Une tribune pour les luttes

La Méditerranée est-elle un pont ou une frontière ?

par Chems Eddine Chitour

Article mis en ligne le mardi 2 mai 2006

« La Méditerranée est esthétique et sentimentale avant d’être politique. La Méditerranée ne peut naître que si l’Europe existe. (Edgard Pisani)

Fernand Braudel écrivait à propos de la civilisation : « La notion de civilisation est au moins double. Elle désigne à la fois des valeurs morales et des valeurs matérielles. » Avant lui, l’ethnologue britannique Edward Burnett Tylor avait précisé qu’une civilisation englobe « les connaissances, les croyances, art, morale, droit, coutumes et toutes les autres aptitudes propres à l’Homme en tant que membre de la société ».

Les historiens occidentaux pensent que la civilisation chrétienne et sa position prépondérante dans le monde tient à la synthèse qu’elle a su réaliser entre le legs de l’Antiquité de la Grèce antique et de l’Empire Romain et la religion chrétienne. L’Empire romain, qui s’est étendu sur tout le Bassin méditerranéen, l’a, en revanche, mise en contact avec un grand nombre de civilisations. Pour sa part, La civilisation islamique étend son influence sur une zone très vaste, de l’Afrique noire à l’Inde et à l’Indonésie, du Maghreb au Moyen-Orient. Elle tire sa force première de la cohésion que lui confère la religion musulmane. Cette dernière, à la fois création originale et synthèse des cultures et des civilisations antérieures du Moyen-Orient, est aussi une morale sociale, une conception politique théorique et pratique. Cela explique que des populations entières, qui ont souvent des conditions de vie difficiles, trouvent en elle une réponse ; elle leur offre une vision globale de la société et un espoir en l’avenir.

Grâce à la qualité de leurs navires et à leur connaissance de la navigation, les Phéniciens Sémites courent les mers jour et nuit d’un bout à l’autre de l’oikoumenê (« territoires connus et habités », en grec). Leur réputation d’explorateurs est telle qu’ils accompliront un périple de trois ans autour de l’Afrique pour le compte du pharaon Néchao II, au VII e siècle av. J.-C. Jamais aussi petit peuple ne réalisa autant d’implantations coloniales ; tournés vers la mer Méditerranée, succédant aux Achéens, précédant les Grecs, les Phéniciens créèrent un grand nombre de comptoirs commerciaux le long des côtes méditerranéennes. En Tripolitaine, En Tunisie et en Algérie les comptoirs sont nombreux : Thapsus (Ras Dimasse), Hippo Regius (Annaba), Cirta (Constantine), Saldae (Bougie) , Icosium (Alger), Tipasa, Iol (Cherchell).

Carthage, Karth Hadith en Phénicien qui signifie « Ville nouvelle » et qui deviendra « Karia Haditha », a été créée par les Tyriens au début de leur exploration de la côte africaine, au IX e siècle av. J.-C. Elle deviendra la grande puissance navale de l’Occident méditerranéen jusqu’au II e siècle et disputera âprement à Rome la suprématie au cours des guerres puniques avant de s’incliner en 146 av. J.-C. Pour rappel, les Carthaginois sont entrés dans l’histoire de la Méditerranée après la chute de Tyr, avec l’arrivée massive des réfugiés métropolitains. Dont notamment Didon la fameuse princesse qui eut comme territoire concédé par un roi berbère, le territoire délimité par une peau de bœuf ( la légende rapporte qu’elle la découpa en de minces bandes qu’elle accola les unes aux autres) Carthage était née.

