Une tribune pour les luttes

Sionisme et Antisémitisme

par Pierre Stambul, UJFP

Article mis en ligne le dimanche 22 juin 2008

Nous vivons en pleine confusion. Juif, cela désigne des peuples qui ont
une communauté de destin liée à la religion. Sioniste c’est une
idéologie. Israélien, c’est une nationalité. Et israélite, c’est le nom
(napoléonien) donné à la religion juive. À cause de ces confusions, le
peuple palestinien paie depuis des décennies pour un crime qu’il n’a
pas commis : l’antisémitisme et le génocide Nazi. À cause de ces
confusions, l’Etat d’Israël bénéficie d’une impunité totale malgré des
violations incessantes du droit international. À cause de ces
confusions, toute critique de la politique israélienne est
instantanément qualifiée d’antisémite. Si elle émane de citoyens juifs,
ceux-ci sont aussitôt qualifiés de traîtres ayant la haine de soi.
Enfin, à cause de ces confusions, une nouvelle forme d’antisémitisme
(ré)apparaît qui attribue à tous les Juifs les crimes commis par l’Etat
Israélien. Bien sûr, il n’est pas facile de distinguer juif, sioniste
et israélien : l’Etat d’Israël se définit comme « juif ». On parle de
colonies juives, pas de colonies israéliennes. La distinction est
pourtant indispensable.

Une histoire fantasmée

Pour les sionistes, les Juifs ont des droits imprescriptibles sur « la
terre de leurs ancêtres ». Ils en ont été chassés il y a deux mille
ans, ils ont connu « l’exil », et grâce au sionisme, ils ont fait leur
« montée » (Alya) vers Israël et ont pu reconstituer enfin le royaume
unifié de David et Salomon. Pour les sionistes même non-croyants, la
prière « l’an prochain à Jérusalem » justifie la nécessité d’un Etat Juif
en Palestine. Les sionistes sont allés chercher dans la Bible tous les
épisodes pouvant justifier les conquêtes et le nettoyage ethnique
aujourd’hui à l’œuvre. Pour les sionistes, la « centralité » d’Israël
n’est pas discutable et la Diaspora (dispersion) n’est qu’une
malencontreuse parenthèse. Tout a été fait pour en effacer la trace.
Les langues de la Diaspora (judéo-arabe, ladino, yiddish) ont disparu
au profit d’une « résurrection » de l’Hébreu. Les valeurs et la culture
des diasporas ont été gommées au profit d’un « homo judaicus » nouveau,
militariste, chauvin et « défrichant sa terre » pour « transformer le
désert en jardin ». Pour les sionistes, la Diaspora a été une suite
ininterrompue de persécutions et de catastrophes à l’image du livre
d’André Schwartz-Bart (« le Dernier des Justes ») qui commence au
Moyen-Âge avec le pogrom d’York et se termine à Auschwitz. Pour les
sionistes, l’antisémitisme est inéluctable, il est omniprésent et il
est inutile d’essayer de le combattre. Autrement dit, les Juifs ne
peuvent vivre qu’entre eux et ne peuvent compter que sur eux-mêmes,
d’où le projet fou (et criminel) de faire venir tous les Juifs du monde
entier en Israël. Donc pour les sionistes, la fin justifie les moyens
et cela explique leur stratégie permanente : le fait accompli et la
fuite en avant. Les sionistes ont mythifié l’épisode de Massada où des
Zélotes révoltés contre l’empire romain ont préféré le suicide
collectif à la soumission. Le complexe de Massada repose sur la peur
permanente de l’anéantissement. Les Israéliens ont peur. Pour eux, tout
recul signifie « les Juifs à la mer ». Ils ont peur de ne plus avoir
peur, ce qui les obligerait à réfléchir sur le sens et l’avenir du
projet colonial qu’ils ont mis en place depuis plus d’un siècle. De
façon symbolique, à la sortie du musée de Yad Vashem à Jérusalem
consacré au génocide Nazi, il y a un monument célébrant la fondation
d’Israël. Le tour est joué : Israël serait LA réponse à l’antisémitisme
et son issue naturelle. Dans cette optique, il est logique que les
sionistes n’aient jamais vraiment admis l’existence du peuple
Palestinien. Pour un des premiers sionistes, Israël Zangwill, il
fallait trouver une « terre sans peuple pour un peuple sans terre » et
les sionistes ont décidé que ce serait la Palestine. L’histoire
enseignée en Israël parle d’une présence juive massive ininterrompue en
Palestine. Elle parle de pogrom à propos de la révolte palestinienne de
1936 contre le colonialisme sioniste. Plus près de nous, les dirigeants
israéliens ont qualifié Arafat de « nouvel Hitler » et Ariel Sharon, lors
du 60e anniversaire de la libération d’Auschwitz, a justifié le
bouclage de la Palestine et les assassinats ciblés au nom de
l’extermination. Bref, le fantôme du génocide sert de bouclier et de
prétexte pour associer les Palestiniens aux Nazis et justifier ainsi la
destruction de la société Palestinienne. Pour les sionistes, les Juifs
du monde arabe ont été persécutés et les Ashkénazes les ont sauvés en
les faisant « monter » vers Israël. Les sionistes ont gommé les
différences idéologiques. De gauche comme de droite, tous propagent la
même fable sur l’histoire du judaïsme, oubliant même de dire qu’une
bonne partie des victimes du génocide n’avaient rien à voir avec leur
idéologie et étaient souvent non-croyants. Pour les sionistes, les
Juifs ont été, sont et seront des victimes. Du coup, ils sont
totalement insensibles à la douleur de l’autre ou à son vécu.

