Une tribune pour les luttes

« Le gouvernement n’a pas engagé de vraie rupture avec la politique de Sarkozy »

Interview d’Annick Coupé, porte parole de l’Union syndicale Solidaires
Par Jean-Pierre Anselme

Article mis en ligne le samedi 22 décembre 2012

http://blogs.mediapart.fr/blog/jean...

19 décembre 2012

La montagne ne va pas accoucher d’une souris. Lancée le 4 octobre par le gouvernement, la négociation marathon entre patronat et syndicats « pour une meilleure sécurisation de l’emploi » doit s’achever cette fin de semaine, voire au début de 2013. Mais, quoiqu’il en soit, que la CFDT décide ou non de signer le « compromis historique » intimé par François Hollande (condition sinequanone pour légitimer un accord), on sait déjà que, de cette mascarade, les salariés seront les souffres-douleur.

Une «  négociation » emblématique de la dynamique anti-sociale qui prévaut actuellement et symptomatique de l’incapacité du syndicalisme français à être à la hauteur des enjeux. Car quand les exigences du patronat ont à ce point le vent en poupe, on sait que ce sont tous les salariés, toute la société, qui risquent de trinquer.

Selon l’ACOSS (organisme collecteur des cotisations sociales des URSAFF), hors intérim, sur les 21 millions de contrats de travail signés en 2011, 17,3 millions étaient des CDD (82,4%), et que, sur ce nombre, 9,5 millions étaient inférieurs ou égaux à une semaine ( 54,9%), voire d’un jour seulement (31% des CDD signés).

Comme le résume la CGT, avec le projet patronal : «  les droits liés au CDI seraient contournés par l’instauration d’un nouveau type de contrat de travail, le contrat intermittent ; possibilité pour l’employeur de licencier sans avoir de justification à présenter ; réduction des recours en justice et des peines encourues par les employeurs. Le patronat va jusqu’à exercer un chantage en suggérant une hypothétique complémentaire santé pour tous les salariés contre des procédures de licenciement accélérées ! » Et, oh surprise !, le Medef ne veut pas entendre parler de la revendication des syndicats d’ «  une modulation des cotisations d’assurance-chômage pour décourager les contrats précaires ».

(...)

Annick Coupé, porte parole de l’Union syndicale Solidaires, dénonce la politique libérale du gouvernement. Alors que les « partenaires sociaux » achèvent des négociations à froid porteuses de plus de précarité encore pour les salariés, elle plaide pour un syndicalisme de combat « capable de faire bouger les lignes ». Interview.

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BD de l’Union Solidaires étudiants d’Orléans

Est-ce que l’Union Solidaires fait partie des « partenaires sociaux » ?

On ne se considère pas comme des « partenaires sociaux ». C’est une manipulation des mots : on dit « partenaires sociaux » plutôt que syndicats. Et puis, qui dit « partenaires » dit intérêts communs et je pense que l’on n’a pas forcément des intérêts communs avec le patronat.

En 2007, François Hollande, alors Premier secrétaire du Parti socialiste, se félicitait dans le journal Sud-Ouest de « l’évolution réformiste de la CGT », « à encourager » et affirmait : «  Le syndicalisme que l’on doit combattre, c’est celui de Sud. »

On avait trouvé un peu fort de café que le premier secrétaire d’un parti fasse le tri entre les « bonnes » et les « mauvaises » organisations syndicales. On l’avait rencontré quelques temps après et on s’en était expliqués. Il nous a dit alors qu’il n’avait jamais dit ça, affirmant qu’il n’avait « pas d’ennemi dans le syndicalisme ».

Solidaires n’a pas participé aux négociations nationales sur « la sécurisation de l’emploi et la flexibilité du marché du travail »... Et si vous y aviez été invités, y seriez-vous allés ?

À priori, on y aurait été au moins une fois, mais comme on se serait rapidement heurté au Medef, on se serait posé aussi la question de la construction d’un rapport de forces et d’une mobilisation face à un patronat qui sort l’artillerie lourde et ne vise qu’à casser les droits sociaux.