La Méditerranée connaît ainsi au VI e siècle avant J.C. un regain d’activité maritime très intense. Les cités sont ravitaillées par leurs flottes marchandes : les blés proviennent de Sicile, d’Italie, de Scythie et d’Egypte, les bois pour la construction navale de Thrace et d’Anatolie, le fer d’Etrurie et de l’île d’Elbe. De cette puissance retrouvée émerge l’empire maritime d’Athènes, centre du commerce méditerranéen jusqu’à la fin du IV e siècle. Très vite pourtant, cet équilibre se rompt : Sparte se révolte (404avt J.C.), et il faut désormais compter avec l’activité commerciale de Rhodes et de Byzance. L’unification fragile fait place à un morcellement qui vulnérabilise la Grèce. Avec les Phéniciens, les escales de la côte africaine passent du statut de comptoir à celui de cité. Leur dynamisme sort l’Afrique du Nord de la préhistoire : ils y acclimatent l’olivier, la vigne, le figuier, l’amandier et le grenadier. Les Carthaginois vont tirer un énorme profit du décalage économique des deux Méditerranée. ils inondent leurs colonies de produits manufacturés, surtout des poteries, et leur fournissent du vin et de l’huile.

Le démembrement de l’empire d’Alexandre replace le centre de gravité du monde hellénistique en Méditerranée orientale. L’empire maritime des Athéniens a perdu son hégémonie au profit de Rhodes puis d’Alexandrie seconde grande cité commerciale de l’époque hellénistique fondée en 331 av. J.-C. Son port, bien protégé, possède sur l’île de Pharos une tour de marbre blanc, haute de 180 m, au sommet de laquelle on entretient des feux la nuit pour guider la marche des navires.

Les Romains n’ont jamais manifesté de vocation maritime durant l’époque de la République. S’ils sont devenus, au IIe siècle avant notre ère, la première puissance méditerranéenne, c’est en quelque sorte contre leur gré, à la suite de conflits avec Carthage et en raison des menaces macédoniennes. La victoire sur Carthage a non seulement mis hors jeu la première puissance navale de l’Ouest méditerranéen, mais encore elle a livré à Rome un empire comprenant la Sicile, le sud de l’Espagne et l’Afrique du Nord. En 133 av. J.-C., l’ensemble de la Méditerranée lui appartient. Cette hégémonie, qui prend souvent la forme d’une colonisation brutale, provoque de nombreux bouleversements politiques et culturels : La vie maritime antique atteint son apogée sous la pax romana. Le volume des marchandises acheminées dans les ports d’Ostie et de Pouzzoles connaît une augmentation vertigineuse. Pour sa part, l’Algérie sera pendant près de six siècles, le grenier à blé de Rome.

Patrimoine maritime commun de l’ensemble de ses pays riverains, la Méditerranée est également un héritage partagé. Au cours des siècles les dynamiques d’éclatement l’emportent, la Méditerranée est le théâtre de divisions successives : C’est donc une entité complexe et diversifiée que Fernand Braudel étudie lorsqu’il se penche sur la "Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II". Le mouvement colonial des XIXe et XXe siècles, avec ses conséquences, poursuit cette problématique du contact et de la division.

L’histoire de la Méditerranée est, de ce fait, rythmée par des mutations profondes et brutales, des fractures et des bouleversements qui touchent à l’économie, à la politique, à la société et à la religion. Les courses chrétienne et maghrébine en profitent dès le XVIe siècle, tout comme les Régences maghrébines pour gagner en autonomie par rapport à la Porte. L’affrontement entre les deux rives et la guerre entre les Etats chrétiens et la Porte ottomane, auquel s’ajoutent les multiples tentatives françaises, anglaises et hollandaises de déstabilisation de la puissance espagnole, couvre les trois siècles de l’époque moderne. On a pu dire à juste titre que le « choc des plaques musulmanes et chrétiennes » s’est fait en deux endroits : En Algérie, les frères Barberousse purent contenir la Reconquista espagnole au début du XVIe siècle et à la fin du XVIIe siècle, sur le continent européen aux portes de Vienne, les Ottomans furent arrêtés,

La Méditerranée des années 2000 peut apparaître comme un monde divisé, interface entre un Nord, au niveau de développement élevé et un Sud (en fait Sud et Est) en retard de développement. Dualité économique qui se double d’une dualité politique entre la plupart des pays du Nord dits démocratiques et les pays du Sud et de l’Est où ces mêmes libertés publiques sont moindres et dont les régimes politiques sont, à des degrés variables, autoritaires.