Démystifier
Beaucoup de crimes sont régulièrement commis au moyen d’une
manipulation de l’histoire, de la mémoire et de l’identité. La guerre
du Proche-orient ne fait pas exception.
Ce sont des Israéliens principalement qui ont fait le travail de
démystification du sionisme. Commençons par l’archéologie (*). Elle
infirme totalement la lecture littérale de la Bible sur laquelle même
des athées comme Ben Gourion s’étaient appuyés. Elle montre que dans
l’Antiquité (la Bible l’évoque aussi), la Palestine a toujours été
habitée par des peuples distincts : Hébreux bien sûr mais aussi
Iduméens, Moabites, Philistins, Cananéens … Les Hébreux sont un peuple
autochtone et les épisodes de l’arrivée de Mésopotamie (Abraham) ou de
l’exil en Egypte (Moïse) sont légendaires. On ne trouve aucune trace de
la conquête sanglante de Canaan par Josué et même le royaume unifié de
David et Salomon n’a sans doute pas existé comme le dit le
récit biblique : à l’époque, Jérusalem n’était qu’un village. Donc la
reconstitution d’une patrie ancienne antérieure à l’exil est largement
fantasmée : les royaumes d’Israël et de Juda ont probablement toujours
été des entités distinctes. Les mots d’ordre régulièrement répétés par
les colons religieux du Gush Emonim (le Bloc de la foi) affirmant que
Dieu a donné la Judée-Samarie au peuple Juif ne reposent sur rien et
ils sont d’ailleurs totalement réfutés par d’autres courants religieux.
Y a-t-il eu exil ? Si l’on en croit plusieurs historiens dont Shlomo
Sand qui le dit clairement, au moment de la destruction du 2e temple
par les troupes de Titus (70 ap JC), seule une minorité d’habitants est
partie, en particulier les rabbins. À cette époque, la dispersion a
déjà commencé et il y a déjà des Juifs à Babylone, à Alexandrie ou en
Afrique du Nord. Les Palestiniens d’aujourd’hui qui sont un peuple
autochtone seraient donc essentiellement les descendants de ceux qui
sont restés (dont beaucoup de Juifs romanisés). Alors d’où viennent les
Juifs ? Pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne, la religion
juive est prosélyte. C’est la religion qui s’est dispersée, pas les
hommes. Des Berbères, des Espagnols, des Grecs, des Romains, des
Germains se convertissent au judaïsme. Plus tard, des Khazars, peuple
d’origine turque entre Caspienne et Mer Noire feront de même. La
religion juive cesse d’être prosélyte dans l’empire romain quand
l’empereur Constantin impose le christianisme comme religion
officielle. Shlomo Sand remet en cause l’existence d’un peuple Juif.
Qu’y a-t-il de commun entre des Juifs Yéménites, des Juifs Espagnols et
ceux du Yiddishland ? Il y a une religion et un livre, mais parler de
peuple exilé, ça ne correspond pas à la réalité. Les sionistes ont
surfé sur la persécution des Juifs Européens pour inventer cette notion
de peuple exilé faisant son retour.
La diaspora n’est pas une parenthèse de l’histoire du judaïsme. C’est
son centre. C’est dans la diaspora que l’essentiel des rites et des
croyances se sont établis. Les références à Jérusalem, au mur des
Lamentations et aux scènes racontées dans la Bible sont symboliques.
Elles n’ont jamais signifié une « aspiration » à recréer un Etat Juif en
« Terre promise ». Elles ont un peu la même signification que la prière
des Musulmans en direction de La Mecque. La notion de « peuple élu » n’a
jamais conféré aux Juifs des droits supérieurs à ceux des autres (les
« goys », les « gentils »). Elle exprime juste une relation particulière
avec Dieu.
De la révolte de Bar Kochba au IIe siècle ap JC à l’arrivée des
premiers colons sionistes à la fin du XIXe siècle, les Juifs n’ont
jamais représenté plus de 5% de la population de la Palestine. C’est
moins que dans les pays voisins (Egypte, Mésopotamie, Perse, Yémen).
C’est beaucoup moins que dans l’Espagne du XIVe siècle ou dans la « zone
de résidence » de l’empire russe du XIXe siècle (Vilnius, Varsovie,
Minsk, Odessa …).

