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Bahreïn : le savoir-faire français au service de la répression

Bug Brother A quoi servent les « agents antiémeutes toxiques » français au Bahreïn ? jean.marc.manach
"la France se maintient parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux" d’armes diverses...

Article mis en ligne le vendredi 15 février 2013



De nombreuses manifestations ont eu lieu dans les villages chiites de Bahreïn et dans sa capitale, Manama, jeudi 14 février, au deuxième anniversaire du soulèvement maté dans ce petit pays du Golfe à majorité chiite, dirigé par une dynastie sunnite.
Deux manifestants dont l’un âgé de 16 ans ont été tués et des dizaines d’autres blessés, "certaines grièvement", selon le Wefaq, principale formation de l’opposition.
L’opposition réclame notamment une monarchie constitutionnelle, un gouvernement issu d’élections et la fin de la discrimination confessionnelle.
La répression a fait pendant ces deux ans plus de 80 morts au Bahrein selon la Fédération internationale des droits de l’homme. Les dirigeants de l’opposition sont emprisonnés .

Voir dans le Monde diplomatique de février 2013 :
http://www.monde-diplomatique.fr/20...
Bahreïn, la dictature « excusée »
par Marc Pellas.

" Les gouvernements occidentaux couvrent de silence l’intervention militaire de l’Arabie saoudite qui, en mars 2011, a tenté d’étouffer la révolte populaire de Bahreïn. Comme si les valeurs démocratiques qui légitiment la protestation et même la révolte violente en Libye ou en Syrie ne comptaient pas vraiment lorsqu’elles sont portées par un mouvement majoritaire et pacifiste, mais qui a le mauvais goût de remettre en cause une dynastie de la péninsule arabique."

Lire aussi :
http://www.lesinrocks.com/2013/02/1...
Les deux faces d’un Bahreïn toujours en proie aux violences


Compléments à l’article de jean.marc Manac’h repris sur Mille Bâbords le 23 janvier :

Bahreïn : le savoir-faire français au service de la répression
Par Armin Arefi

http://www.lepoint.fr/monde/bahrein...

Le Point.fr - Publié le 14/02/2013

Paris a envoyé grenades lacrymogènes et CRS pour former les forces antiémeute du royaume du Golfe. Or elles tuent les manifestants depuis deux ans.

Le fâcheux précédent tunisien, au cours duquel Michelle Alliot-Marie, alors chef de la diplomatie française, avait proposé au régime de Ben Ali le "savoir-faire" français en matière de sécurité pour mieux maîtriser les manifestants, semble se répéter dans un autre pays touché par le Printemps arabe : le royaume de Bahreïn. C’est en tout cas ce que révèle Jean-Marc Manach sur son blog (1) Bug Brother du Monde.fr. D’après ce journaliste, des agents antiémeute toxiques français permettraient aux forces de sécurité bahreïnies de réprimer les manifestants chiites de ce minuscule royaume du Golfe.

Lassée par une sous-représentation à la tête du pays, la majorité chiite (à 70 %) de cet État de 1 230 000 habitants (dont 550 000 nationaux) manifeste au quotidien depuis deux ans jour pour jour contre le pouvoir sunnite dont il exige des élections libres et la fin des discriminations à son encontre. Mais Manama a décidé d’employer la manière forte pour étouffer toute velléité démocratique. Sur les 87 morts recensés depuis février 2011, 43 seraient ainsi décédés des suites de leur exposition au gaz lacrymogène, dont deux - un jeune garçon de huit ans et un vieillard de 87 ans - encore récemment.
Des grenades lacrymogènes dans les maisons

"Des grenades lacrymogènes ont été directement tirées sur les contestataires, et jusqu’à l’intérieur de leur domicile", explique au Point.fr Reda al-Fardan, militant bahreïni du site bahrainwatch.org, qui a publié les photos de ces grenades. "Outre les projectiles américains et britanniques, nombre de cartouches grises et reconnaissables à leur tête rouge appartiennent à la même marque : le français Alsetex", ajoute-t-il. "Un grand nombre de grenades lacrymogènes françaises retrouvées place de la Perle (place centrale de Manama)", confirme au Point.fr Aymeric Elluin, responsable de la campagne "Armes et Impunité" chez Amnesty International. "Le problème est qu’elles sont mal utilisées par les forces de sécurité bahreïnies, de sorte qu’elles tuent autant que des armes à feu."

