et devant les juges, il est bien souvent trop tard ...
Que conseiller à des proches de prisonniers passant au tribunal pour des faits similaires à ceux de Samir Tafer ?
C. R. : Outre ce qui précède, toujours refuser la comparution immédiate. Et trouver un avocat qui accepte de travailler le dossier aussi sérieusement que possible.
Que pensez-vous plus généralement de la situation de Samir ?
C. R. : Dès qu’il est aménageable, il faudrait qu’il puisse bénéficier d’un aménagement de peine. Malheureusement, les JAP accordent souvent une grande importance aux profils des condamnés alors que le comportement en détention et les perspectives de réinsertion sont deux choses bien différentes. Le soutien des proches pour préparer un projet et créer le lien avec l’extérieur reste essentiel, et ceux qui ne l’ont pas se trouvent bien souvent dans l’impasse.
Un rassemblement de soutien à Samir arrêté il y a trois ans et demi, en décembre 2008 au cours d’une manifestation lycéenne, aura lieu mercredi 6 juin à 14 h à Lyon.
Contre l’arbitraire des surveillants de prison, liberté pour Samir Tafer !
Avec tous les liens :
http://rebellyon.info/Manchette-Con...
Publié le 27 mai
Samir a été arrêté il y a trois ans et demi, en décembre 2008, au cours d’une manifestation lycéenne. Seul manifestant à être placé en détention pour avoir, avec d’autres, retourné une voiture sur la chaussée, il prend 8 mois en comparution immédiate. Depuis, à chaque fois qu’il approche de la fin de sa peine, par hasard évidemment, il est à nouveau condamné pour des embrouilles avec les surveillants. Sa peine a ainsi été rallongée de 12 mois dans un premier temps, puis de 14, et encore de 12 en janvier 2012 !
Au bout 40 mois, Samir est aujourd’hui incarcéré à Bourg-en-Bresse et ne devrait sortir, au mieux, qu’en janvier 2013 ! Voici un récapitulatif de sa situation. Des proches appellent à à sa libération et à un grand rassemblement le 6 juin à 14h devant le Tribunal de Grande Instance de Lyon ! N’ajoutons pas le silence à l’infamie. N’oublions pas Samir !
Samir cumule tout ce qui dans cette société peut être reproché. Il est Arabe, il ne travaillait pas au moment de son arrestation et résidait à Vaulx-en-Velin. Le profil type pour passer par la case prison au moindre écart de conduite. Il a aujourd’hui 26 ans et déjà plus de 3 années de sa vie passées derrière les barreaux.
Sa situation est finalement assez tristement banale – être condamné à plusieurs mois d’emprisonnement pour un geste dans une manifestation. Mais ce qui est frappant, c’est que plus le temps passe, plus la situation devient aberrante. Moins on voit comment Samir pourrait un jour sortir de prison.
C’est absurde et en même temps, dans la particularité de son cas, c’est la logique générale poussée à l’extrême de tout un monde qui s’y déploie. Un monde où le fait de retourner une bagnole en manif devient « destruction [sic] de bien d’autrui commise en bande organisée », où une bousculade avec des surveillants de prison agressifs et en supériorité numérique se transforme en « violences volontaires n’ayant pas excédé une interruption temporaire de travail de plus de 8 jours ». Ce qui arrive à Samir n’est pas la marge, l’exception de ce qui se passe en prison, c’est son sinistre fonctionnement quotidien : des surveillants qui ont toute liberté pour harceler les détenus qui ont le malheur de ne pas leur plaire ou de ne pas être assez dociles, des syndicats de surveillants qui les soutiennent et qui à chaque altercation se plaignent en exigeant plus de moyens avec une justice qui cautionne tout cela [1]. Et Samir au milieu de tout ça, qui enchaîne peine sur peine. La machine pénitentiaire fonctionne de sorte à ce que quand vous êtes dans son collimateur, tout est fait pour vous écraser. Il y a par exemple ce vieux sursis de plusieurs années de Samir qui tombe après une embrouille avec un maton, juste avant sa sortie en 2009. Il a les provocations répétées de certains matons. Il y a les amendes et surtout les dommages et intérêts exorbitants à verser aux matons « victimes » à chaque nouveau jugement au tribunal. Il y a l’impossibilité désormais de sortir vu son passé en prison [2]. Il y a ces deux matons qui l’accompagnent quotidiennement dans tous ses déplacements puisque l’AP le considère comme un détenu « violent » à l’encontre des surveillants. De quoi devenir vite dingue.
Dernières infos : le cycle semble ne jamais prendre fin. Après son transfert à Bourg-en-Bresse, quand sa mère vient le voir au parloir, il a le bras dans une attelle ; on ne sait pas quand ni comment ça s’est produit. Sur le moment, les surveillants refusent de lui transmettre son linge sale sans explications. La mère s’énerve, demande des explications et est aussitôt interdite de parloir.
Le 23 avril, éclate une altercation entre Samir et un maton, il est immédiatement placé au mitard. Il entame alors une grève de la faim.
Le 30 avril, une personnelle du SPIP (le Service pénitentiaire d’insertion et de probation) annonce à sa famille qu’il est sorti du mitard, apparemment sur ordre d’un médecin, et qu’il a arrêté sa grève de la faim.
Notes
[1] Il faut savoir qu’à chaque altercation avec un surveillant, le détenu passe au prétoire (commission de discipline interne à la prison) où il est susceptible d’être envoyé au mitard, il peut passer aussi devant un tribunal qui allongera sa peine de prison et il n’aura plus droit aux réductions de peine.
[2] En 2011, le Tribunal de Grande Instance de Vienne a refusé qu’il sorte du Centre Pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier sous le régime de la semi-liberté alors qu’il avait pourtant un employeur et qu’il n’avait jamais eu de problèmes dans cette prison avec un détenu ou un surveillant : « Au regard de son mauvais comportement, Monsieur Tafer ne justifie pas d’efforts sérieux de réadaptation sociale pendant son incarcération permettant d’envisager l’octroi d’un aménagement de peine. Il convient de rejeter sa demande. »