De l’antijudaïsme chrétien à l’antisémitisme racial

La plupart des royaumes ou des empires ont très mal toléré le
pluralisme religieux. Les Romains exigeaient des peuples soumis qu’ils
ajoutent les divinités romaines à leurs propres divinités. Ce qui a
fonctionné avec les Grecs et les Gaulois n’a pas fonctionné avec les
Juifs, monothéisme oblige. Une partie des Juifs a adopté la langue
grecque et a accepté la « romanité ». Pas tous et la révolte contre Titus
a commencé dans Jérusalem par une guerre civile entre Juifs, très bien
décrite par Pierre Vidal-Naquet. Ce conflit entre ceux qui acceptent le
monde des « gentils » et ceux qui le refusent au nom d’une conception
exclusive du judaïsme se poursuit 2000 ans plus tard.
Le Christianisme n’a jamais été pluraliste et dès qu’il parvient au
pouvoir, il s’acharne contre les autres religions. Le culte de Mithra
ou l’Aryanisme n’ont pas survécu. Le judaïsme a survécu, mais à quel
prix ! Les Chrétiens ont enfermé les Juifs (les juderias, les
ghettos…), leur ont interdit la possession de la terre et les ont
poussés à l’exercice de métiers qui leur ont valu la haine des peuples
(le colportage, l’usure, la banque). Dès le Haut Moyen-âge, les
expulsions se succèdent occasionnant des drames. Un des premiers
pogroms (massacre de masse) est commis par la première croisade qui
avant de « tuer de l’infidèle » et de « délivrer » le Saint-Sépulcre, s’est
entraînée sur les communautés juives de la vallée du Rhin, provoquant
le début du déplacement vers l’Est des Ashkénazes.
Le monde musulman n’a pas produit le même phénomène : le statut de
dhimmi qui est réservé aux « Peuples du livre » (Chrétiens, Juifs,
Zoroastriens …) a permis aux Juifs du monde musulman de connaître une
paix relative et une certaine stabilité. Les moments de tension sont
rares (l’arrivée des Almohades en Andalousie, le massacre de l’oasis du
Touat dans le Sahara …) et ils correspondent surtout à des périodes de
crise. Avant le sionisme, il n’y a eu ni expulsion, ni pogrom contre
les Juifs dans le monde musulman.
L’antijudaïsme chrétien a fabriqué la plupart des stéréotypes
antijuifs : le peuple déicide, les crimes rituels, la volonté de
diriger le monde. L’épisode espagnol du XVe siècle est annonciateur de
l’antisémitisme racial. Au moment où l’Espagne se réunifie, l’Etat
moderne qui se crée ne peut plus tolérer ses minorités (Juifs et
Musulmans). Ce rêve fou de pureté ira jusqu’à rechercher la « limpieza
de sangre » (la pureté du sang), inventant là une pseudo race juive. En
même temps, l’histoire des Juifs dans le monde chrétien ne doit pas
être réduite à la persécution. Il y a eu quelques périodes fastes.
L’émancipation des Juifs commence en Europe au XVIIIe siècle en
Allemagne puis en France où les Juifs obtiennent la citoyenneté.
Paradoxalement, c’est cette émancipation qui va transformer
l’antijudaïsme chrétien en antisémitisme racial. Le XIXe siècle voit la
naissance de nombreux nationalismes. Ceux-ci véhiculent l’idée
simpliste un peuple = un Etat et la plupart d’entre eux sont
particulièrement intolérants vis-à-vis des minorités. Le Juif est perçu
comme étant cosmopolite, hostile à toute idée de nation. Il est souvent
un paria, même quand il a réussi socialement. Il représente un obstacle
naturel au rêve meurtrier de pureté raciale. C’est d’ailleurs à cette
époque que des pseudo scientifiques inventent les notions de « races »
aryenne ou sémite qui ne reposent sur rien. La violence de cet
antisémitisme aboutira à une espèce de consensus en Europe contre les
Juifs, consensus qui facilitera l’entreprise d’extermination Nazi.

Le sionisme est-il une réponse à l’antisémitisme ?

