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Dissolution et soulèvement - retour sur l’audience au conseil d’état, déclaration commune et appel à vigilance

Article mis en ligne le samedi 4 novembre 2023

Vendredi 27 octobre, un rassemblement vibrant s’est tenu devant le Conseil d’Etat avec des représentant.es de dizaines d’organisations et comités des Soulèvements de la Terre alors que devait se tenir l’audience au fond sur la dissolution du mouvement.

Contrairement à ce qu’avaient statué les juges du Conseil d’Etat en Août et comme nous le redoutions avant l’audience, le rapporteur public a quant à lui, et pour appuyer notre dissolution, suggéré aux juges d’adopter une définition délibérément extensive et juridiquement floue de la notion de "provocations". En affirmant par exemple en ce sens que les provocations peuvent être "indirectes, implicites, voire insidieuses", il a demandé aux juges de "faire la police des mots" comme a pu le déclarer notre avocat Me Lyon Caen. Si la redéfinition liberticide invoquée vendredi du terme de "provocation" venait à être adoptée par les juges, cela serait un grave recul pour la liberté d’expression et une menace pour les mouvements sociaux en général.

Comme nous l’avons dénoncé devant le conseil d’Etat avec un ensemble d’organisations, associations et syndicats devant le Conseil D’Etat, : "Si une telle conception de la "provocation" justifiait la dissolution d’un collectif, d’une association ou d’un syndicat, alors demain c’est l’ensemble du mouvement social que le gouvernement pourra dissoudre administrativement ! C’est l’ensemble des oppositions syndicales, politiques et sociales de ce pays qui ne pourront plus exercer leur liberté d’association et seront passibles d’un an d’emprisonnement pour maintien ou reconstitution de ligue dissoute.

Qu’est-ce qui empêchera demain, sur cette base, de dissoudre à partir de leur propos, un syndicat de salariés parce que ses adhérents brulent des palettes devant un piquet de grève ou vident le bureau de leur patron pour protester contre des licenciements ? un syndicat paysan qui démonte un macdo pour protester contre la malbouffe ou une pompe illégale pour lutter contre l’accaparement de l’eau ? un collectif citoyen qui fauche des OGMs ? Un collectif écolo qui repeint la façade d’une multinationale responsable du ravage environnemental ?

En déclarant également que "les causes doivent être ignorées", le rapporteur public a confirmé une autre crainte quant à sa disposition lors de cette audience : la dangereuse mise en équivalence entre des causes aussi nécessaires et urgentes pour le bien commun que la défense des terres et de l’eau, ou encore la lutte contre le racisme, avec la pire des xénophobies, incarnée notamment par l’Alvarium.

Si le gouvernement tient tant à nous dissoudre aujourd’hui c’est parce que face à son action anti-écologique et anti-sociale au service d’intêrets privés, nos mobilisations redonnent espoir dans la possibilité de défendre concrètement les terres et l’eau. Quoi qu’il arrive, cette force de résistance et cet espoir ne pouront plus être bannies par décrêt.

Gageons que le Conseil d’État, qui a déjà condamné l’inaction gouvernementale face à l’urgence climatique et l’effondrement de la biodiversité, fera de nouveau le choix de défendre les libertés publiques plutôt que d’aller dans le sens de prohiber les mouvements qui assument la nécessité d’agir en conséquence.

La décision du Conseil D’Etat sera rendue à une date encore inconnue dans les jours et semaines à venir.

Nous appelons tou·te·s les personnes, organisations, comités locaux, partout à travers le pays à rester vigilant·es et à continuer à faire vivre, croître et se multiplier le mouvement dans les mois et années à venir.

Voici la déclaration lue à 15 voix devant le Conseil d’État par des personnes engagées dans les soulèvements de la Terre et des portes-parole entre autre d’Atttac, Solidaires, Bloom, Alternatiba, l’Atelier Paysan, la Confédération Paysanne, Ingénieurs Sans Frontières,les Amis de la Terre, etc.

