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CADTM

La dette égyptienne doit prendre fin avec la chute du régime Moubarak

par Nick Dearden
+ Eric Toussaint, président du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde : "C’est parfaitement possible pour un pays de refuser de payer sa dette"

Article mis en ligne le dimanche 20 février 2011

La dette égyptienne doit prendre fin avec la chute du régime Moubarak
par Nick Dearden

18 février 2011

Avec les liens :
http://www.cadtm.org/La-dette-egyptienne-doit-prendre

Les dettes égyptienne et tunisienne doivent être annulées pour que les peuples dans les rues du Caire et de Tunis puissent prendre le contrôle de leurs économies et faire en sorte que les pays occidentaux rendent des comptes. Dans la meilleure tradition des dictateurs, Hosni Moubarak a pillé l’économie égyptienne et est parti en ayant détourné le montant astronomique de 70 milliards de dollars pendant qu’il léguait 30 milliards de dollars de dette au peuple égyptien. Zine el Abidine Ben Ali a laissé une dette de 15 milliards au peuple tunisien alors qu’il gardait pour lui la somme plus modeste de 3 milliards de dollars. Comme d’autres régimes sont en train de vaciller, on va découvrir une multiplication d’injustices.

Les véritables créanciers de l’Egypte, de la Tunisie et d’ailleurs ne sont pas les Etats occidentaux qui ont utilisé les prêts pour mettre leurs hommes de main dans le monde arabe – mais les peuples de ces pays qui ont souffert de cette domination. L’Occident doit maintenant rembourser ces dettes en ouvrant ses livres de comptes aux yeux du public en retournant au peuple égyptien les avoirs de Moubarak et de ses amis qui ont été placés en Europe et aux Etats-Unis et en annulant ces dettes injustes à travers le monde arabe. Le peuple égyptien ne doit pas continuer à payer la note de la complicité occidentale au travers de larges remboursements.

Il est trop simple pour des dirigeants britanniques et américains d’adresser des mots chaleureux aux peuples de ces états policiers qui ont enduré corruption, torture et violations des droits humains pendant des décennies. En fait Tony Blair est celui qui a appréhendé la situation de la manière la plus honnête. Pendant que les leaders occidentaux laissaient si vite tomber Moubarak qu’on se demande comment son régime si impopulaire a tenu si longtemps, l’ancien premier ministre britannique a qualifié son allié d’autrefois comme « immensément courageux et une force du bien ».

Pour les Etats Unis et l’Europe, Moubarak était en effet un excellent client. L’Egypte a remboursé ses prêts indéniablement contractés dans les intérêts du régime plutôt que du peuple à un taux d’environ 3 milliards de dollars par an. Cet argent détourné aurait pu être utilisé pour améliorer la vie des Egyptiens ordinaires. Depuis 1981, l’Egypte a payé environ 80 milliards de dollars en remboursement du principal et des intérêts, une redistribution des Egyptiens pauvres vers les riches au niveau global.

Une partie de la dette du pays était indéniablement de nature militaire. L’Egypte recevait plus d’aide militaire des Etats-Unis que n’importe quel autre pays du monde à l’exclusion d’Israël – bien au-delà d’un milliard de dollars depuis que l’arrivée au pouvoir de Moubarak en 1981. Le gouvernement britannique a permis aux firmes britanniques d’approvisionner l’Egypte en matériel militaire à hauteur de 23 millions de livres en 2008 (37 millions de dollars), 16 millions de livres en 2009 (26 millions de dollars). Il n’y a pas de doute que cela a servi lorsque l’Egypte est devenue un des principaux centres du programme de kidnapping de la «  guerre contre le terrorisme » menée par les Etats-Unis, des vols secrets et de la détention illégale et torture. L’Egypte doit actuellement près de 100 millions de livres (160 millions de dollars) à la Grande Bretagne. Bien que le gouvernement refuse de dire sur quoi la dette est basée, nous savons qu’elle est en rapport avec les exportations britanniques via la controversée agence de crédit à l’exportation (Export Credits Guarantee Department ) et largement basée sur des ventes qui ont eu lieu au début du régime de Moubarak. Ce département du gouvernement britannique à la transparence douteuse assure les affaires britanniques dans des parties « risquées » du monde – habituellement en supportant des industries d’armement, aérospatiales et de combustibles fossiles.