Curieusement, le sioniste a puisé dans le même terreau nationaliste
européen que celui de diverses idéologies qui ont mené à la boucherie
de 1914 et pour certaines au nazisme. En ce qui concerne la droite
sioniste, on trouve même chez Jabotinsky (qui a vécu plusieurs années
en Italie) des ressemblances avec le fascisme de Mussolini. En tout
cas, Jabotinsky est le premier à avoir théorisé le « transfert », terme
de novlangue qui signifie l’expulsion de tous les Palestiniens au-delà
du Jourdain. En Europe orientale, le sionisme a toujours été
minoritaire chez les Juifs face aux différents courants socialistes et
face au Bund. Pour les Juifs des différents partis socialistes, la
Révolution devait émanciper le prolétariat et, dans la foulée, elle
règlerait la question de la persécution des Juifs qui n’était pas pour
eux un problème spécifique. L’histoire a montré que cela n’allait de
soi. Pour le Bund, parti révolutionnaire juif, il existait en Europe
orientale un peuple yiddish (le Bund ne s’adressait pas aux Juifs
séfarades ou à ceux du monde arabe) et dans le cadre de la révolution,
celui-ci devait obtenir « l’autonomie culturelle » sur place sans
territoire spécifique. Socialistes et Bundistes étaient farouchement
opposés au sionisme. Pendant qu’Herzl rencontrait un des pires
ministres antisémites du tsar pour lui dire qu’ils pouvaient avoir des
intérêts communs, faire partir des Juifs Russes en Palestine, le Bund
organisait (après le pogrom de Kichinev) des milices d’autodéfense
contre les pogromistes. Au début du XXe siècle, les sionistes sont
absents de la lutte contre l’antisémitisme. Prenons l’affaire Dreyfus.
Pour Herzl, ça a été un élément tout à fait déterminant prouvant la
justesse du projet sioniste. Il y a pourtant une lecture diamétralement
opposée de « l’Affaire ». D’abord, ça n’a pas été seulement le problème
des Juifs. C’est devenu le problème central de la moitié de la société
française, celle qui était attachée à la république et à la
citoyenneté. Et puis le dénouement n’est pas négligeable. La
réhabilitation finale de Dreyfus a montré que ce combat avait un sens
et pouvait être gagné.
En 1917, c’est la déclaration Balfour. Il faut le savoir, ce
Britannique, comme la grande majorité des politiciens de son époque,
avait de solides préjugés contre les Juifs. Pour lui, un foyer Juif,
c’était faire coup double pour l’empire britannique : une présence
européenne au Proche-Orient et en même temps, l’Europe se débarrassait
de ses Juifs.
Pendant les années du mandat britannique, les sionistes n’ont eu qu’une
seule préoccupation : construire leur futur état. En 1933, quand les
Juifs Américains décrètent un boycott contre l’Allemagne Nazi, Ben
Gourion le rompt. Pendant la guerre, alors que l’extermination a
commencé, il y a une grande incompréhension ou insensibilité parmi les
Juifs établis en Palestine. Aujourd’hui, les Israéliens rappellent la
visite (scandaleuse) du grand mufti de Jérusalem à Himmler. À la même
époque, Itzhak Shamir, dirigeant du groupe Stern et futur premier
Ministre israélien faisait assassiner des soldats britanniques. Pire,
un de ses émissaires prenait contact avec le consulat Nazi d’Istanbul.
Dans l’Europe occupée, il y a eu une résistance juive assez importante.
Les sionistes y ont joué un rôle plutôt marginal. Cette résistance a
été essentiellement communiste, à l’image de la MOI (**) en France. Il
est significatif qu’au musée de Yad Vashem, on trouve « l’Affiche
Rouge », on y fait remarquer que la grande majorité des compagnons de
Manouchian étaient juifs, mais on omet juste de dire qu’ils étaient
communistes. Les sionistes rappellent que le commandant de
l’insurrection du ghetto de Varsovie, Mordekhaï Anielewicz était membre
de l’Hashomer Hatzaïr (donc sioniste), mais ils ont essayé de minimiser
le rôle de Marek Edelman, qui a survécu et qui est toujours Bundiste et