A l’époque contemporaine, les guerres coloniales, civiles les conflits territoriaux ou ethniques les crises de légitimité des pouvoirs menacent les fragiles équilibres de la région et accentuent les tensions. Aujourd’hui, l’espace méditerranéen reste la principale zone de tensions géopolitiques et de conflits armés au plan mondial. L’histoire de la Méditerranée est aussi celle des fractures qui s’aggravent entre l’Europe occidentale, les Balkans, le Maghreb et le Moyen-Orient. La Méditerranée et les Etats riverains correspondent à cette ligne de rupture qui, depuis les années 50, marque plus ou moins le contraste entre les pays du Nord et du Sud.

Quel est l’apport de la rive Sud à la rive Nord en terme civilisationnel ? Peut-on dire que l’Occident latin s’est mis, au Moyen-Age, à l’école du monde musulman ? Oui, si l’on en croit Roger Bacon au XIIe : « Des savants arabes, nous avons hérité toute la philosophie et tout le savoir scientifique que nous latins n’avons pas ». Un siècle plus tôt, Adélard de Bath ou Daniel de Morley opposent l’enseignement de leurs maîtres arabes guidés par la raison (ratio), à l’obscurantisme des cours dispensés dans les écoles latines dont le seul souci est d’affirmer sans discussion l’autorité (auctoritas) des auteurs antiques. « Les universités d’Occident qui fleurissent à la fin du XIIe et surtout au XIIIe siècle et au-delà, auraient-elles quelque dette envers la madrasa musulmane qui leur est chronologiquement antérieure ?

Il est indéniable que l’Islam classique est à l’opposé d’une culture obscurantiste ; de nombreux hadiths (paroles du Prophète), de même que certains passages du Coran encouragent la quête scientifique et le cosmopolitisme savant : « Va rechercher la science, fût-elle en Chine », « L’encre du savant est préférable au sang du martyr », etc. Le monde musulman est une source intellectuelle et scientifique où puise sans cesse l’Occident latin des XIIe-XIIIe siècles. C’était l’époque où Bejaia brillait de mille feux, des savants de réputation y enseignaient. Al Ghobrini dénombra cent savants dans son faeux livre « ‘Ounouan Adhiraya ‘An Machaikh Bidjaïa » , Galeries des portraits des savants de Bejaia. C’est à l’université de Béjaia que le célèbre mathématicien Léonardo Fibonacci- connu pour avoir inventé les suites- fit sa thèse. Il rend hommage dans son livre , à son maître de Béjaïa : « Exmerabili magisterio » ; « le maitre admirable » (1)

L’aristotélisme d’Avicenne et d’Averroès fut, par exemple, exposé dans un traité appelé "Lettres Siciliennes " et adressé par le philosophe Ibn Sabin à Frédéric II de Hohenstaufen ; Al-Idrisi nous a légué son « Kitab Roudjar »"Livre de Roger ", ouvrage de géographie écrit pour Roger deuxième du nom et roi normand de Sicile (1105-1154). Louis Massignon, avec son principe d’"hospitalité sacrée", et surtout Jacques Berque avec ses "Andalousies toujours recommencées dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l’inlassable espérance" vont faire exister une authentique pensée des deux rives. "Je vous établis en tant que communauté médiane, oummatan wasatan, afin que des hommes vous témoigniez" (Coran, II, 143) En citant ce fameux verset du Coran, Jacques Berque ajoute qu’on pourrait désormais le relire "comme assignant à l’islam un rôle de jonction entre l’Occident et l’ensemble afro-asiatique. Conformément à l’étymologie, la Méditerranée en serait le cœur spatial."

