Une tribune pour les luttes

CGT culture

Un ministre presque parfait

Le ministre de la Culture éclipse dans les médias les Journées européennes du Patrimoine au profit de la Journée de la gastronomie

Article mis en ligne le dimanche 18 septembre 2011

Des hommes politiques dans les talk-show, c’est devenu banal. Pour la première fois
dans l’histoire synchrone de la Ve République et de la télévision, un ministre en
exercice participe à une émission de téléréalité. Cette « innovation » est le fait de
notre ministre de la Culture : Frédéric Mitterrand, promoteur d’un ministère
« moderne » et « innovant ».
Cette émission de divertissement, « Un dîner presque parfait », sera diffusée le 23
septembre sur M6, pour lancer la 1e édition de la Journée de la gastronomie.

Lucarne

Entre les Journées du Patrimoine, créées en 1983 par le ministre de la Culture Jack
Lang, dont c’est la 28e édition cette année, et la Journée de la gastronomie, lancée
par le secrétaire d’État au Tourisme et au Commerce, Frédéric Lefebvre, dont c’est
la 1e édition, Frédéric Mitterrand, qui « adore les caméras » a fait son choix : celui de
«  mettre l’accent », de «  s’occuper très fort de la gastronomie »... et beaucoup moins
du Patrimoine.

« Cabotin », comme il se décrit lui-même, notre ministre de la Culture assure un
service minimum pour un des temps forts et des rendez-vous culturels prisés par des
millions de Français (les Journées du Patrimoine), et se consacre «  très fort » à une
émission de divertissement à laquelle ne prend pas part l’initiateur de cette Journée
de la gastronomie : le pourtant médiatique Frédéric Lefebvre.

L’homme de la Culture transformé en animateur télé de la promotion du Tourisme et
du Commerce : voilà une allégorie réelle lourde de sens.

Guy Debord doit se retourner dans sa tombe ! (auteur de La société du spectacle ;
l’an dernier, le MCC a a fait la quête auprès de mécènes pour acquérir ses archives).

Les personnels du ministère de la Culture, eux, ne peuvent qu’être consternés du
message de soutien donné par leur ministre en exercice... de communication.

Farce

Est-ce la charge d’un ministre de la République de se prêter à un reality show
télévisuel ? N’y a-t-il pas une dérive populiste et un problème de morale politique à
ce qu’un ministre prête sa fonction à la mise en scène ludique du quart d’heure de
célébrité de sympathiques anonymes ? En toute décontraction cool et pleine
« d’humour ».

Frédéric Mitterrand a dû se poser ces questions. Et il y a répondu.

L’État et la Culture sortent-ils grandis du fait que les salles du ministère de la culture, situées dans le monument historique du Palais-Royal, joyau du Patrimoine parisien,servent de studio de tournage et de plateau-télé à une chaine commerciale... pour un
dîner mitonné aux petits oignons par le cuistot-ministre ?

Dans un bref éditorial de ces Journées européennes du patrimoine, Frédéric
Mitterrand se fait littérateur tendance amphigourique pour définir les monuments du
patrimoine bâti : « influences de l’ailleurs et du partage des rêves », « marqueurs
omniprésents de notre identité européenne »
.

Le thème de cette année : le voyage, c’est un «  rite d’initiation et thème d’inspiration
inépuisable
 » mais aussi un indicateur de « la mobilité des œuvres » et des « flux ».
L’édito finit en apothéose, au-dessus des nuages :
« défi didactique, incitation à l’ouverture, à comprendre les branchements, à
percevoir ce qui circule sous la solennité des sacralisations.
 »

Ces Journées du patrimoine «  permettent l’accès de chacun au livre ouvert de nos
identités communes. »

C’est d’une beauté ésotérique, mais nous on ne comprend pas tout.


Culture en péril

Ce qu’on observe dans les monuments, musées et archives relevant de la première
direction du ministère de la Culture, celle des Patrimoines, est nettement moins
lyrique :

- passage en force de réformes destructrices du service public culturel, de
scélérates (sur la cession du patrimoine monumental), de décrets iniques
fusion/absorption de services à compétence nationale et d’intérêt général par
établissements publics plus ou moins auto-financés par des stratégies
performance commerciale) ;

- suppressions de postes, réductions d’effectifs, réorganisations incessantes,
délitement du sens du travail, précarité galopante, conditions de travail dégradées
générant de plus en plus de désarroi et de souffrance ; dogme aveugle du « faire
plus avec moins
 », budgets étranglés, réductions occasionnelles d’ouverture au
public, abandon de missions, extinctions de filières, externalisations...

L’actuel Ministre de la Culture s’emploie à accélérer le démantèlement de notre
ministère et à précipiter le désengagement massif de l’État.
La loi sur le patrimoine monumental a été adoptée par l’Assemblée nationale cet été
sans rencontrer la moindre opposition du ministre, partisan d’une approche libérale
qui considère les monuments historiques comme de vulgaires biens immobiliers.

L’État peut désormais céder gratuitement des monuments historiques à une
collectivité territoriale qui peut dans la foulée obtenir le déclassement de ces biens
du domaine public en vue de leur revente à des particuliers.

Quand on connaît l’état sinistré des finances des collectivités territoriales, on n’est
pas surpris qu’elles en délèguent la gestion à des opérateurs privés, ou carrément
les revendent. 1700 biens nationaux (écoles, tribunaux...) sont aujourd’hui mis aux
enchères par l’agence France Domaine (ministère du Budget).

Le projet patrimonial qui tient le plus à cœur au ministre de la Culture – selon ses
dires - est celui de la Maison de l’Histoire de France (aux Archives nationales), un
projet idéologiquement réducteur et politiquement partisan, où l’histoire, au pays des
Droits de l’Homme est minéralisée et instrumentalisée pour promouvoir le concept
nauséeux « d’identité nationale ».

Le projet de création de la Maison de l’Histoire de France, dont l’utilité et la légitimité
est contestée par les professionnels et une large frange de la société civile, est
estimé à plus de 90 millions € TTC. Parallèlement, de nombreux établissements
patrimoniaux du MCC (musées, monuments, archives) voient leurs subventions pour
charges de services publics sévèrement rabotées, à hauteur de – 5 % en 2011, et de
nouveau – 5% en 2012 (soit la bagatelle de 80 millions € en deux ans).

Leurs budgets sont asphyxiés au point que des musées parmi les plus fréquentés remettent en cause la traditionnelle gratuité d’accès durant... les Journées du Patrimoine, et appliquent désormais un tarif réduit (en attendant la prochaine étape : le tarif plein ?).

La soupe concoctée dans les cuisines de la rue de Valois par notre ministre-cordon
bleu est imbuvable : son principal ingrédient est le haché menu d’un siècle et demi
de protection du patrimoine en France.

En dessert, Frédéric Mitterrand a fait de la mousse.
C’est, paraît-il, sa recette préférée. On s’en était aperçu.
Le ministre confesse : « Quand je ne serai plus ministre, je redeviendrai
saltimbanque. »

Redeviendra ? Vraiment ?

Paris, le 16 septembre 2011

12, rue de Louvois 75002 Paris
01.40.15.51.70/71 01.40.15.51.77
Mel : cgt-culture chez culture.gouv.fr
Intranet : cgt.culture.fr / Internet : www.cgtculture.fr

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