Actuellement, on a un gouvernement qui fixe un impératif, un «  compromis historique », un patronat à l’offensive et des organisations syndicales, semble-t’il divisées, dont pas une qui ne fasse de vraie proposition de mobilisation, pour l’instant.

La participation à ce genre de négociation n’est pas en soi un problème, le problème est de négocier à froid sans tentative de mobilisation sociale. On y serait allés, mais peut-être qu’on se serait trouvés devant la nécessité de claquer la porte !

Sur quelles revendications aurait du porter cette négociation ?

Nous sommes pour un encadrement strict du recours aux contrats à durée déterminée, avec notamment une taxation forte et dissuasive des embauche en CDD. Si on veut vraiment lutter contre la précarité, il faut des mesures très contraignantes : pas plus de 5% de contrats précaires, par exemple !

On est aussi porteurs de l’idée d’un nouveau statut des salariés. Nous nous battons pour une continuité des droits de tous (quelque soit leur entreprise, grande, petite, entreprise donneuse d’ordre ou sous-traitante), avec le maintien du salaire, des droits acquis à la formation, l’ancienneté...

Le patronat doit être collectivement responsable, avec un fond patronal mutualisé (comme pour les accidents du travail) permettant de garantir les droits des salariés, quoiqu’il advienne de l’entreprise. On est aussi pour le droit de véto des comités d’entreprises sur les plans de licenciements. Les salariés ne sont pas responsables des réorganisations capitalistes.

Quelle est votre appréciation de la gestion du dossier ArcelorMittal par le gouvernement et en particulier de l’idée de « nationalisation » qui a été un moment avancée ?

On pense que l’idée de nationalisation rentre bien dans la responsabilité de l’État comme outil économique et social et on ne comprend pas bien pourquoi ça a suscité ce « débat », où les partisans d’une nationalisation d’ArcelorMittal étaient présentés par les médias comme des « ringards », comme si le mot « nationalisation » était tabou, comme si c’était un gros mot !

Sur le fond, la question est celle des politiques menées sur ce secteur depuis vingt ou trente ans, c’est la question des cadeaux fait à une multinationale, sans garantie ni contrôle. La manière dont les choses se sont passées est scandaleuse.

L’autre question essentielle est celle de l’avenir de la production d’aluminium en France et au niveau européen. Aujourd’hui, la politique européenne est basée sur le dogme de la «  concurrence libre et non faussée », c’est à dire sur la guerre économique, alors qu’elle devrait s’appuyer sur la puissance publique afin de sauvegarder l’emploi et développer la filière en prenant en compte les contraintes écologiques.

Il n’en est pas ainsi parce que la seule réponse c’est le marché, qui doit tout décider, le sort des salariés et celui d’une région ne pèsent rien. Au bout du compte, les promesses de Hollande ne sont pas tenues et on a un accord qui discrédite le gouvernement et la parole politique.

Que pensez-vous de la politique du gouvernement ?

On n’espérait pas beaucoup et ils trouvent le moyen de nous décevoir encore... Ce gouvernement donne le sentiment qu’il n’a aucune vision un peu globale de ce que pourrait être un changement de politique. C’est un gouvernement social libéral ou libéral social, un gouvernement qui reste sur une politique libérale.

Si on prend les dossiers de ces dernières semaines —Arcelor, TVA, SMIC...— ce gouvernement fait le contraire de ce qu’il a dit. Il fait le choix de continuer la même politique sur le fond que celle de Sarkozy, il ne tente même pas de l’infléchir, comme l’illustre notamment son ralliement au pacte budgétaire européen.

Il n’y a pas d’inflexion non plus sur la question des sans-papiers. La nouvelle circulaire reste sur la même mauvaise idée, celle des quotas. Cette vision politique des sans-papiers s’inscrit dans la continuité, et le fait même que ce soit le ministre de l’Intérieur qui en ait la charge en est le symbole.