La triste réalité de la fin du XXe siècle : Le Processus de Barcelone

A l’échelle de la Méditerranée, le processus de Barcelone, à l’œuvre depuis 1995, vise la constitution d’un espace politique, stratégique, économique et culturel. Dans les faits, le partenariat euro-méditerranéen, tel qu’il s’organise, visait à créer, dans une situation de dépendance renforcée, une zone de libre échange entre les économies des rives sud et est de la Méditerranée et à celle de l’Union Européenne, avant 2010. La solution miracle proposée au pays du Sud pour atteindre enfin la " prospérité " est aussi à l’œuvre en Europe ; c’est la libéralisation à outrance de leurs économies et le libre-échange généralisé, conformément aux règles de l’OMC : désengagement de l’Etat et privatisation des entreprises et des services publics, Les pays du Sud sont progressivement remodelés en espaces économiques ouverts et sans protection douanière face aux pays de l’Union Européenne. Ceux-là sont tout particulièrement soumis au régime dévastateur des PAS

Loin de favoriser un développement autonome et respectueux de l’environnement et des hommes, la logique des accords ne peut qu’aboutir à renforcer le fossé existant entre les pays du Nord, disposant d’une industrie puissante et compétitive, et les Etats du Sud, victimes de décennies de colonisation puis de spoliations et de rapports inégaux. Sans protection, une grande partie du tissu industriel de ces Etats est condamné à la liquidation. La restructuration libérale des pays du Sud implique une austérité aggravée, la baisse des salaires, à tous les niveaux de qualification, le développement du chômage et de l’emploi précaire ainsi que la dégradation des conditions de travail. La part mondiale des IDE que reçoivent les pays du Maghreb a baissé de 1.4% à 0.7% ». (2).

Le Maghreb est une zone peu attractive des investissements étrangers. Pour M. Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, a sévèrement critiqué le MEDA, fonds de soutien financier à la mise à niveau des pays du Sud méditerranéen, selon lui « un plan Marshall à l’envers » parce qu’il sert à mettre les produits européens à la place de l’industrie de nos pays ».. Enfin, la gestion du programme Meda, appelle des critiques quant à son manque de transparence..(3).

Dix ans plus tard,en 2005 c’est l’échec. La croissance de la région est restée de moitié inférieure au niveau nécessaire pour employer la jeunesse. Les revenus par tête, au sud et au nord de la Méditerranée, ont divergé au lieu de se rapprocher. Le chômage et la pauvreté sont en expansion. Les réformes sont en retard. Est-ce parce que l’élargissement à l’Est a monopolisé l’attention des Européens ? Est-ce à cause du 11-Septembre ? Est-ce parce que la Chine, un aimant autrement fort, a polarisé les investisseurs et les marchands ? Un peu tout ça, sans doute. En tout cas, dix ans plus tard, le processus de Barcelone est en panne. Et le dépit est fort, en particulier dans le Maghreb. L’Union a obtenu une ouverture des marchés industriels du Sud, mais elle a laissé hautes ses propres barrières (par des normes sanitaires ou environnementales protectionnistes) et closes les portes de ses marchés agricoles. Les échanges hors pétrole sont restés asymétriques et très déficitaires pour le Sud. Les capitaux sont rares : les pays méditerranéens n’absorbent que 1,5 % des sommes investies par l’Union. La Pologne en reçoit autant à elle toute seule.(4).

De plus, peut-on parler d’une « forteresse Europe » ? Cette image est souvent utilisée à propos de l’UE à propos de son attitude vis-à-vis de la mobilité des hommes, et en particulier elle « colle » à ses rivages méditerranéens, comme un résumé des rapports Nord-Sud mondiaux. Le processus de Barcelone ne prend pas en compte les aspects migratoires, qu’ils soient touristiques ou « résidentiels », ce qui constitue une lacune politique indéniable.