farouchement antisioniste.
Israël n’aurait pas existé sans le génocide Nazi. Après 1945, il y a eu
un consensus de la communauté internationale. Elle a lavé sa
culpabilité concernant l’antisémitisme et le génocide pour favoriser la
création d’Israël et aider militairement et économiquement le nouvel
Etat. En Europe de l’Est, le pogrom de Kielce en Pologne (1946),
l’élimination de nombreux dirigeants communistes juifs ayant fait la
guerre d’Espagne et la résistance (Slansky, Rajk, Pauker …) ou le
« complot des blouses blanches », bref le renouveau d’un antisémitisme
d’Etat provoque chez les Juifs une rupture avec le communisme et un
ralliement progressif au sionisme. L’épisode antisémite en Europe du
l’Est se prolongera avec la répression en Pologne de la révolte de 1968
qui aboutira à l’expulsion de plusieurs milliers de Juifs Polonais.
Après 1945, le Yiddishland a disparu et de nombreux rescapés vivent
dans des camps en essayant d’émigrer vers l’Amérique ou d’autres pays.
La plupart des portes se ferment. Il y a consensus pour les envoyer en
Israël et la plupart y partiront, souvent contraints et forcés. Ils y
seront pourtant fort mal accueillis. La propagande sioniste oppose
l’Israélien nouveau fier de lui et qui se bat, aux victimes du génocide
qui auraient accepté passivement l’extermination. Aujourd’hui près de
la moitié des 250000 survivants du génocide vivant en Israël sont sous
le seuil de pauvreté, en particulier ceux qui sont arrivés d’Union
Soviétique.
Certains dignitaires religieux israéliens sont particulièrement odieux
vis-à-vis des victimes du génocide. Entre deux propos racistes contre
les Palestiniens, ils ressassent que le génocide a été une punition
divine contre les Juifs qui s’étaient mal conduits.
C’est petit à petit qu’Israël a vu le parti à tirer du génocide. Il y a
eu la création de Yad Vashem puis le procès Eichman. On en est arrivé
au « devoir de mémoire » obligatoire. Sauf que cette « mémoire » résulte
d’une certaine manipulation de l’histoire et de l’identité. En ce qui
concerne les Juifs du monde arabe, ce « devoir de mémoire » se substitue
à leur véritable histoire, certes douloureuse : ils ont dû quitter
leurs pays avec la décolonisation alors qu’ils n’étaient pas des
colonisateurs. Ils ont été en Algérie les victimes du décret Crémieux
(***). Mais cette histoire n’est en aucun cas celle du génocide.
Après la guerre, Israël a demandé et obtenu des « réparations »
économiques énormes publiques et privées à l’Allemagne de l’Ouest. Ces
milliards de marks ont assuré le décollage économique et militaire
d’Israël et la réinsertion de l’Allemagne dans la diplomatie
internationale. Il serait plus hasardeux de dire ce que cette somme
mirobolante a « réparé » dans les souffrances intimes ou le traumatisme.
Peut-on associer le souci d’aider les Juifs et le soutien à Israël ?
Pas nécessairement du tout. Balfour était antisémite. Beaucoup
d’antisémites trouvent intéressante l’idée d’un Etat Juif qui les
débarrasserait de leur minorité encombrante. C’est le cas de certains
membres du Front National. Aujourd’hui, le courant « chrétien sioniste »
qui représente des millions de personnes surtout aux Etats-Unis apporte
une aide financière et politique énorme à Israël. Ils ont financé une
partie de la colonisation (en particulier la construction de Maale
Adoumim). Ce sont pourtant des antisémites !
Peut-on considérer que, face à l’antisémitisme, le sionisme a apporté
un « havre de paix » aux Juifs ? Pour les Juifs du monde arabe, sûrement
pas, ils n’ont pas été persécutés avant l’apparition du sionisme. Pour
les Juifs européens, la question a pu se poser. En tout cas,
aujourd’hui, s’il y a bien un pays où les Juifs ne connaissent pas la
sécurité, c’est … Israël et il en sera ainsi tant que le sionisme
essaiera de détruire la Palestine.

