Une tribune pour les luttes

"Si j’avais pu payer mon loyer, je l’aurais fait, un toit c’est primordial "

Fin de la trêve hivernale des expulsions locatives...

A Marseille en 2012 1 806 demandes de "concours de la force publique",
"On expulse aussi les enfants et les personnes âgées..."

Article mis en ligne le jeudi 4 avril 2013

A partir du 1er un huissier peut venir frapper à votre porte à six heures du matin. C’est la fin de la trêve hivernale des expulsions pour plusieurs milliers de familles en Paca, dont beaucoup de familles monoparentales, qui n’arrivent plus à assumer le coût actuel des logements alors que toutes les dépenses incompressibles ont incroyablement augmenté.


La Marseillaise

« Si j’avais pu payer mon loyer, je l’aurais fait, un toit c’est primordial »

Angélique Schaller

05-04-2013

http://www.lamarseillaise.fr/le-fai...

Il n’y a pas d’exception : les femmes, les personnes âgées ou malades, tout le monde peut être expulsé.

Dans les couloirs du tribunal d’instance de Marseille, une association travaille à prévenir les expulsions locatives qui touchent un public de plus en plus large, en informant et accompagnant.

C’est beau, blanc, lumineux, tout refait... et terriblement impressionnant. Le tribunal d’instance est installé dans la caserne du Muy à Marseille. C’est là que, tous les jeudis après-midi, ont lieu les audiences pour rupture de bail et demande d’expulsion. Dans la salle numéro un, madame la juge et ses assesseurs procèdent à l’appel. Des noms à peine audibles. Si le procès n’est pas reporté, l’audience aura lieu en salle deux. Sur les bancs, beaucoup de monde. Les bailleurs, surtout, et quelques locataires.
« Par peur, honte ou simplement méconnaissance, la plupart des locataires ne se rendent pas à l’audience. Dès lors, le juge rend une décision défavorable et il n’y a pas de moratoire alors que le code civil autorise des échéanciers sur deux ans pour éponger les dettes ». Floriane Hinkel est juriste à l’AMPIL, association méditerranéenne pour l’insertion sociale par le logement. Forte de ce constat, cette structure a impulsé une action innovante en 1999 depuis déclinée ailleurs : l’antenne de prévention des expulsions locatives, APEL. Le principe est d’assurer une permanence sur le site du tribunal, tenue par une juriste et une conseillère en économie sociale et familiale de l’Ampil, associées à un avocat, afin d’informer les locataires sur ce qui va concrètement se passer et les aider à construire leur défense. Si la personne a droit à une aide juridique, un avocat sera nommé. «  Mais pas mal de personnes dépassent le plafond à 100 ou 200 euros et se retrouvent seules. Là, on bascule sur le retour Ampil » poursuit la juriste. Un dossier est monté, réunissant documents nécessaires et lettre explication que le locataire devra remettre au juge le jour de l’audience.

Les personnes sont notamment informées de cette permanence par la convocation d’huissier à l’audience d’expulsion. Ainsi cette toute jeune fille qui attend avec fébrilité : «  l’audience aura lieu le 11 avril ». En quelques mots, elle campe ses 5000 euros de dettes locatives : un CDD dans l’armée non reconduit suite à une grossesse, une agence n’ayant pas donné l’attestation pour percevoir l’aide personnalisée au logement, un conjoint au chômage mais non indemnisé... «  On a 500 euros par mois pour vivre. C’est pas beaucoup. J’ai préféré payer l’électricité. Il faut trouver une solution, s’arranger... Mais je ne sais pas comment ». A ses côtés, un ami tente de la rassurer : « ne t’en fais pas, tu vas accoucher. On ne peut pas t’expulser... » Une idée fausse, comme le martèle Floriane Hinkel, « Il y a plein d’idées reçues. On expulse des femmes, des enfants, des vieilles personnes. J’ai encore vu un cas récemment d’une dame de 96 ans en fauteuil roulant : expulsée ».
La seule et unique option est d’obtenir un délai pour rembourser les dettes et se maintenir dans le logement si celui ci correspond aux revenus du ménage ou trouver un nouveau lieu plus adapté aux ressources. D’où le travail en binôme avec la conseillère en économie sociale et familiale qui va orienter vers les structures sociales qui peuvent accompagner, aider financièrement (aide ponctuelle ou Fonds solidarité logement), monter un dossier de surendettement...