Déjà en 1990, Michel Drain constatait « la Méditerranée est devenue le Rio Grande du vieux continent ». De fait, il s’agit bien d’un espace de discontinuité Nord/Sud s’intercalant entre des pays dans l’ensemble riches et des pays, non pas pauvres, mais intermédiaires : il y a un rapport de 1 a 5 entre le PIB/ hab PPA de pays comme la France et l’Algérie. Cet espace de discontinuité, certes relativement étendu (distance Nord/Sud Marseille-Alger environ 750 km), présente cependant des points de passages remarquables : 14 km pour le détroit de Gibraltar et Istanbul est une ville transcontinentale. La problématique de l’interface est donc pertinente.(5).

« Abordant les résultats décevants du processus de Barcelone, Habib Boulares secrétaire général de l’UMA pointe du doigt les vraies entraves. Ecoutons le : « Qu’est-ce qui, dans ces conditions, ne répond pas à nos attentes ? L’Union existe de fait quand il s’agit d’intérêt commun immédiat. L’’initiative européenne de politique de voisinage est à évaluer à l’aune des résultats. Avec des plans d’action à élaborer avec chaque pays (c’est déjà le cas avec le Maroc et la Tunisie), il s’agit d’un voisinage à la carte qui demeure hypothéqué par (appelons les choses par leur nom) le fossé confessionnel et culturel. L’Europe qui freine des quatre fers à la frontière turque, envisage allégrement l’intégration de l’Ukraine ou de la Moldavie et réserve dans ses documents un intérêt particulier au sud du Caucase. En termes diplomatiques, il est dit aux pays de l’UMA vous ne serez jamais que des voisins, une banlieue difficile d’une métropole prospère. Et quand on parle des frontières bloquées on emploie des termes recherchés tels que « amélioration des procédures administratives ».

« L’apport extérieur dont les flux MEDA et BEI font partie, en atteint à peine 3%. On est ainsi loin de la notion de plan Marshall, seule approche de nature à développer rapidement le sud de la Méditerranée. « Le processus engagé à Barcelone, il y a dix ans, a fait naître de grandes espérances. Nos pays étaient animés de la plus belle des ambitions : rapprocher les pays du pourtour de la Méditerranée, les faire travailler ensemble, mêler toujours plus intimement leurs vies, économique, sociale, culturelle, politique, imbriquer toujours plus étroitement leur histoire et leur avenir. (6).

Curieusement lors du Xe anniversaire du Processus de Barcelone, Jose Manuel Barroso Président de la Commission européenne, affirmait que le Partenariat euro-méditerranéen, qui s’est construit autour d’une logique d’évolution, plutôt que de révolution, s’est discrètement bâti sur des bases solides et viables. Il est devenu aujourd’hui l’un des partenariats les plus enviés en Europe.(7)....

Pourtant, le volet énergie qui peut constituer un puissant mécanisme intégrateur est totalement absent de la position européenne réitérée par J.M. Barroso, L’atout énergétique de l’UMA devrait être apprécié à sa juste dimension, d’autant que la situation énergétique de l’Europe, malgré le livre blanc sur les énergies renouvelables malgré les deux « Livres vert » est plus que jamais chaotique depuis la libération du marché de l’électricité. Chaque grand pays tente de favoriser son champion national dans le cadre d’OPA, pour certaines « inamicales » au nom du « patriotisme économique »