Le Tunisie fait face à une situation semblable – sous Zine el Abidine Ben Ali le pays a effectué des remboursements à hauteur de 40 milliards. De même, Ben Ali a servi les intérêts occidentaux en réprimant son peuple qui s’est finalement levé contre lui en janvier.

Lorsque les peuples ont commence à prendre le contrôle de leurs pays dans le passé – de l’Afrique du Sud de l’apartheid à la Bolivie, de l’Argentine à la Pologne – la dette a été utilisée comme un moyen clé pour imposer des politiques anti-démocratiques à ces pays. Ces politiques ont causé de grandes souffrances aux pauvres dans ces sociétés et ont bloqué toute avancée démocratique qui s’étendrait à la sphère économique. Si les révolutions en Tunisie et en Egypte déclenchent véritablement une nouvelle ère d’indépendance pour les peuples de ces pays et si comme cela parait probable, l’étincelle allumée en Afrique du Nord se répand dans le monde arabe, la prochaine étape serait de traîner en justice les responsables de décennies de domination brutale basée sur le pillage.

Cela implique de questionner la légitimité de la dette qui les a maintenus au pouvoir autant que d’essayer de récupérer l’argent vole par les anciens dirigeants. Il est temps pour les peuples d’Afrique du Nord de briser les chaînes de la dette qui ont contribué à écarter la liberté et le développement pour une génération.

P.-S.

Nick Dearden est Directeur exécutif de la Campagne dette Jubilé Royaume Uni (http://www.jubileedebtcampaign.org.uk/)

Traduction Virginie de Romanet


Eric Toussaint, président du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde : ‘C’est parfaitement possible pour un pays de refuser de payer sa dette’

par Mamadou Sarr, Eric Toussaint

http://www.cadtm.org/Eric-Toussaint-president-du-Comite,6429

10 février 2010

Le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde invite les gouvernements africains à suivre l’exemple de certains pays de l’Amérique du Sud qui ont refusé de payer la dette illégitime, réclamée aux pays en développement. De l’avis de Eric Toussaint, ‘c’est parfaitement possible pour un pays de refuser de payer sa dette’. Et les exemples sont légion dans le monde.

Equateur, Argentine, Paraguay. Voilà autant de pays qui ont refusé de payer leurs dettes à la Banque mondiale, au Fmi, au Club de Paris et aux banquiers. C’est le Belge Eric Toussaint, le président du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde (Cadtm) qui l’a révélé, hier, au cours d’une conférence de presse à l’Ucad dans le cadre du Forum social mondial. ‘Si je vous donne tous ces exemples, c’est pour vous montrer que c’est parfaitement possible pour un pays de refuser de payer sa dette. Et que contrairement à ce qu’on fait passer comme message, cela ne produit pas le chaos. L’Argentine connaît un taux de croissance de plus de 8 % depuis 2003. L’Equateur connaît un taux de croissance de 3 à 4 %. Ces pays n’ont pas connu le chaos. Bien au contraire, ils ont enregistré une amélioration des salaires, des pensions et des conditions de vie des populations’, soutient Eric Toussaint qui a participé à l’audit de la dette de ces pays.

Ce qui lui fait dire que cela peut inspirer les pays africains à qui on réclame une ‘dette illégitime et illégale’. Parmi toutes ces expériences, sources d’inspiration en Amérique latine, le plus intéressant, c’est l’Equateur où le Cadtm a directement participé à l’audit de la dette. ‘Un nouveau président a été élu fin 2006 qui s’appelle Raphaël Corréa à la tête d’un processus qu’il appelle lui-même révolution citoyenne. Immédiatement il s’est engagé à faire l’audit de l’endettement de l’équateur de 1976 à 2006 par une commission de dix-huit experts en dette dont moi-même. Après quatorze mois de travaux, après avoir épluché des dizaines de milliers de dossiers et des centaines de contrats, nous avons soumis nos recommandations au gouvernement. Et après avoir identifié que 80 % de la dette publique de l’Equateur était de la dette illégitime, et sur la base de nos recommandations, le gouvernement a unilatéralement décidé de suspendre le paiement de la dette sous forme de bons’, renseigne Toussaint.

