http://www.place-publique.fr/spip.php?article5982
Les squatteurs de Jeudi noir ont été expulsés samedi matin, 23 octobre 2010, par la police, de l’immeuble qu’ils occupaient Place des Vosges. Réponse d’un pouvoir qui au lieu de résoudre les problèmes d’emploi et de logement de la jeunesse ne trouve qu’un réflexe : la répression
"Les toiles d’araignée et les fientes de pigeon seront donc bientôt les nouveaux et uniques habitants de la Marquise’ ont déclaré les militants de jeudi noir. Notre départ laisserait le bâtiment vide pendant encore plusieurs années. Comme nous le répétons depuis le premier jour, nous partirons dès que les travaux commenceront dans cet hôtel particulier. Ainsi, sans calendrier de travaux précis et établi, nous attendrons que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités : responsabilité d’expulser une trentaine de jeunes en plein cœur de l’hiver. Au-delà de la question juridique, c’est désormais aux pouvoirs publiques que cette question est posée : priverez-vous trente jeunes étudiants et précaires de leur toit à l’approche de l’hiver ?" C’est ainsi que se sont exprimés les squatters de La marquise, l’immeuble de la Place des Vosges, expulsés samedi matin 23 octobre par la police
Motif de la Cour d’appel de Paris qui a rendu son jugement la veille : « atteinte au droit de propriété » . La propriétaire des lieux avait saisi la justice pour faire expulser les squatteurs et en 2009, la cour a également condamné les habitants à verser une indemnité de 8 000 euros par mois depuis janvier.
La Cour d’Appel a ainsi admis que le montant de 70 000 euros mensuels réclamé par les avocats de la propriétaire est exorbitant et dénué de tout fondement. Pour Jeudi noir, c’est un motif de satisfaction,. "La justice n’a pas reconnu le préjudice".C’est également un progrès par rapport au jugement de première instance, puisque la Cour admet ainsi que les 25 000 euros mensuels redevables depuis janvier dernier étaient sans doute plus destinés à faire peur qu’à compenser un préjudice discutable.
Tout en reconnaissant « la légitimité de la démarche du collectif Jeudi-Noir » la cour a malhuereusement confirmé vendredi 22 octobre, l’expulsion sans délais. La dette de près de 100.000 euros est toujours exigible et menace financièrement les habitants précaires.
A elle seule, cette occupation est tout un symbole. Symbole d’une jeunesse qui ne se laisse pas faire et alerte l’opinion publique sur les centaines de milliers de logements vides alors que les Sans Domicile Fixe sont de plus en plus nombreux. Symbole d’une jeunesse précaire 25% des chômeurs sont des jeunes. Témoignage enfin d’une jeunesse qui refuse les stages non payés, intégrés comme des variables d’ajustement par les entreprises qui en profitent.
Cela fait un an, que le collectif Jeudi noir squatte cet hôtel particulier de la place des Vosges pour protester contre le mal logement. Jeunes étudiants, artistes, personnes rencontrant les difficultés pour se loger , stagiaires précaires ils se qualifient de galériens du logement. Une histoire exemplaire d’une jeunesse qui non seulement agit mais aussi propose des solutions comme en témoigne l’ouvrage qu’ils ont récemment publié sur la crise du logement et les moyens d’en sortir.
Il est choquant mais assez peu surprenant dans le climat actuel que le pouvoir en place ne trouve que la répression comme moyen de dialogue.
Sur Twitter et Facebook de nombreux appels à la mobilisations sont lancés contre cette expulsion de jeudi noir. Place-Publique s’associe à ces appels
Voici comment Jeudi noir (http://www.jeudi-noir.org/?lang=frse) se présente sur son site :
"Jeudi-Noir ?"
