Une tribune pour les luttes

La première des raisons qui font qu’un enfant est placé aujourd’hui, c’est la situation socio-économique des parents.

Le Sénat restreint les allocations : "Cette mesure crie ’haro sur les pauvres’"

Communiqué collectif du 25 mars 2013 : Protection de l’enfance non à la suppression automatique des allocations familiales.

Article mis en ligne le mardi 2 avril 2013


Le Monde.fr | 28.03.2013

Propos recueillis par Nicolas Chapuis

http://www.lemonde.fr/societe/artic...

Au Sénat, la mesure a quasiment fait l’unanimité : les élus ont voté mercredi 27 mars la proposition de loi défendue par l’UMP visant à ne plus verser l’argent des allocations familiales aux familles dont l’enfant a fait l’objet d’une mesure de placement. Les aides seraient attribuées au conseil général et les parents n’en percevraient plus que 35 % au maximum. L’allocation de rentrée scolaire serait, elle, versée au service d’aide à l’enfance.

Les socialistes ont voté avec leurs collègues de l’UMP, allant contre l’avis du gouvernement. Pour Dominique Bertinotti, ministre de la famille, c’est un camouflet. Mais cette dernière n’est pas la seule à s’opposer au projet de loi. Plusieurs associations – parmi lesquelles l’Union nationale des associations familiales (UNAF), ATD Quart Monde, les Apprentis Auteuil, le Secours populaire, le Syndicat national des médecins de protection maternelle infantile et l’ANAS (Association nationale des assistants de service social) – ont publié un communiqué contre cette proposition de loi.

Jean-Christophe Caner, délégué général d’Auteuil petite enfance, dénonce "une vision machiavélique des familles en difficulté" : "l’objectif du placement, c’est de permettre aux enfants de retourner chez eux dans les meilleurs délais", insiste-t-il.

Comment avez-vous accueilli le vote du Sénat ?

Jean-Christophe Caner  : Les bras m’en tombent, nous sommes extrêmement surpris par ce vote. Pour nous, c’était un mouvement d’humeur et nous espérions que ça n’allait pas aller plus loin. Le caractère massif du vote au Sénat est une franche mauvaise nouvelle pour les familles.

On espérait que la raison allait l’emporter sur la démagogie. Cette mesure crie haro sur les pauvres. Au lieu de permettre aux gens de s’en sortir, on les enfonce avec une mesure comme ça. On stigmatise les familles les plus abîmées qui sont toutes frappées de plein fouet par la crise et la grande précarité. C’est d’une violence extrême.

Les sénateurs ont défendu la mesure en estimant que celui qui s’occupe de l’enfant (en l’occurence, le conseil général) doit être celui qui touche l’argent des allocations...

Cela va complètement à l’encontre de la loi de 2007, qui rappelle de façon très précise que l’objectif du placement, c’est de permettre aux enfants de retourner chez eux dans les meilleurs délais. La loi redit que le placement est la dernière alternative.

La première des raisons qui font qu’un enfant est placé aujourd’hui, c’est la situation socio-économique des parents. Certaines familles ne trouvent pas les moyens d’éduquer correctement leurs enfants, parce qu’elles ne sont pas logées ou sont mal logées, parce que la situation de précarité dans laquelle elles vivent fabrique un taux d’anxiété maximum, qui souvent dégénère sur de la maladie psychiatrique. Quand les conditions de vie de la famille sont extrêmement précaires, les enfants sont considérés par l’administration ou par le juge comme étant "en risque" dans leur environnement familial.

Le principe du placement, c’est de sortir les enfants de leur famille à un moment donné afin de permettre aux parents de sortir la tête de l’eau, de trouver une solution à leurs problèmes d’adultes et ensuite de pouvoir réintégrer leur position de parents. Quand vous êtes mère seule avec quatre enfants dans une chambre d’hôtel, ce n’est pas en vous voyant retirer les allocations familiales que votre situation va s’arranger et qu’on va vous permettre de retrouver une posture parentale adéquate.

La proposition de loi vise aussi à priver d’allocations les parents en cas de maltraitance. Est-ce le meilleur moyen selon vous ?

Aujourd’hui, les juges pour enfants, quand ils ont à décider d’un placement, ont déjà la possibilité de demander à ce que les prestations familiales soient versées pour tout ou partie au conseil général. C’est juste une possibilité offerte, dans les cas d’enfants qui pourraient être en situation de danger dans leur famille à cause du comportement des adultes, que ce soit de la violence intra familiale ou des abus sexuels. Mais ces cas représentent une petite partie, environ 20 % des placements. Dans les autres cas, ce qui est constitutif de la décision de placement, c’est la situation de précarité de la famille. Donc on a des gens qui sont victimes d’une injustice sociale d’une certaine façon, et on leur ajoute une couche en leur retirant les "allocs".