Il s’agit, dit-il, des titres de la dette publique vendus sous forme de bons sur les marchés financiers, en particulier à Wall Street. Des bons qui venaient à échéance entre 2012 et 2030 pour un montant de 3 230 millions de dollars. ‘Il y a eu donc un acte souverain unilatéral de suspension du paiement de la dette. Du coup, les détenteurs de ces titres de la dette, qui étaient des banquiers nord-américains, se sont mis à les vendre sur le marché à 20 % de leur valeur. Finalement, le gouvernement équatorien est arrivé à racheter 91 % des titres pour un coup total de 900 millions de dollars. Ce qui fait une économie, si on calcule le stock de capital racheté à bas prix et les intérêts qui ne sont pas payés jusqu’en 2030, d’où un bénéfice de plus de 7000 millions de dollars. Ce qui a permis au gouvernement très concrètement de faire passer dans le budget de l’Etat le service de la dette qui était de 32 % à 15 % et de faire passer les dépenses sociales qui représentaient 12% à 25% du budget. Donc, il y a une inversion des priorités’, informe-t-il.

Eric Toussaint révèle que ‘l’Equateur, et vous n’en avez pas entendu parler, a expulsé le représentant permanent de la Banque mondiale. Parce que la Banque mondiale ne veut pas qu’on sache qu’on peut expulser ses représentants. L’Equateur a mis dehors le Fmi qui avait ses locaux au sein de la banque centrale. L’Equateur a quitté le tribunal de la banque mondiale qui est le Centre international de règlement des différends. Ce que la Bolivie a fait, deux ans auparavant. Donc nous pensons que cet exemple, qui s’est passé en Equateur, peut parfaitement se passer dans la majorité des pays en Afrique. Cela devrait être reproductible en Grèce, par exemple, qui est confronté à une crise terrible de la dette’.

Le temps des audits de la dette

Autre exemple servi lors de cette conférence : l’Argentine. D’après Toussaint, ce pays a suspendu en 2001 le paiement de la dette, justement après un mouvement social un peu comparable à celui de la Tunisie de janvier 2011. ‘L’Argentine a suspendu le remboursement de 1000 milliards de remboursement de titres de la dette de décembre 2001 à mars 2005. L’Argentine a également suspendu les remboursements de la dette au Club de Paris qui est un des principaux créanciers des pays d’Afrique subsaharienne avec le Fmi et la Bm... L’Argentine a suspendu le paiement de sa dette à l’égard du Club de Paris pour un montant de 6 milliards de dollars de 2001 jusqu’à aujourd’hui. Il n’y a aucun journaliste qui a entendu parler de cela. Parce que le Club de Paris ne veut pas qu’on sache ailleurs dans le monde qu’on peut refuser de le payer. Le Club de Paris ne dit rien et fait tout pour que cela ne se sache pas. Après dix ans de non paiement, l’Argentine dit qu’on peut recommencer à dialoguer avec le Club de Paris, mais le Fmi n’en fera pas partie. Le Club de Paris a accepté ; alors que d’habitude, il exige la présence du Fmi’, fait-il remarquer.

Le dernier exemple qu’Eric Toussaint a donné, c’est le Paraguay qui a répudié sa dette à l’égard des banquiers suisses en 2005. ‘La Suisse n’est pas contente et a porté plainte contre le Paraguay qui a dit : "on s’en fout de ces condamnations. Mieux que cela, nous allons déposer une plante à la Haye contre la Suisse qui protège ses banquiers suisses." "Et la Suisse ne dit rien non plus", ajoute-t-il. Avant de souligner qu’il donne cet exemple, pour qu’on sache qu’il y a d’autres sources d’inspiration pour d’autres gouvernements. ‘Les gouvernements sous la pression des mouvements sociaux doivent lancer des audits de la dette. Et prendre des mesures unilatérales de non-paiement de la dette’, commente Toussaint. Il pense que la Tunisie pourrait suivre l’exemple ‘si on a un gouvernement dont sont absents les représentants du Rcd, un gouvernement réellement en rapport avec les mouvements sociaux pourra mettre en place une commission d’audit de la dette et à l’issue des résultats décider la suspension du paiement’.

P.-S.

Source : http://www.walf.sn/international/suite.php?rub=6&id_art=70972

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