Pour les jeunes en recherche de logement, le jeudi est une journée noire : celle de la chasse aux petites annonces. Des logements toujours plus chers et des bailleurs toujours plus exigeants. C’est aussi la journée ou on envisage des solutions alternatives : colocation, sous-location, logement chez des proches, squat, retour chez les parents ?…
A la sortie du PAP, lors des visites d’appartements, dans les agences immobilières : tous les jeudis nous attaquerons le mal-logement, le mettrons en lumière pour le faire sortir de l’oubli. En pointant du doigt la spéculation, entretenue par l’Etat, nous dénoncerons la supercherie immobilière : statistiques au mieux approximatives, bizutage immobilier de la jeunesse, aides aux locataires détournées de leur objectif et autres politiques publiques pro-cycliques…
Les politiques du logement peuvent jour un rôle stabilisateur. Elles doivent aider prioritairement les personnes qui ont besoin de se loger. Aux pouvoirs publics de se mobiliser. A nous de leur rappeler.
http://www.place-publique.fr/spip.php?article5728
Squat, précarité et nouvelles cultures militantes
par Caroline de Hugo
Comment attirer l’attention des Pouvoirs Publics sur le sort des jeunes en mal d’un logement décent ? Les « marquisards » de Jeudi Noir ont trouvé la réponse en appliquant stricto sensu la loi de réquisition des logements vides de 1945.
Cela se passe Place des Vosges à Paris, en plein cœur du quartier historique, dans un hôtel particulier classé du XVIIe. Très particulier même, puisque Madame de Sévigné y vit le jour. Une sorte de trésor national, en somme, qu’une bande de jeunes gens ont réveillé de sa torpeur séculaire. Les bâtiments, 2000m2, étaient vides depuis 45 ans. Aujourd’hui, ils abritent 35 squatteurs. Moyenne d’âge : 24 ans. Qui sont-ils ? Certains sont de jeunes travailleurs, la majorité est étudiante. Niveau d’études entre bac + 3 et bac + 5. Leur particularité ? Tous sont membres du collectif Jeudi Noir.
Un squat d’exception
On n’entre pas à la « Marquise » comme dans un moulin. Il faut montrer patte blanche pour pouvoir pénétrer dans cette sublime cour carrée, entourée de bâtiments en pierre blonde. Normal, quand on sait que les habitants des lieux sont sous le coup d’un arrêté d’expulsion. « Quand nous avons décidé d’investir les lieux, raconte Jonathan Duong, nous avions passé un accord avec l’Adoma, le propriétaire de la « Bonne Graine », l’immeuble que occupions alors. Ils nous avaient assurés qu’ils allaient y reloger des travailleurs migrants. Nous cherchions donc un nouveau logement. La Marquise nous est apparue comme un symbole médiatique évident du scandale que représentent ces milliers de mètres carrés de logement inoccupés dans Paris. La porte n’était pas fermée, nous sommes tout simplement entrés et nous nous sommes installés le 27 octobre 2009. Nous pensions que nous serions expulsés dès le lendemain. Quatre mois plus tard, nous sommes toujours là, et la vie avance entre les cours des uns, les jobs des autres et les tâches quotidiennes, actions culturelles et militantes, communication, travaux de réhabilitation (réfection de la plomberie et de l’électricité, installation de sanitaires). Nous fonctionnons en auto gestion. Chacun met la main à la pâte, selon ses capacités et ses disponibilités. Certains vivent seuls, d’autres à deux ou trois, selon les appartements qu’ils occupent ».
La galère du logement
Le 19 janvier, les marquisards ont été condamnés à payer 14 000 euros d’indemnités à la propriétaire des lieux, une vieille dame de 87 ans, plus 25 000 euros par mois d’occupation. Bien sûr, ils ont fait appel, mais « 6000 euros ont été saisis sur les comptes d’une quinzaine d’entre nous » s’insurge José, un autre habitant. « C’est insupportable pour des jeunes précaires, tous en galère de logement ».
Du coup, Jeudi Noir a décidé de multiplier les animations culturelles et les actions de soutien : au choix des concerts, des pièces de théâtre, un Ciné Graine qui propose des projections de films avec apéro et débat tous les lundi soirs à 20 heures, mais aussi des journées « Portes ouvertes » qui font le bonheur des journalistes, des habitants du quartier et des touristes, l’hébergement régulier de performances artistiques (voir le calendrier). « Nous resterons à la Marquise le plus longtemps possible. Réquisitionner les logements vides, c’est complètement légitime quand des milliers de jeunes sont à la rue » affirme Jonathan qui n’est pourtant pas issu du lumpen prolétariat : après une khâgne et des études à Sciences Po, ce réalisateur de documentaires est très engagé dans l’action culturelle auprès des foyers de migrants. Comme tous ses compagnons, - cadreur, professeure d’histoire-géo, traducteur, menuisier, électricien, web master, pianiste, étudiants en archi, en droit, en Staps -,… il est parfaitement incapable de débourser un loyer de 700 euros pour une chambre de bonne à Paris, où près d’1 logement sur 10 est vide.