Si la proposition de loi passe, la famille ne conservera au maximum que 35 % des allocations, quelle que soit la raison. On inverse la charge de la preuve, et on part du principe que toute difficulté familiale ou éducative est de la faute des parents. J’aimerais que le législateur me fasse voir un parent qui n’a aucune difficulté avec ses enfants. Je voudrais juste dans ma vie en rencontrer un.

(...)

Les sénateurs brandissent également l’argument financier, pour aider les conseils généraux à s’acquitter de leur mission...

Cela ne représente rien du tout à côté du coût du placement. En gros, le prix moyen pour une journée de placement d’un enfant tourne autour de 270-280 euros par jour, sur environ 300 jours par an. Une famille avec deux enfants touche 1 524 euros par an d’allocations. C’est une goutte d’eau dans les finances des conseils généraux.

En revanche, 1 524 euros quand vous êtes aux minimas sociaux, c’est énorme. Surtout que les parents ont toujours des charges fixes. Un enfant placé rentre chez lui le week-end et pendant les vacances. On essaye de maintenir le lien familial dans l’esprit de la loi de 2007. Il faut que cet enfant ait un espace pour dormir, que les parents fournissent aussi les vêtements, les affaires de toilette, etc.

Cette mesure porte en réalité une vision machiavélique des familles en difficulté et un regard condescendant qui traduit un mépris extrême des personnes les plus pauvres.

Nicolas Chapuis


Communiqué
de
presse
Paris,
le
25 mars
2013

PROTECTION DE L’ENFANCE
NON À LA SUPPRESSION AUTOMATIQUE
DES ALLOCATIONS FAMILIALES

Une proposition de loi visant à transférer les allocations familiales et l’allocation de rentrée scolaire au
service de l’aide sociale à l’enfance, lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge,
sera présentée mercredi 27 mars au Sénat.
D’autres propositions (UDI et PS) doivent arriver au Sénat
sur le même thème. Les associations de protection de l’enfance, les travailleurs sociaux
et les
professionnels de santé
s’inquiètent des effets de cette confiscation.

UNE
MISE
EN
PÉRIL
DU
RETOUR
DES
ENFANTS
CONFIÉS
AUX
SERVICES
D’AIDE
À
L’ENFANCE

Cette mesure irait à l’encontre de l’objectif de favoriser le retour de l’enfant dans sa famille lorsque la
situation le permet, mis en avant dans la Loi du 5 mars 2007 réformant la Protection de l’Enfance.
L’article L228-1 du Code de l’Action sociale et des familles maintient aux parents l’obligation
d’entretien et d’éducation de leurs enfants même confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance.

Rappel
 :
seuls 20
% des enfants confiés à l’ASE le sont pour cause de mauvais traitements
.

Ce texte soumis au Sénat prévoit que toute mesure de « 
placement
 », quelles que soient ses causes
et même si les parents souhaitent contribuer à l’entretien et à l’éducation de leurs enfants, entraîne
automatiquement la suppression des allocations familiales, sauf avis contraire du président du Conseil
Général qui saisit alors le juge.

Confisquer les allocations, c’est fragiliser la famille
 : confisquer
leur statut aux parents, compromettre parfois le paiement du loyer, le transport pour leur
rendre visite,
la possibilité de nourrir leurs enfants quand ils les reçoivent le week-end, le
maintien du lien par
l’achat du cartable à la rentrée, etc.

En effet, une grande partie des enfants
« 
placés
 » vient de familles en grande précarité économique.
C’est en aidant les parents
et non en les sanctionnant, que l’on rend possible le retour de l’enfant
chez lui dans de bonnes conditions.
C’est en les accompagnant dans l’accès à leurs droits, que l’on
contribuera à leur responsabilisation. Le cas échéant, en leur proposant un accompagnement dans la
gestion de leur budget dans l’intérêt de leur enfant.

UNE
ERREUR
ÉCONOMIQUE
POUR
LES
DÉPARTEMENTS

Transférer automatiquement les allocations familiales au Conseil Général est
une erreur économique.
La charge financière pour les départements sera d’autant plus lourde si la séparation de l’enfant de sa
famille se prolonge.
Pour exemple
 :
la confiscation des allocations d’une famille de 2 enfants ne
rapporterait que 1524 euros au Conseil général alors que le « 
placement
 » d’un enfant lui coûte 34
000 euros par an.
[1]

Nous préconisons le maintien d’une étude des situations au cas par cas par les travailleurs
sociaux et que le juge reste seul compétent pour décider du retrait des allocations aux
familles.

[1]
Rapport du groupe de travail « Familles vulnérables, enfance et réussite éducative » préparatoire à la conférence contre
la pauvreté – décembre 2012
http://www.social-sante.gouv.fr/IMG...

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