## Déclaration des Soulèvements de la terre avant l’audience au Conseil d’État - 27 octobre 2023

Nous vous remercions d’être venus participer à ce rassemblement de soutien à l’appel de l’ensemble des ONGs, syndicats, partis politiques, associations qui se sont portées co-requêrantes ou intervenantes volontaires contre la dissolution des Soulèvements de la terre ! Tous-tes ensemble, nous refusons de nous laisser intimider par cette opération qui vise à criminaliser toute forme d’opposition à la politique anti-sociale, et anti-écologique du gouvernement français.

L’audience au fond du recours de dissolution des Soulèvements de la terre devant le Conseil d’État est un moment majeur pour l’histoire du mouvement et une audience particulièrement emblématique pour l’avenir des libertés publiques et politiques.

Le gouvernement est atteint de dissolutionite aigue. A lui seul Macron aura dissous plus d’organisation et de collectifs que tous les gouvernements français cumulés ! Comme à l’accoutumée avec les régimes d’exception, cette répression administrative a commencé avec le Collectif contre l’Islamophobie en France, avant de se généraliser à l’ensemble du champ politique.

Cette audience a un caractère très particulier puisqu’elle se fait pour l’occasion devant la section du contentieux, une section du Conseil d’État qui réunit 15 juges et "où sont jugées les affaires qui présentent une importance remarquable". Mais aussi parce que des recours au fond contre des dissolutions d’autres structures aux engagements politiques divers - et pour certains profondément antinomiques - vont y étudiés à la suite : celle du groupe antifasciste lyonnais la GALE, de la Coordination contre le Racisme et l’Islamophobie (CRI), mais aussi de l’Alvarium, une organisation néo-fasciste.

A contrario des décisions prises par les juges en référé de suspendre la dissolution de la GALE et des Soulèvements de la terre, le rapporteur public a annoncé qu’il se prononcerait, quant à lui, en faveur de leur dissolution, ainsi que de celle des autres groupes visés.

En ce qui concerne les Soulèvements de la terre, rien ne justifierait matériellement une décision qui irait à rebours de celle prise cet été.

Il est donc à craindre que le rapporteur public propose une interprétation contraire à celles des juges qui ont suspendu le décret en aout. Une interprétation visant à faire jurisprudence pour les prochaines dissolutions, avec une vision extensive et liberticide de la notion de "provocation", dont la définition même a justifié la saisine aujourd’hui de la formation solennelle de jugement du Conseil d’Etat.

Si une telle conception de la "provocation" justifiait la dissolution d’un collectif, d’une association ou d’un syndicat, alors demain c’est l’ensemble du mouvement social que le gouvernement pourra dissoudre administrativement ! C’est l’ensemble des oppositions syndicales, politiques et sociales de ce pays qui ne pourront plus exercer leur liberté d’association et seront passibles d’un an d’emprisonnement pour maintien ou reconstitution de ligue dissoute.

Qu’est-ce qui empêchera demain, sur cette base, de dissoudre sur la base de leur propos un syndicat de salariés parce que ses adhérents brulent des palettes devant un piquet de grève ou vident le bureau de leur patron pour protester contre des licenciements ? un syndicat paysan qui démonte un macdo pour protester contre la malbouffe ou une pompe illégale pour lutter contre l’accaparement de l’eau ? un collectif citoyen qui fauche des OGMs ? Un collectif écolo qui repeint la façade d’une multinationale responsable du ravage climatique ?

Il n’y a guère que Darmanin pour chosifier et déshumaniser à ce point ses sembables et affirmer devant une commission d’enquête parlementaire que "les biens et les personnes, c’est la même chose". Quel degré d’inhumanité et de bêtise faut-il atteindre pour mettre sur le même plan, les infrastructures ou les marchandises et les corps des hommes et des femmes ?

Dans ce contexte de "tir groupé", le rapporteur public semble vouloir mettre sur un même plan des mouvements on ne peut plus différents, voire clairement antagonistes, pour le bien commun que sont l’écologie et l’antiracisme face à un groupement ouvertement néofasciste et xénophobe.