Un travail de fond de plus en plus nécessaire tant le public concerné s’est élargi. «  De plus en plus de personnes sont touchées, des gens ayant 1300 ou 1800 euros de revenus, des fonctionnaires... Et beaucoup de retraités. Des gens qui passent de 1800 - 2500 euros de revenus à une retraite de 900 euros versée par la CRAM. Le reste est payé par les complémentaires mais de manière trimestrielle et ils n’arrivent pas à gérer » développe Caroline Bosc, la conseillère en économie sociale et familiale. Dans la salle d’attente, une retraitée attend justement. Elle est bien loin des 1800 euros mais ses 735 euros de retraite sont cependant trop élevés pour lui permettre d’obtenir une allocation logement ou la CMU. Et c’est ce qui l’a mis dans le rouge. «  J’ai eu un emphysème, des problèmes de prothèses dentaires et de vue… J’ai eu beaucoup de frais et je ne pouvais pas tout payer. J’ai essayer d’avoir des aides, mais c’est trop compliqué, je n’ai pas su. Si j’avais pu payer mon loyer je l’aurai fait car un toit c’est primordial. Mais je n’ai pas pu » insiste-t-elle, convaincue que sa bonne foi plaidera pour elle, d’autant que son « propriétaire n’a pas fait les travaux auxquels il s’était engagé ».

Cette évolution, Me Bruno Gérard, avocat collaborant avec l’antenne de prévention depuis plusieurs années, ne l’analyse pas de la même manière. Pour lui, c’est moins le public qui a évolué que les bailleurs. «  Nous voyons les mêmes histoires qui pour des raisons X ou Y, basculent, avec des gens qui se retrouvent en grande difficulté et tentent de réagir avec dignité. En face, non seulement les prix ont explosé mais avec le déplafonnement, des bailleurs veulent mettre leur loyer au niveau du marché. J’ai en mémoire la Société immobilière de Marseille qui détenait beaucoup de logements. Elle avait une gestion à caractère paternaliste, cherchant l’arrangement. Depuis, le patrimoine a été vendu à des groupes dont le seul objectif est de rentabiliser. Et cela fait beaucoup de dégâts car les gens ne peuvent plus suivre ».
Ces dégâts, la vieille dame les imagine déjà. « J’ai ma cuisinière, mon frigo, mon médecin. A mon âge, les repères sont importants. Où vais-je aller ? Où va-t-on me mettre sachant qu’il n’y a pas de logement ? Je ne connais pas bien la loi mais il y a le DALO. Si il y a un droit au logement, on ne peut pas m’expulser comme ça... »

Ce Droit Au Logement Opposable a été une victoire pour les associations qui se battent aux côtés des plus démunis. Même si cela a, depuis, enclenché de nouvelles batailles : faire respecter ce DALO.
La circulaire d’octobre dernier sur la non expulsion des personnes bénéficiant du DALO a été bien accueillie par ces militants. D’autant que durant la journée sur le mal logement organisée par la fondation Abbé Pierre, la ministre Cécile Duflot a explicitement dit qu’il « ne sera absolument pas possible d’expulser des ménages reconnus prioritaires au titre DALO sans relogement ».
Très bien sur le papier... Moins dans les faits. « Lors du dernier Conseil régional de l’habitat, les représentants de l’Etat nous ont dit que cette circulaire était une obligation de moyens et non de résultats » tempête Fathi Bouaroua, délégué régional de la fondation Abbé Pierre, « Ce qui signifie qu’il n’y a pas de suspension des expulsions. Cela a été confirmé à d’autres occasions par la préfecture des Bouches-du-Rhône et des Alpes Maritimes mais aussi par la sous-préfète à l’égalité des chances ».

Angélique Schaller


Source :

http://www.leravi.org/spip.php?article1480

27/03/2013

Dans 3 jours, fin de la trêve hivernale des expulsions... _ Des juristes et des institutions témoignent.

On expulse aussi les enfant et les personnes âgées »

Témoignage de Floriane Hinkel, juriste à l’Ampil 13 (action méditerranéenne pour l’insertion sociale par le logement)