Autre exemple, celui du jour de carence pour maladie dans la Fonction publique imposé par Sarkozy, une mesure unanimement condamnée par toutes les organisations syndicales qui en demandent l’abrogation et qui ont essuyé un refus du gouvernement. De même, il n’y a ni rupture ni changement sur le SMIC...

Même sur l’égalité des droits avec le mariage pour tous, la déclaration de Hollande (sur la « liberté de conscience » des maires) illustre le flottement du gouvernement, alors même que cela ne coûte rien économiquement.

À la première conférence sociale qui s’est tenue début juillet, on a eu droit à un grand discours sur la méthode mais à aucun choix d’orientation ; le dialogue c’est bien, mais de quel côté va la maison ?

On a eu la réponse depuis, avec le choix gouvernemental de faire des cadeaux aux entreprises (20 milliards d’un côté, la TVA de l’ autre côté) qui ne ne va faire qu’accentuer les problèmes ; le chômage va continuer à augmenter, la récession à s’accroître.

C’est le même train que celui de la Grèce et de l’Europe de l’austérité. Je ne vois pas comment on s’en sortira mieux. Certes, c’est moins violent ici qu’en Grèce, qui est le laboratoire européen de l’austérité, mais c’est la même logique, celle qui diminue les droits des salariés, détruit les services publics, l’accès à la santé, augmente le chômage et la précarité.

En Europe, en Espagne en particulier mais aussi ailleurs dans le monde, aux États-Unis notamment avec Occupy, on a vu émerger des mouvements sociaux qui ont flanqué un « coup de vieux » au syndicalisme institutionnel. Qu’en pense la syndicaliste ?

Une des raisons de la différence entre la France et l’Espagne, où le mouvement des Indignés est très engagé dans la remise en cause de l’austérité néolibérale, est que malgré tout, ici, globalement, les syndicats ont été capables de faire des mobilisations, ce qui n’était pas le cas en Espagne, où les principaux syndicats, ces dernières années, ont validé des accords de régression sociale largement à « droite » des positions de la CFDT.

C’est un des éléments qui peut expliquer que le mouvement des indignés en France n’a pas vraiment pris. L’institutionnalisation des syndicats, avec le fossé qui sépare leurs responsables des salariés et de la population, est une réalité, mais elle n’est pas absolue. Le syndicalisme français n’est pas figé, il est traversé par des tensions, des contradictions et en son sein, la question des mobilisations sociales, des rapports de forces à construire est débattue.

Mais c’est vrai, que le mouvement syndical est trop souvent à l’écart des luttes menées par les mouvements sociaux, comme par exemple à Notre-Dame-des-Landes qui touche des paysans et des très jeunes militants. À part Solidaires et la Confédération paysanne, aucune autre organisation de salariés ne s’est impliquée dans ce combat.

Quelles sont les bonnes raisons qui peuvent motiver un salarié à adhérer, ou à créer, un syndicat Sud ou Solidaires ?

Il y a d’abord une raison classique : les gens ne se syndiquent pas pour des raisons idéologiques mais pour répondre à une question : comment on fait pour ne pas se laisser faire ?

Et après, il y a ce qu’on leur dit et ce qu’on leur propose. À Solidaires on leur dit deux choses : on va vous aider mais il faut que vous comptiez aussi sur vos propres forces ; ce que vous pouvez faire dans votre boite n’est pas suffisant pour que ça change vraiment, il faut aussi que vous vous inscriviez dans le mouvement général de la société.

Ce n’est pas très différent de ce que propose la CGT...

C’est aussi une question de pratique : l’appui dont les salariés vont bénéficier quand ils créent une section syndicale, pour défendre leurs droits, la solidarité interprofessionnelle...

La grande différence est dans les choix stratégiques : par exemple, au moment des retraites, nous avons eu de grosses divergeances avec la CFDT, en particulier sur la nécessité d’une grève générale, et aussi avec la CGT qui n’a jamais rien fait pour tenter de la développer à cause de ses relations difficiles avec la CFDT.