Alors que le débat piétine sur la définition d’une politique commune de l’énergie au niveau de l’Union européenne,-malgré un deuxième « Livre vert » publié début mars 2006- la Commission s’attaque à la façon dont les Etats membres avancent vers la libéralisation totale du secteur, prévue d’ici à juillet 2007. Lors du dernier Conseil européen de Bruxelles, les 23 et 24 mars, chefs d’Etat et de gouvernement avaient confirmé leur volonté de "parachever l’ouverture du marché pour tous les consommateurs" avant le second semestre 2007.. Les Etats refusent de se doter d’une politique commune dans une Europe divisée. Les Britanniques et les Néerlandais veulent contrôler 100% de leurs hydrocarbures ; les Français entendent faire ce qu’ils veulent en matière nucléaire, tandis que les Allemands, les Autrichiens et les Italiens qui ne souhaitent pas de centrales atomiques chez eux entendent néanmoins profiter de celles de leurs voisins. Au nationalisme économique et à l’euroscepticisme qui l’accompagne, il convient d’ajouter, dans ce même registre de l’obsession sécuritaire en matière d’énergie, la proposition lancée par la Pologne d’un OTAN de l’énergie.. A juste titre, le professeur Elie Cohen (Université Dauphine) a raison de déclarer que l’Europe a raté sa politique énergétique : « l’objectif de la Commission a été de casser les monopoles nationaux et non de constituer une plate-forme électrique européenne intégrée en développant les interconnexions aux frontières ».

Espace essentiel de production et de transit de ressources énergétiques, la Méditerranée présente deux inégalités majeures : - la dotation en ressources énergétiques est très fortement concentrée sur trois pays du Sud, l’Algérie, la Libye et l’Égypte, qui détiennent environ 5% des réserves mondiales de gaz naturel et 3% des réserves de pétrole. Les deux principaux gazoducs existants à ce jour sont le Transmed (Algérie,Tunisie, Sicile, Italie) et le gazoduc Maghreb-Europe (Algérie, Maroc, Espagne, Portugal) et de nombreuses liaisons sont à l’étude ou en projet pour des échanges Nord-Sud ou Est-Ouest. Or, les gazoducs créent interdépendances et solidarités. Le renforcement des interconnexions électriques Nord-Sud et Est-Ouest peuvent avoir les mêmes effets. La boucle méditerranéenne n’est pas encore complète mais elle est inscrite depuis longtemps parmi les projets des entreprises électriques de la région.

Une augmentation du flux des investissements est de nature à entraîner un rééquilibrage dynamique des flux d’échange et leur intensification. Ce rééquilibrage ne concerne pas seulement les activités industrielles, financières et de services, il porte aussi sur les flux de capital humain en tenant compte d’une Europe qui s’appauvrit en vieillissant et qui a besoin de définir une politique d’immigration raisonnée et raisonnable.

Les complémentarités énergétiques sont évidentes et il convient d’inscrire le développement des infrastructures de transport dans les priorités européennes. Le Sud peut encore s’ouvrir aux investissements du Nord, non seulement pour les hydrocarbures et l’électricité mais aussi dans le développement des énergies renouvelables, dans le souci de construire ensemble un avenir énergétique conforme au développement durable.

Dans le domaine universitaire, un co-investissement qui prépare l’avenir doit être pensé dans le cadre d’un espace européen de l’enseignement supérieur euro-méditerranéen : mise en réseau des universités - mobilité des enseignants et des étudiants - enseignement à distance - bibliothèque virtuelle. Il est nécessaire de transcender l’approche restrictive du processus de Barcelone aux échanges commerciaux et à l’aide financière pour une approche multidimensionnelle englobant tous les secteurs. L’accent a été mis sur l’impératif de promouvoir des forums de réflexions entre les élites universitaires du Nord et du Sud, le partenariat dans les domaines de la recherche, de la formation des formateurs et de la libre circulation des produits, services, capitaux et hommes..

