Les faits :
Ce soir là, un grand cercle de personnes s’est formé autour de musiciens algérois. Au programme : musique raï et châabi grâce aux talents d’un chanteur-joueur de mandole et d’un percussionniste-joueur de derbouka ; ces musiciens possèdent un vaste répertoire et répondent (mieux qu’un juke-box) aux demandes de l’assemblée réunie. L’ambiance est familiale, bon enfant, à chaque nouvelle chanson de nouveaux danseurs et danseuses occupent le centre du cercle. L’ambiance est festive, on se croirait dans un mariage (mais ici pas de « promesse pour la vie », juste un bon moment à passer ensemble -ici et maintenant-… et demain, inch allah, on remettra ça si l’envie est au rendez-vous).
À 22h10 six véhicules de police, deux véhicules de la BAC s’arrêtent dans le couloir des bus le long de la place. Une vingtaine de policiers se déploie dont 4 maîtres-chiens. Instinctivement les musiciens s’interrompent, rangent leurs instruments et font savoir à l’auditoire qu’ils ont été avertis la veille : ils n’ont pas le droit de jouer de la musique sur le Vieux Port. On pensait en rester là, mais, alors que les musiciens s’éloignent sous les applaudissements, ils sont rattrapés par les policiers qui leurs réclament leurs papiers d’identité. Plusieurs personnes interviennent et essaient de défendre les musiciens. La circulation des bus est interrompue une dizaine de minutes. Certains policiers sont agressifs, l’un d’entre eux brandit une gazeuse, les quatre maîtres-chiens se répartissent à intervalles réguliers pour confiner le petit rassemblement. D’autres policiers se montrent gênés… c’est vrai, les gens réunis ne font rien de mal mais il y a des « plaintes » et puis ils interviennent à la demande du préfet de police, les musiciens n’ont pas « d’autorisation ». Les protestations s’étendent et invectivent les policiers : « bravo, vous avez raison, nous sommes de dangereux terroristes », « Marseille capitale de la culture, c’est fini, la musique dans la rue ça fait mauvais genre », « c’est sûr, on n’est pas des touristes alors on dérange ! ». Pour l’exemple, deux jeunes sont plaqués sur les voitures de police, humiliés et fouillés en publique.
Concernant l’argument de « plaintes déposées »… elles laisseraient entendre que la musique sur le Vieux Port entraîne des nuisances pour les riverains… sauf qu’il s’agit d’un lieu consacré à l’animation de la ville. Il est entouré de voies de circulation pour les bus et au-delà d’un pourtour de terrasses de café qui apportent elles aussi leur lot de bruit et d’animation. On aurait pu penser que les policiers étaient venus faire respecter un horaire (il était juste passé 22h) mais l’argument n’a jamais été avancé par les policiers ; et pour cause, il faudrait l’opposer aussi aux autorisations nocturnes délivrées aux terrasses.
Sur le site de Marseille-Provence-Métropole consacré au Vieux Port (http://www.vieuxportdemarseille.fr), on peut lire :
« Le Vieux-Port est donc bien le lieu idéal de convergence et de rendez-vous. L’endroit où l’on se retrouve pour célébrer les victoires et partager les grands moments.
Le passage obligé pour tous les défilés. C’est ici que l’on espère sentir battre le coeur de Marseille. Ici que les caméras de télévision du monde entier viennent et reviennent se planter pour filmer la ville et ses habitants, avec l’espoir de capter leur âme. »
Le président de MPM Guy Tessier en va lui aussi de sa petite phrase :
« Entre histoire et modernité, la nouvelle agora du Vieux-Port unit Marseillais et visiteurs… d’ici et d’ailleurs. »
Au vu de ce qui s’est passé mardi soir, ces déclarations romanesques paraissent vraiment de mauvais goût. Comment interpréter l’intervention policière ?
S’agit-il d’une opération cosmétique ? La présence de maîtres-chiens et de policiers de la BAC ne permettent pas de douter. Ils n’étaient pas là pour verbaliser des musiciens sans « autorisation » mais pour disperser un rassemblement à l’ambiance bon-enfant mais qui dérange. Cela ne doit pas correspondre à l’image désirée pour la ville, celle sensée attirer et plaire aux touristes fortunés. Il faut éloigner les « classes dangereuses » du centre ville.
S’agit-il d’une « opération de rentrée » pour remettre tout le monde au travail ? Fini l’été et le bon sens qui invite chacun à sortir et à se retrouver.
S’agit-il d’une répression capitaliste de toute activité qui lui échappe ? Pour la petite histoire, les musiciens se sont rendus à la mairie le lendemain pour demander une « autorisation », ils ont été baladés de bureau en bureau de différentes antennes de la mairie : Prado, rue Paradis… il semblerait que la dite « autorisation » pour jouer n’existe pas. Autant se le dire, les musiciens de rue sont persona non grata (à moins qu’ils ne participent à la vision folklorisée désirée de la ville). Le Vieux Port par contre est volontiers cédé aux nombreuses activités commerciales qui le sollicitent : foire d’été, opérations marketing de firmes commerciale (Ricard…) qui partagent les royalties avec la mairie.
Sans doute un cocktail de ces trois interprétations. Le grand écart entre la réalité des opérations policières sur le terrain et les déclarations des dirigeants de la ville met à jour le talon d’Achille des faiseurs de vitrines. Le Marseille populaire continuera d’être le Marseille maghrébin, le Marseille comorien [1], le Marseille des métèques, celui des solidarités ouvrières, des luttes sociales et anti-coloniales.
Le cœur battant de Marseille