Si on parlait racisme ?

L’antisémitisme est-il un racisme comme les autres ? Y a-t-il « unicité »
du « judéocide » Nazi ? Il n’est pas facile de répondre à ces questions.
L’antisémitisme a été un racisme à part car la plupart du temps, les
racistes ne programment pas l’extermination du peuple haï. S’y ajoute
le fait que les Nazis ont inventé le concept (absurde) de « race juive ».
Aujourd’hui, les principales victimes du racisme dans un pays comme la
France sont incontestablement les Arabes, les Noirs, les Roms, mais pas
les Juifs dont certains ont oublié les souffrances passées et
s’imaginent même être passés « de l’autre côté du miroir », du côté de
ceux qui n’ont rien à dire contre le racisme ordinaire ou la chasse aux
sans papiers. Dans son livre « Le Mal-être Juif », Dominique Vidal montre
comment la plupart des préjugés contre les Juifs ont reculé. Quand on
demande aux Français s’ils accepteraient un-e président-e de la
république ou un beau-fils/belle-fille juif/ve, seule une petite
minorité répond non. Il y a 40 ans, c’était la majorité. Affirmer comme
le fait le CRIF qu’il y a un renouveau de l’antisémitisme, voire qu’on
est à la veille d’une « nouvelle nuit de cristal » est très exagéré.
Bien sûr, l’antisémitisme n’a pas disparu. Il reste essentiellement lié
à l’extrême droite, mais même les antisémites les plus obsessionnels ne
rêvent plus à un « remake » du génocide. Ils préfèrent nier ou minimiser
son ampleur.
Et « l’unicité » du génocide ? Primo Levi parlait de « l’indicible ». Il
est extrêmement rare dans l’Histoire de voir l’Etat le plus puissant du
moment engager tous ses moyens pour exterminer des millions de
personnes, même quand cela ne lui apporte rien en terme financier ou
militaire. Parler de génocide n’a qu’un seul intérêt : analyser les
causes, décrire le processus pour qu’il n’y ait « plus jamais cela »,
permettre aux rescapés et à leurs descendants de revivre. Or il y a eu
d’autres génocides (Cambodge, Rwanda, Bosnie). Et il y a surtout eu des
politiciens sans scrupules qui ont fait du génocide leur « fond de
commerce » alors qu’ils n’ont aucun droit et aucun titre pour
s’approprier cette mémoire. Il y a des « intellectuels » français (BHL,
Glucksmann, Finkelkraut, Lanzmann…) qui font croire qu’au Proche-Orient
la victime est israélienne, éternel retour de la persécution
millénaire.
Certains qui voient l’antisémitisme partout sont étrangement discrets
pour condamner le racisme anti-arabe dans un Etat qui se dit Juif. Que
dire du rabbin Ovadia Yossef, dirigeant du Shass pour qui les
Palestiniens sont des serpents ou des propos du ministre Vilnaï
promettant une « Shoah » aux habitants de Gaza enfermés dans un
laboratoire à ciel ouvert ? Des transféristes Avigdor Liberman ou Raffi
Eitam qui prônent tous les jours la déportation des Palestiniens ? Du
rabbin Rosen, représentant des colons, qui déclare tranquillement « que
les Palestiniens sont des Amalécites et que la Torah autorise qu’on les
tue tous, leurs femmes, leurs enfants, leur bétail » ? Dans tout pays
démocratique, de telles déclarations conduiraient leurs auteurs au
tribunal. Mais Israël est une démocratie pour les Juifs. Pour les
autres, c’est l’Apartheid, c’est une forme de sous citoyenneté
incompatible avec le droit international. Il faudrait aussi parler du
racisme des soutiens inconditionnels à Israël, par exemple quand Roger
Cukierman a osé dire que Le Pen au deuxième tour, c’était un
avertissement pour les musulmans.
En Israël, il y a une obsession de la démographie (que les Juifs soient
plus nombreux que les Palestiniens). Du coup, sont considérés comme
« Juifs » des dizaines de milliers de personnes qui n’ont rien à voir
avec le judaïsme : des Ethiopiens chrétiens qu’on dit « cousins » des
Falachas, des Amérindiens du Pérou convertis au judaïsme et installés
dans des colonies mais surtout des ex-soviétiques qui ont quitté un
pays en perdition. D’où l’existence de sites antisémites en Israël.

