Une tribune pour les luttes

20 jours en Tunisie Avril Mai 2011

Révolution acte 3 : Tabarka, 21-23 avril.

Christiane Karmann

Article mis en ligne le vendredi 13 mai 2011

Tabarka, 21 au 23 avril 2011  :

Retour dans ce pays qui m’a réellement ému lors de ma première visite en février mars dernier. (Voir Mille Bâbords : Chroniques de la révolution tunisienne, 26 février-4 mars 2011 16642, 16712, 16690)

Une visite à Tabarka s’imposait pour la plongeuse que je suis, le site ayant la réputation d’être un des plus beaux de Méditerranée. Profitant des congés de Marc qui m’héberge à Tunis, nous décidons de nous y rendre dès mon arrivée. Dans le minibus qui nous y mène, j’ai la surprise de tomber sur une copine militante de Marseille, à une période où les voyageur/ses se font encore rares, c’est inattendu.

Tabarka, petite ville côtière près de la frontière algérienne dont les plages sont bordées d’hôtels, a, sans le vouloir, joué un rôle dans la vie politique française, car c’est d’abord en venant ici avec le jet privé du clan Ben Ali, puis en proposant au dictateur le savoir-faire répressif de l’hexagone, que Michèle Alliot-Marie a signé son arrêt de mort politique.

La résidence de MAM à Tabarka

Mauvais timing pour elle, les alliances d’hier sont remises en question par les soulèvements d’aujourd’hui, éclairant soudain ce que l’on soupçonne mais que l’on ne peut toujours dénoncer publiquement faute de preuves «  médiatiques  » : nombre de politicien/nes français font bon ménage avec les dictatures des ex-colonies, la Françafrique, le néocolonialisme décomplexé, ont pris le relais, les gouvernants trouvant leur compte dans l’extension de leurs fortunes personnelles, peu importe le prix à payer pour les populations locales.
Je crois que l’on insistera jamais assez sur le rôle intéressé et versatile des gouvernements français successifs depuis la décolonisation, qui cherchent toujours à se placer du bon côté afin de préserver les intérêts « nationaux  », au profit de Bolloré, Total, Lagardère et consorts, amis des dirigeants démocratiques...
Sans l’Afrique, la France serait certainement un pays en réelle difficulté économique. Qu’on nous serve tous les jours davantage de tartines populistes, fascisantes et mensongères sur les raz-de-marée migratoires présentés comme danger afin d’alimenter la peur qui pousse les populations vers le repli sur soi, alors que ces migrations sont provoquées par la misère générée par la France, pays qui exploite les ressources et soutient les dictatures des anciennes colonies, est d’un cynisme sans fin.
Hier Ben Ali était l’ami du gouvernement français et des « démocraties  » occidentales, Chirac, Strauss-Kahn, Sarko, louant le miracle économique tunisien. C’est effectivement miraculeux pour les entreprises de voir acceptée l’implantation de x entreprises françaises, des centres d’appels (HP, Dell, Orange, Bouygues pour les plus connus) à Bricorama en passant par Carrefour et Monoprix, certes rackettés par le clan Trabelsi-Ben Ali. Le prix en était payé non pas par les patrons français, mais bel et bien par les salariés, dont le salaire est d’environ 150 € /mois (le loyer d’un 2 pièces dans un quartier populaire de Tunis est du même ordre !) et qui n’ont pas vraiment le luxe de se plaindre, le chômage atteignant 40% chez les jeunes, diplômés ou non... Aujourd’hui, les mêmes saluent l’élan populaire tunisien, et font semblant de découvrir les exactions aux droits fondamentaux pratiqués ici, et qui avaient pourtant été rendues publiques depuis des années par les associations de défense des droits humains.
Non loin d’ici, des bombes françaises cherchent à écraser Khaddafi (reçu avec grandeur à l’Elysée il n’y a pas si longtemps pourtant), Gbagbo est délogé par les forces spéciales bleues blanc rouges. Ce n’est certainement pas par humanisme pour les populations, les intérêts économiques que nos gouvernants ont dans ces pays priment sur les alliances passées hier, une veste est si vite retournée…