Enfin, notre dissolution constituerait une fuite en avant dans la surveillance massive. La représentante du ministère de l’intérieur n’avait-elle pas déjà asséné en référé que "les personnes [154 884 à ce jour] qui ont choisi d’adhérer aux soulèvements de la terre entrent ipso facto dans le scope des services de renseignements". Le refus du désastre en cours justifie-t-il une atteinte massive à la vie privée de toutes celles et ceux qui entendent ainsi défendre la terre, la justice sociale et le vivant ?

Nous attendons pour notre part évidemment, à l’issue du délibéré de cette nouvelle audience, que les juges du Conseil d’État confirment les arguments de fond et sans ambiguïtés qui les ont amenés à suspendre la dissolution en août.

Dans le contexte actuel d’hyper présidentialisme et de 49-3 systématisé, d’atteinte généralisée aux libertés, le conseil d’Etat constitue l’un des tout dernier garde-fous du pouvoir face aux vélléités autoritaires du gouvernement Macron. Dernier exemple en date : l’interdiction systématique des rassemblements de soutien à la Palestine. Qu’adviendra-t-il si bientôt l’extrême droite arrive au pouvoir avec de tels outils en main et des libertés publiques déjà allègrement piétinées et bafouées ?

Gageons que le Conseil d’État continuera plutôt à défendre les libertés publiques, à condamner l’inaction gouvernementale face à l’urgence climatique et à l’effondrement de la biodiversité plutôt que de prohiber les mouvements qui assument la nécessité d’agir en conséquence.

Rappelons que des milliers de personnes, ainsi que des dizaines d’organisations syndicales, politiques et environnementales se sont portées co-requérantes contre la dissolution de la coalition que constitue les Soulèvements de la terre, affirmant ainsi le caractère composite, massif, multiple et indissoluble du mouvement !

Elles portent face au Conseil d’Etat la voix des 150 000 personnes et 200 comités locaux, pour qui le maintien d’un mouvement de défense des terres et de l’eau est absolument vital.

Un certains nombre d’autres organisations se sont portées quant à elles intervenantes volontaires et affirment ainsi que la dissolution des Soulèvements de la terre constituerait une grave violation de la liberté d’expression et d’association, dans un contexte de répression accrue des mouvements sociaux.

Après ce que nous avons traversé ensemble depuis mars et la répression à Sainte-soline, après les nouvellles mobilisations qui ont eu lieu depuis à Castres-Toulouse contre l’A69, à Rouen pour préserver une forêt du bitume, dans la vallée alpine de Maurienne face à un projet démentiel, à St colomban contre l’extension de carrrières lafarge, sur 400 km de route avec un inoubliable convoi de l’eau, après une zad à la cime d’un glacier, après tous les soulèvements de solidarité inouïs de ces derniers mois, il est aujourd’hui plus que jamais impensable qu’une dissolution abolisse le courage de lutter. Il n’y aura plus de répit pour mettre à l’arrêt les projets écocidaires qu’une partie croissante de la population conteste, et qui compromettent dramatiquement le futur de la jeunesse.

Dans les Deux-sèvres et dans la Vienne, la justice vient - une fois de plus ! - de donner raison aux combats précurseurs menés par les Soulèvements de la terre et les collectifs locaux, avec l’annulation de 15 projets de bassines. Quel est donc le degré de déconnexion à la realité et de soumission aux lobbys privés des dirigeants pour penser pouvoir interdire aux habitant.es de ce pays de désobéir alors que leur eau est empoisonnée ou accaparée, que les terres et forêts sont en péril, et que l’accès aux ressources est plus que jamais inégalitaire ? La situation climatique et sociale est bien trop grave pour qu’il y ait le choix de continuer à agir ou non. Dissolution ou pas, les luttes et les soulèvements pour la terre vont grandir, se multiplier et s’amplifier.

Ce qui repousse partout ne peut être dissout. On ne dissout pas un soulèvement !

Nous sommes tous/tes les soulèvements de la terre !

P.-S.

Les soulèvements de la terre

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