Quand sionisme et antisémitisme se nourrissent l’un l’autre.
Le sionisme a besoin de la peur. Il a besoin d’une fuite en avant qui
lui donnerait du temps pour consolider ses conquêtes. Il a besoin de
slogans simplistes du genre « nous n’avons pas de partenaire pour la
paix » ou « Le Hamas, le Hezbollah et l’Iran veulent détruire Israël »
pour obtenir un consensus derrière la poursuite de son projet colonial
et son refus de reconnaître les droits des Palestiniens. Inversement,
celles et ceux qui soutiennent les Palestiniens (et encore plus les
Juifs qui au nom de leur J se sont engagés dans ce combat) doivent
avoir pour souci et pour but la « rupture du front intérieur » aussi bien
en Israël que dans les « communautés juives organisées », c’est-à-dire la
fin du soutien inconditionnel à une politique criminelle contre les
Palestiniens (et suicidaire à terme pour les Israéliens). Vaste
programme sans doute dont l’issue est hélas lointaine.
Il n’empêche : toute manifestation d’antisémitisme n’est pas seulement
immorale, elle porte un coup grave à la cause palestinienne.
Ce n’est pas nouveau. L’antisémitisme des pays de l’Est a renforcé
Israël en terme politique (le sionisme a remplacé le communisme comme
idéologie des Juifs d’Europe Orientale) et en termes humains avec
l’arrivée massive des Juifs soviétiques. De même, non seulement les
principaux dirigeants des Pays Arabes se sont montrés bien peu
solidaires des Palestiniens pendant la guerre de 48 ou celles qui ont
suivi, mais leur complicité avec les sionistes dans l’émigration d’un
million de Juifs du monde arabe a été un coup de poignard dans le dos
de la cause palestinienne.
La guerre du Proche-Orient n’est ni raciale, ni religieuse, ni
communautaire. Elle porte sur des principes universels : l’égalité des
droits, le refus du colonialisme. Ceux qui (comme les sionistes)
mélangent sciemment juif, sioniste et israélien pour attribuer aux
Juifs les tares du sionisme ne sont pas nos amis. Les Palestiniens
l’ont parfaitement compris à l’image de Mahmoud Darwish, Edward Saïd et
Elias Sanbar qui s’étaient opposés à un colloque négationniste organisé
à Beyrouth par Roger Garaudy. Bien sûr, au nom de « l’antiisraélisme »,
pour reprendre un terme d’Edgar Morin, on trouve dans le monde arabe ou
en Iran des gens qui diffusent le « Protocole des Sages de Sion » ou qui
organisent des colloques révisionnistes comme celui de Téhéran. On
trouve en France quelques rares personnes issues de l’immigration qui
singent l’extrême droite en reprenant les stéréotypes antijuifs. Ces
judéophobes confondent aussi juif et sioniste. Bien sûr, on ne peut pas
nier que le sionisme ait « une part de l’héritage juif ». Une part
seulement. Rappelons une anecdote : en 1948, Menachem Begin veut
visiter les Etats-Unis. Les plus grands intellectuels Juifs américains
avec en tête Hannah Arendt et Albert Einstein écrivent à Truman en lui
disant que Begin est un terroriste et qu’il faut l’arrêter ou
l’expulser. À l’époque, le judaïsme, c’est encore très majoritairement
Arendt ou Einstein, ce n’est pas Begin. Les assassins Nazis s’en sont
pris aux parias des shtetls (****) ou à des gens comme Arendt ou
Einstein, insupportables parce qu’universalistes. L’antisémitisme n’a
pas frappé les tankistes israéliens.
Il existe en petite minorité dans les rangs de ceux qui soutiennent la
Palestine des gens qui imaginent que puisque l’Etat d’Israël se
justifie au nom du génocide, c’est que celui-ci n’a pas existé ou qu’on
exagère beaucoup à propos des 6 millions de morts (En fait les
dernières recherches historiques sur la « Shoah par balles » tendraient à
dire le contraire, le nombre des morts est peut-être supérieur). Il y a
des militants qui reprennent les élucubrations d’Israël Shamir,
soviétique émigré en Israël qui a repris les délires antisémites sur
les crimes rituels commis par les Juifs mais qui est totalement inconnu
dans les rangs des anticolonialistes israéliens ou des militants
palestiniens. Pour Shamir, le problème, ce n’est pas le sionisme, c’est
le judaïsme.
Certains militants parfaitement honnêtes pensent qu’on doit laisser
librement s’exprimer toutes les critiques contre Israël, y compris les
critiques antisémites. Je pense que ces militants se trompent et que
les antisémites ne sont pas seulement d’odieux racistes, ils renforcent
aussi le sionisme qu’ils s’imaginent combattre. Ils alimentent le
réflexe de peur qui est un carburant indispensable pour le sionisme.
Lutter contre l’impunité d’Israël est une priorité qui est l’exact
inverse d’une telle démarche : les sionistes veulent clore l’histoire
juive. Ils prétendent qu’il n’existe qu’une seule voie, la leur. Ils
prétendent représenter l’ensemble des Juifs, ils parlent en leur nom,
ils ont le rêve fou de les faire tous « monter » vers Israël. Ils
prétendent que toute critique d’Israël est forcément antisémite alors
qu’au contraire leur politique provoque un nouvel antisémitisme. Cette
politique remet en cause plusieurs siècles de lutte des Juifs pour
l’égalité des droits et la citoyenneté. Les antisémites qui mélangent
sciemment juif et sioniste vont exactement dans le même sens. Ces deux
courants se nourrissent l’un l’autre.
Soutenir concrètement les Palestiniens et dénoncer inlassablement
l’impunité d’Israël qui permet la fuite en avant criminelle doit donc
s’accompagner d’une dénonciation du sionisme qui est un obstacle à la
paix et d’une dénonciation de l’antisémitisme qui n’est pas seulement
un racisme odieux (comme tous les racismes). Il renforce aussi ce qu’il
prétend combattre.
Les militant-e-s ont aussi une tâche plus difficile à remplir :
« déconstruire » toutes les manipulations de la mémoire et de
l’identité qui prolongent cette guerre.