Conclusion

Vu du Sud, Le processus de Barcelone, ressemble bien à une démarche de néocolonisation économique. Les faits sont têtus disait-on. Cela dépend des faits et de leur entêtement. La relation commerciale n’a jamais cessé depuis l’antiquité, le flux humain a continué dans tous les sens et, à travers lui, le véritable dialogue culturel qui fait qu’autour de la Méditerranée , on est d’abord enfant de cette mer qui est notre berceau et

« Pour Nourredine Toualbi, la volonté de « barricadement » économique et culturel de l’Europe est interprétée, dans les subjectivités collectives arabes, comme un réflexe de rejet de l’Autre d’autant plus injuste qu’il est contraire aux valeurs d’humanisme et de tolérance dont la civilisation occidentale se dit être le champion... En réaction de défense, le repli dans le particularisme culturel et religieux répond à un réflexe d’acculturation antagoniste favorisant, en dernière instance, un discours d’excommunication de l’altérité culturelle et identitaire véhiculée par le modèle occidental. Il faut donc, pour terminer, rappeler le mot de Fernand Braudel qui disait que « l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare ». Il se prépare dans le respect bien compris des croyances et de la dignité de l’autre ! » (8).

Le marché uni du Maghreb est une urgence historique. Philippe Colombani, de l’Institut français des relations extérieures, pense que l’un des scénarios étudié par le scénario d’un développement de la zone Europe, même élargi à l’Est, sans intégration de la zone Maghreb, verrait le poids de l’Europe, aujourd’hui proche des 30% du PIB mondial, descendre à 12% en 2050. En gros, à cause d’une courbe démographique défavorable. L’Europe a intérêt à se rajeunir. Un scénario où l’Europe pèserait encore 20% du PIB mondial en 2050 intègre cela » : il faudra entre autres conditions, aider le Maghreb, future source de compensation de la dénatalité européenne, « à assurer une croissance forte en élevant énergiquement la productivité du travail de ses entreprises ». Voilà les destins scellés entre les deux rives de la Méditerranée Ouest. Le Nord aura besoin de travailleurs et pas seulement de la spoliation des diplômés du Sud et de dynamisme natal, le Sud de capitaux et de savoirs techniques.

Pourtant « En Europe, écrit Georges Corm, nous assistons à une crise grave. La disparition des nationalismes européens classiques avec leur immense patrimoine culturel et artistique (français, italien, allemand, anglais, etc...) et la mise en place de l’Union européenne, machine aveugle du libre échange et de la globalisation, a créé un malaise identitaire sans précédent dans l’histoire de ce continent. A la génération des hommes politiques issus de la Seconde Guerre mondiale qui avaient une vision forte et idéaliste du monde a succédé une génération d’hommes politiques creux, sans vision d’avenir et qui se sont laissés tenter aussi bien par le thème facile et à la mode du « retour » du religieux que par la fièvre coloniale des Etats-Unis qui se cache derrière.(9).

La Méditerranée que nous voulons, sera construite pour répondre aux besoins sociaux, politiques, éducatifs et culturels des peuples et non pas à des contraintes prétendument fatales du marché.. Que s’agit-il d’instaurer, en définitive, entre l’Europe et la Méditerranée, de simples relations de sécurité ou de bâtir un véritable avenir commun ? Comment faire prévaloir des relations de confiance, alors que l’on assiste de part et d’autre à une montée de la défiance ? C’est là où l’action culturelle internationale peut jouer un rôle stratégique. Faudra t-il attendre qu’il soit trop tard pour que l’Europe se préoccupe enfin sérieusement de la Méditerranée ?
La Méditerranée que nous voulons, c’est véritablement la « mare nostrum » des Anciens, un lac de paix où il n’y aura pas de suprématie, une région où nous ne verrons plus les épaves de Lampédusa ou les miradors du Sive espagnol entrain de traquer les pateras des candidats à l’exil, véritables « damnés de la terre ». Une Méditerranée qui est le creuset d’une histoire commune. Les hommes politiques devraient revenir à plus de sagesse et comprendre, enfin, que ce qui peut sauver les hommes c’est l’éducation, le savoir, l’acculturation. Gageons que dans l’avenir des relations entre le Nord et le Sud de « Mare Nostrum », on puisse enfin, parler d’une université méditerranéenne de la connaissance. Alors la sentence de Fernand Braudel : « La Méditerranée est un pont et non une frontière », aura toute sa signification. C’est peut-être une utopie, nous y croyons.