« Comme bon nombre de ménages menacés d’expulsion ne se présentaient pas au tribunal, souvent par crainte de ne pas savoir comment se défendre, on a mis en place, au sein de ce dernier, une antenne de prévention des expulsions locatives. Depuis 1999, tous les jeudis après-midi, une conseillère en économie sociale et familiale, un avocat et un juriste reçoivent une petite dizaine de personnes pour faire le point sur leur situation, les orienter vers les dispositifs d’aide et les épauler avant de passer au tribunal. Si elles ont droit à l’aide juridictionnelle, on les oriente vers un avocat spécialisé. Sinon, elles peuvent, via leur assurance, bénéficier d’une protection juridique. Et si ce n’est pas le cas, nous rédigeons nous-mêmes le dossier qui sera présenté au juge. Après l’audience, on fait le point avec les familles pour qu’elles comprennent la décision et pour les accompagner. Ce qui est capital, c’est d’intervenir le plus tôt possible. Mais ce n’est pas facile. Si 93 % des procédures sont liées à des impayés, la dette des ménages est, en moyenne, de 3 667 euros, la problématique du logement se cumulant en général avec d’autres...
Notre but ? Eviter à tout prix l’expulsion et obtenir un échéancier pour que le bail ne soit pas résilié et que la dette soit remboursée. Si elle est trop importante, on cherche une solution de relogement dans le parc social. _ On a une véritable vision d’ensemble car on intervient jusqu’au bout de la procédure, lorsqu’est demandé le concours de la force publique. On cherche alors à établir un diagnostic précis de la situation des ménages pour la préfecture. S’il y a eu des démarches pour un relogement ou une partie de la dette remboursée, on peut obtenir un sursis. Sur Marseille, la situation est dramatique. 76 % des procédures concernent le parc privé et les arrondissements les plus concernés, sont l’hyper-centre et les quartiers Nord. Le plus notable ? Il y a de plus en plus de personnes âgées et de salariés. Les situations les plus dramatiques ? C’est lorsque la dette est très importante - jusqu’à 45 000 euros - et qu’il y a des enfants au milieu. Or, contrairement à ce que l’on croit, héberger une personne âgée, avoir des enfants en bas âge, ça ne protège pas d’une expulsion. Sur Marseille, 150 enfants risquent d’être mis à la rue. »

« Il faut mettre une pression financière sur la préfecture »

Témoignage de Me Sophie Sémériva, avocate à Marseille, spécialiste du Dalo

« Avec d’autres confrères qui s’occupent, comme mon cabinet, de l’habitat indigne et du droit au logement opposable (Dalo), on va lancer une procédure d’envergure, des recours indemnitaires massifs, afin de mettre une pression financière sur la préfecture et qu’elle prenne enfin ses responsabilités. Car, quand on l’écoute, tout va très bien. Alors que la réalité est tout autre. Le droit au logement opposable est devenu le guichet de la dernière chance pour les personnes les plus en difficulté. Et naturellement, pour celles menacées d’expulsion. Or, même si vous êtes prioritaire, même si la préfecture vous fait une proposition de relogement, ceux qui ont le dernier mot, ce sont les bailleurs sociaux. Trop souvent, de ces locataires en difficulté, ils n’en veulent pas. Alors, comme il est illégal de rejeter la candidature de quelqu’un au motif qu’il a une dette locative, ils font état d’une pièce qui manque. Comme une quittance, par exemple... Il y a une véritable opacité du côté des commissions d’attribution des logements sociaux. Normalement, les décisions de rejet devraient être motivées par écrit. Ce qui n’est jamais fait. En outre, comment ne pas déplorer le fait que les logements proposés aux personnes prioritaires au titre du Dalo font partie, en général, du parc le plus ancien, le plus dégradé, dans des cités qui abritent déjà de nombreuses personnes en difficulté ? A un moment, se pose la question de la mixité sociale. Là, on ne fait qu’ajouter de la misère à la misère. Il ne faut pas s’étonner que des personnes refusent de telles propositions... et voient leur dossier perdre son caractère prioritaire !
De fait, le mal-logement, ce sont des affaires qui sont humainement difficiles. Car on pourrait presque dresser un portrait-robot des personnes mal-logées : des femmes isolées qui élèvent seules leurs enfants, qui attendent depuis des années un logement social en vivant dans un taudis. Certes, il y a une prise de conscience sur le front du logement indigne, avec des marchands de sommeil poursuivis et condamnés, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. Même la ville de Marseille tente d’y remédier. Mais elle hésite souvent à prendre un arrêté de péril car, en cas de défaillance du propriétaire, ce serait à elle de reloger. En tant qu’avocat, on propose souvent aux locataires de se retourner contre les propriétaires mais ils ne le font que rarement, par peur des représailles. Ce qu’ils veulent, avant tout, c’est partir. Le problème, c’est que ça pérennise le système parce que l’appartement sera reloué dans le même état et au même prix puisqu’il y a la Caf. D’une certaine manière, même les taudis bénéficient d’une subvention publique. Reste qu’on ne peut y mettre un terme, sans quoi tout le monde finira à la rue... »

(...)

Entretiens réalisés par Sébastien Boistel.

Retrouvez chez les marchands de journaux dans le mensuel le Ravi, daté mars 2013 , le cahier spécial "le Ravi expulsé de la crèche" co-réalisé avec la Fondation Abbé Pierre pour le logement des personnes défavorisées.

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