Pierre Stambul

(*) « La Bible dévoilée » de I. Finkelstein et N.A. Silberman.
(**) Main d’œuvre immigrée qui organisait les communistes étrangers.
(***) En 1870, le décret Crémieux accorde aux Juifs Algériens la
nationalité française mais pas aux musulmans.
(****) Villages juifs d’Europe orientale systématiquement détruits
pendant la guerre.

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Vos commentaires

  • Le 23 juin 2008 à 17:14, par mimi.b En réponse à : Sionisme et Antisémitisme

    Nationalité israélienne

    La nationalité israélienne n’existe pas. Des sionistes anti occupation comme Uri Avnery de Gush Shalom luttent depuis des années pour la création d’une "nationalité israélienne", jusqu’à ce jour sans succés. Dans l’état sioniste on est de nationalité juive, druze, arabo mulsumane, chrétienne,ukrainienne etc... C’est seulement pour voyager à l’étranger qu’on a un passeport dit "israélien". Donc les "israéliens" ne sont reconnus comme tels que lorsqu’ils voyagent à l’étranger. Intéressant non ?!

    Le Sionisme est une secte qui manipule le Judaisme à des fins politico nationaliste militaristes. Son alliance avec les chrétiens sionistes n’est pas fortuite et risque à terme de provoquer un shisme de l’ampleur de celui qui a eu lieu au moment de la naissance du christianisme, une sorte de judéo christianisme, bien que je préfère le qualificatif de chrétien sioniste, impliquant des chrétiens qui soutiennent l’aventure sioniste et des descendants de juifs qui ont rallié la secte sionisme. Le "Grand Temple" du Sionisme c’est Yad Vashem où chaque visiteur de marque est obligé d’aller s’incliner. Mais c’est un Temple dédié au culte de la Mort ce qui est totalement contraire au vrai Judaisme et ses préceptes rassemblés dans la Torah définie comme "Derer Raim" un chemin de VIE. C’est une abération et pour certains religieux juifs pratiquants une Abomination. Des alliances de ce type il en a existé entre les grecs et un certain courant juif : les juifs héllénisés, les romains et un certain courant juif : ce qui a donné naissance au christianisme. A chaque fois l’objectif c’était l’assimilation par la voie de l’intégration culturo religieuse,éventuellement par la force. Mais ce type "d’intégration" ne visait pas spécifiquement les juifs, il était le lot commun de tous les habitants des pays conquis et colonisés. Ce phénomène est complètement occulté.

    Le Sionisme c’est 100% colonialisme. Il ne se justifie d’aucune façon, certainement pas à cause de l’Holocauste. Celui ci ne peut pas être une "circonstance atténuante" pour justifier la création d’un état sioniste, et de facto accepter son existence, et justifier que des colons sionistes, actifs et passifs, s’installent sur des terres qui ne leur appartiennent pas, et continuent d’y vivre. C’est totalement immoral.Donc quand on dénonce les crimes sionistes cela doit être clair qu’on dénonce le système qui les produit,autrement et clairement dit le colonialisme sioniste. une fois cette mise au point faite, rien ne justifie de soutenir le régime sioniste en Palestine, même en le critiquant, et en dénonçant ses crimes, concrètement en y allant en vacances, se faire bronzer les doigts de pieds en éventail sur la plage de Natanya ou d’Eilat, à quelques kilomètres du camp de concentration de Gaza. Cela ne veut pas dire bien sûr "jeter les sionistes à la mer" mais rendre la Palestine aux Palestiniens qui devront eux -mêmes décider du sort de ces "invités" imposés, qui les ont massacrés chassés et continuent de le faire.

    L’initiative doit revenir à ceux qui ont été spoliés, aux occupés, aux Palestiniens, et cela doit être clair pour tous ceux qui soutiennent honnêtement le peuple palestinien.

    Le colonialisme quel qu’il soit doit être condamné, c’est un crime contre l’humanité,il devrait être juridiquement déclaré comme tel.

    Les spoliateurs devraient être obligés de réparer leurs crimes et leurs vols. Dans le Judaisme,le vrai, il existe des procédures dites de Tikkoun (réparations) qui légifèrent précisemment sur les modes de compensation. Les Juifs installés en Palestine et souhaitant continuer à y vivre dans le cadre d’un état démocratique pour tous ses citoyens pourraient envisager de créer avec les Palestiniens une institution visant à la reconnaissance de la responsabilité juridique pour les maux sionistes infligés aux Palestiniens et avec eux déterminer les modes compensatoires.

    Parce que selon le Talmud le Monde repose sur Trois pieds : la Vérité, la Justice et la Paix. Notez bien l’ordre de ces trois mots. Quiconque recherche honnêtement la Paix doit d’abord rechercher la Vérité et la Justice.

    Myriam Abraham

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