Il fut un temps — je pense en particulier aux années soixante-dix où la CFDT, dans la foulée de mai 68, était alors porteuse d’un projet de société, le «  socialisme autogestionnaire » — où le syndicalisme n’était pas seulement « combatif », comme aujourd’hui Solidaires le revendique, mais où il était aussi capable d’offrir un horizon, un imaginaire porteur d’avenir, des perspectives de transformation qui donnaient un sens à l’action au jour le jour. Où en êtes-vous ?

Nous sommes dans la contradiction suivante : d’un côté l’idée de transformation sociale renvoie pour nous à l’idée de rupture avec le capitalisme, de l’autre il y a le bilan catastrophique de la mise en oeuvre de l’idée de socialisme au XXe siècle (le socialisme « réel » ou les différentes idéologies liées à cette idée). Ce qui veut dire qu’il faut retravailler l’idée de transformation sociale en prenant en compte des questions comme l’écologie ou le féminisme, la démocratie aussi… La question du socialisme autogestionnaire devrait être repensée avec ces différents éléments.

Mais il y a une autre réflexion à avoir : la question n’est pas tant d’avoir un projet de société « clefs en main » que de construire des réponses dans les luttes sociales articulant mesures immédiates d’urgences sociales, propositions alternatives supposant des ruptures et mise en oeuvre dans les mouvements sociaux de nouvelles pratiques liées aux enjeux de démocratie, de lutte contre toutes les formes de discrimination ou aux enjeux environnementaux.

D’où l’importance de lieux de réflexion ouvert mêlant «  intellectuels », syndicalistes, militant-e-s du mouvement social pour se poser dans «  un intellectuel collectif » ces questions sur lesquelles aucun mouvement n’aura à lui tout seul la réponse. Il s’agit rien moins que d’inventer les voies de l’émancipation individuelle et collective au XXIe siècle !

Pour conclure sur une question plus terre à terre, est-ce que Solidaires n’a pas perdu un peu de sa visibilité en privilégiant l’unité syndicale avec les cinq confédérations dites représentatives ?

La visibilité, la notoriété, on les a acquis beaucoup dans les manifestations sur les retraites, à Paris et en province, avec des cortèges Solidaires où s’exprimaient une combativité et des positions qui ont donné une certaine audience à nos idées. Et puis Solidaires est une réalité dans nombre de boites.

Nous pensons que l’unité syndicale a été un des éléments clé de la mobilisation de 2010. Il ne faut pas la lacher, même si ce n’est pas très confortable pour Solidaires d’être dans l’intersyndicale. On sait ce qu’on pèse... mais ça ne nous empêche pas d’exprimer publiquement nos désaccords. On a jusqu’ici essayé de tenir sur la question de l’unité sans pour autant tout accepter.

Pour nous, le meilleur moyen de dépasser cette contradiction est de la poser au plan local, de faire en sorte que le débat sur les stratégies syndicales, les revendications, les négociations… ait lieu directement avec les salariés, dans les entreprises, au plus près des salariés.

Peut-être que le mouvement syndical français serait plus tiré vers un syndicalisme d’accompagnement si Solidaires n’existait pas. Pour autant, nous ne sommes pas les « chevaliers blancs » du syndicalisme, nous ne voulons pas d’un syndicalisme de posture, nous nous battons pour un syndicalisme qui fasse bouger les lignes, y compris dans le mouvement social.

Mais face au gouvernement, face patronat et aux autres syndicats. Plus que jamais, il y a besoin du syndicalisme de combat qu’on essaie de porter.

• Union syndicale Solidaires :http://www.solidaires.org/

• Pour connaître le programme détaillé du Medef, lire l’interview de son ancien président, Denis Kessler, parue dans La Tribune du 14 décembre 2012, « Il faut une nouvelle reffondation sociale » : http://www.latribune.fr/actualites/...

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