Chems Eddine Chitour

17 avril 2006

Bibliographie

1.Michel Balivet Professeur d’histoire médiévale à l’Université de Provence 01/05/2002 http://histgeo.ac-aix-marseille.fr/a/div/d016.htm.

2.http://www.onesta.net/texte23.html Éric le Boucher Le Monde - le 8 octobre 2005

3.Chems Eddine Chitour : Le processus de Barcelone ; Un processus Donquichottesque. Journal l’Expression 28/11/2005.

4.M Drain dans Beaujeu-Garnier J., Gamblin A., La CEE méditerranéenne, Paris, Sedes-CDU, 1990.

5.Dominique Riviere, L’Europe et les rapports Nord/Sud en Méditerranée Compte rendu de la conférence du CDDP du Havre Notes de B. Lisbonis 7 avril 2004.

6.Habib Boulares Secrétaire général de l’Union du Maghreb Arabe. L’UMA et le processus de Barcelone. Observatoire de la Méditerranée. Rome, 25 février 2005

7.José Manuel Barroso Le Partenariat euro-méditerranéen, pour le dialogue et l’action Le Partenariat euro-méditerranéen, pour le dialogue et l’action Conférence de Barcelone. 28 novembre 2005.

8..Noureddine Toualbi-Thaâlibi. Le dialogue euro-arabe entre humanisme et pragmatisme l’Expression 09-06-2005

9.Georges Corm : « Il y a quelque chose d’artificiel à vouloir mettre tous les musulmans dans une organisation politique » . Site Oumma.com. 6.04.2006.

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Vos commentaires

  • Le 19 février 2008 à 15:42, par Citoyen du Monde Libre En réponse à : La Méditerranée est-elle un pont ou une frontière ?

    Salutations très respectueuses ;
    En tant que CITOYEN DU MONDE LIBRE :
    JE NE RECONNAIS PAS LES FRONTIÈRES QUI ONT ÉTÉ TRACéES PAR LES REG LES DES FORCES D’OCCUPATIONS COLONIALISTES... ENTRE LES PEUPLES...
    En conséquences :
    LA MEDITERRANNEE EST UNE FRONTIÈRE GÉOGRAPHIQUE... NATURELLE...
    QUI PEUT DEVENIR "UN PONT" ENTRE TOUTES LES CIVILISATIONS, ENTRE TOUTES LES RELIGIONS ; ENTRE TOUTES LES IDÉOLOGIES & ENTRE TOUTES LES APPARTENANCES ETNHYQUES.
    MAIS A CONDITION DE DEMANDER LES AVIS & LES ACCORDS A TOUS LES CONCERNéS...
    CONTRAIREMENT A CE QU’IL A FAIT LE ROI D’ESPAGNE JUAN CARLOS LORSQU’IL A VISITé LES VILLES MAROCAINES & AFRICAINES DE SEBTA & MELLILA : POUR DANSER SON FLAMENCO (SUR LA PISTE DU NAVIRE DE GUERRE QU’IL A TRANSPORTé) AVEC UN PIED EN EUROPE... ET UN AUTRE PIED EN AFRIQUE... PUISQUE L’ES PAGNE GÉOGRAPHIQUEMENT EST EN EUROPE... MAIS SEBTA & MELLILIA SONT GÉOGRAPHIQUEMENT EN AFRIQUE... (le Détroit de Gibraltar est témoin... : puisqu’il sépare géographiquement... l’Europe... de l’Afrique...).
    Enfin je souhaites de tout mon cœur :
    "l’implantation des rosiers à la place des fils barbelés entre les peuples et ce pour récolter l’amour et enterrer la haine qui a été le fruit des guerres dans l’histoire de l’humanité...".

    Signé : Mohamed MARRAKCHI
    (Citoyen du Monde libre)

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