A Tabarka, les évènements révolutionnaires qui ont ébranlé le pays et laissé des traces dans les villes et les villages, n’ont pas fait de ravages visibles ; les protestations sont restées pacifistes depuis décembre. La semaine dernière, cependant, quelques jours avant mon arrivée dans cette ville, le maire de la ville, Jilani Dabboussi (qui est le même que sous Ben Ali) a fait une intervention télévisée promouvant sa politique de développement, en disant que tout allait bien à Tabarka, que la ville était prospère et riche, contre-vérités suscitant la colère des habitants. Une manifestation pacifique organisée par le comité local de protection de la révolution a été organisée pour demander son départ.
Les riches ici sont une poignée de multi-propriétaires (dont la famille de MAM par ex., pas vraiment représentative de la population locale !). Des projets sont d’ailleurs menés dans la région depuis quelques années avec des aides internationales pour développer des coopératives de travail, le développement de l’agriculture, l’accès au logement, le respect de l’environnement… Ayant suivi le conseil de nos amis de Tunis, Marc et moi logeons hors de Tabarka dans une auberge hébergeant un centre de documentation sur le développement durable et une association dont l’objet est le développement de projets solidaires, d’accès à l’emploi, de création de coopératives dans le coin. Personne n’est riche ici, cela se voit au premier coup d’œil. Les habitations sont des plus modestes, et les femmes et enfants que nous apercevons en train de garder de petits troupeaux en nous faisant des signes et des sourires, ne vivent pas dans l’opulence… L’usine de liège qui procurait quelques ressources est en perte d’activité depuis l’utilisation de bouchons synthétiques.
L’armée conseille au maire prétentieux de quitter la ville car les esprits s’échauffent contre lui. « J’y suis, j’y reste  », rétorque-t-il, mal lui en prend. Aux pacifistes qui manifestaient ont succédé des personnes plus énervées. Lors de mon passage, je découvre un hôtel, plusieurs véhicules, une clinique, saccagés et brûlés.

Propriétés du maire de Tabarka.

Il s’agit de propriétés privées du maire, qui s’est fait chasser dans la foulée. On me raconte qu’il est resté perché sur la terrasse de sa clinique tirant des coups de feu en l’air, ultime tentative de défendre son capital, avant de s’enfuir… protégé en cela par la police locale et l’armée.

Hôtel du maire de Tabarka.

Maintenant, les habitants attendent le retour des touristes et plusieurs personnes nous abordent pour nous dire que « c’est bon maintenant, c’est calme ». La plongée est jolie et riche en faune, les côtes splendides, un coin à venir explorer en voilier. Des hordes de bureaux sont présents sur la marina : police, police aux frontières, garde nationale, police maritime, armée… Les fonctionnaires se font discrets, contrairement à quelques mois plus tôt. On m’apprend qu’ils tournaient sans cesse.

J’étais au fait des accords de réadmission signés entre la France et de nombreux pays d’émigration afin de pouvoir facilement expulser les ressortissants étrangers clandestins. J’apprends ici avec horreur que ces mêmes accords interdisent à tout-e Tunisien-ne de monter sur un voilier ou bateau français, même pour y boire un café, afin d’éviter tout risque d’émigration illégale !
Je partage un repas sur un voilier français dans la marina, pendant que les Tunisien-ne-s qui nous souhaitent bon appétit doivent rester sur le quai…
Le jour où les personnes pourront circuler librement, comme c’est le cas pour les capitaux et les marchandises, le monde ira mieux !


Retour en haut de la page

Vos commentaires

  • Le 30 mai 2011 à 02:45, par christine karmann En réponse à : Révolution acte 3 : Tabarka, 21-23 avril.

    CORRECTIF :
    Il y a une petite imprécision lorsque j’écris : « La semaine dernière, cependant, quelques jours avant mon arrivée dans cette ville, le maire de la ville, Jilani Dabboussi (qui est le même que sous Ben Ali) a fait une intervention télévisée promouvant sa politique »…
    Il n’est plus le maire depuis le mois de juillet ou septembre de l’année dernière. Le nouveau, est Mokhtar Soudani, un prof du lycée de Tabarka. Bien qu’il fût élu sous l’étiquette de RCD, il est relativement bien apprécié par la population. Il ne prend pas de pot de vin.
    Et, l’autre, corrompu, etc. garde toujours le culot de faire de la « politique », de passer à la TV...

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Analyse/réflexions c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 2110