D’après l’INSEE, 120 000 appartements sont vacants pendant que 350 000 étudiants boursiers attendent un logement correct et bon marché. Quant à la fameuse loi DALO, ce droit au logement opposable voté en mars 2007 à l’unanimité, elle semble bien avoir accouché d’une souricette : Plus de 100 000 dossiers ont été déposés en trois ans. Seulement 30 000 familles ont été déclarées prioritaires et moins de 9000 ont été relogées. Alors les jeunes, ils pourront repasser !
Subversion joyeuse
Du coup, ils préfèrent passer outre en passant aux actes, eux qui ont parfaitement assimilé « La Société du Spectacle » et l’utilisation des réseaux Internet. Leurs actions sont festives et spectaculaires : visites collectives d’appartements à louer avec mousseux, sound system, cotillons et le déjà célèbre personnage du Disco King, réquisitions citoyennes, défilés travestis devant le Ministère du Logement, déménagement symbolique du très chic et très cher siège social d’Aliance 1%, l’un des 100 collecteurs du 1% logement pour des locaux plus abordables en banlieue…
Fun et choc, voilà la marque de fabrique des actions coup de poing organisées par Jeudi Noir, un collectif créé en 2006 par des membres de Génération Précaire dont Julien Bayou, Manuel Domergue, Lionel Primault et Karima Delli, (aujourd’hui députée verte européenne). Face au problème du logement des jeunes, leurs revendications ont le mérite d’être claires : Gel des loyers, application de la loi DALO, application de la loi de réquisition des logements vides, inéligibilité des maires qui n’appliquent pas la loi SRU (20% de logements sociaux), modification du plan local d’urbanisme pour donner la priorité au logement sur les bureaux, etc… Le tout est à découvrir dans « Le petit livre noir du logement » aux éditions La découverte.
Un collectif d’individualités
Proche de Macaq , ces activistes associatifs issus du XVIIe arrondissement parisien et de Sauvons les Riches, spécialistes de l’agit prop humoristique qui ont pris la bande son de « Dallas » pour hymne et militent pour l’instauration d’un revenu maximal autorisé européen Jeudi Noir est un groupe transpartisan. « Bien sûr, sur les 200 membres actifs, l’énorme majorité est à gauche ou à l’extrême gauche.
Les tendances ? Europe Ecologie, les Verts, NPA, PS. Parmi nos soutiens, nous comptons aussi les jeunes du Modem, le député Etienne Pinte,… Il semblerait même que les jeunes de l’UMP veulent nous rencontrer. Nous ne sommes vraiment pas sectaires ! » s’amuse Jonathan Duong. « Ceci dit, peu d’entre nous sont encartés. Et quand nous participons à une action, c’est sans aucun signe partisan autre que le logo de Jeudi Noir. Quitte à faire fonctionner nos réseaux, pour que les partis, les syndicats ou les élus locaux nous rejoignent. »
Outre l’occupation de la Marquise, le plus beau fait d’armes de Jeudi Noir fut d’ouvrir avec Macaq et le DAL le « Ministère de la Crise du Logement » en 2007, au 24 rue de la Banque, dans un immeuble vide qui donnait sur la place de la Bourse.
Ce squat fut en effet racheté par l’office HLM de Paris pour en faire des logements sociaux. Une goutte d’eau dans un océan immobilier ? Surtout une première victoire qui augure bien des changements à venir. Une récente enquête de l’IFOP pour l’Humanité révèle en outre que « 69 % des Français se déclarent favorables à la réquisition par les pouvoirs publics des logements privés inoccupés ». En attendant, grâce à ces jeunes pousses, le bon vieux slogan du « Changer la vie », semble vouloir reprendre du poil de la bête en Sarkosie.
à suivre
Vos commentaires
# Le 29 juin 2011 à 20:03, par Sylvie D. En réponse à : Squat Place des Vosges : une jeunesse virée
Superbe article, merci pour un retour, qui, même si il est lu tardivement, est toujours aussi intéressant.
Des phénomènes qui se répètent...