Contactée par Le Point.fr, la marque française Alsetex, spécialiste de la "gestion démocratique des foules" et qui a depuis pris le soin de supprimer de son site internet les modèles incriminés, affirme être soumise à une obligation de confidentialité tout en précisant que toute exportation à l’étranger est soumise à une autorisation du gouvernement français. Du côté gouvernemental, on assure que, "suite à l’affaire tunisienne, l’exportation de l’ensemble des produits pour le maintien de l’ordre vers Bahreïn a cessé le 17 février 2011", tout en rappelant que la France a été parmi les premiers pays à prendre cette mesure unilatérale.

Pourtant, d’après le militant bahreïni Reda al-Fardan, "des gaz lacrymogènes de marque Alsetex ont bel et bien été observés dans le pays jusqu’à mars 2012". "Si de telles cartouches françaises ont été retrouvées dans le royaume, il s’agit peut-être de stocks", indique-t-on à Paris. D’après le chercheur Jean-Paul Burdy (2), professeur d’histoire à l’Institut d’études politiques de Grenoble, ces cartouches françaises pourraient provenir de pays tiers comme l’Arabie saoudite ou le Qatar, membres avec Manama du Conseil de coopération du Golfe.

Personne n’a oublié qu’en plein coeur du Printemps de la Perle le royaume avait fait appel à 1 000 soldats saoudiens et 500 émiratis pour lui venir en aide. "Nos exportations de matériel de maintien de l’ordre contiennent des clauses de non-réexportation, tout ne peut pas être contrôlé", admet-on de source gouvernementale. Mais la mouture 2012 du rapport annuel du Parlement français sur les exportations d’armes françaises relance la suspicion autour de nouvelles ventes françaises de gaz lacrymogène à Bahreïn après le 17 février 2011.

D’après ce document, la France a obtenu en 2011 neuf autorisations d’exportation de matériel de guerre (AEMG) vers Bahreïn pour un montant d’environ 17 millions d’euros, dont 421 000 euros concernent des agents chimiques toxiques "antiémeute" de catégorie ML7. Pour Amnesty International, cette dernière classification peut correspondre à du gaz lacrymogène. Du côté gouvernemental, on assure au contraire qu’il s’agit "uniquement de matériel d’alerte biologique et de détection chimique".

Le rapport 2012 fait également état de 16 millions d’euros d’AEMG de type ML4 (missiles, roquettes, bombes) et de 500 000 euros d’AEMG de classe ML5 (radar). "Il est problématique de vendre des armes à des régimes dictatoriaux dont on sait qu’ils répriment leurs manifestants", estime le député français Pouria Amirshahi, secrétaire de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. À Paris, on rappelle qu’aucun embargo sur les ventes d’armes de guerre ne vise Bahreïn et que chaque matériel passe au préalable en "commission interministérielle des exportations des matériels de guerre". "Le royaume n’est pas du tout dans le même registre qu’un pays comme la Syrie, souligne-t-on. On parle ici de maintien de l’ordre, pas de guerre civile."

"Bahreïn connaît depuis deux ans un état de guerre de faible intensité", estime pourtant le chercheur Jean-Paul Burdy. "Les jeunes tiennent les quartiers chiites de la conurbation de Manama, et la police ne peut y pénétrer que par des coups de force." À en croire ce spécialiste du royaume, qui se rend régulièrement à Bahreïn, les forces de l’ordre agiraient par pure vengeance en ciblant délibérément l’intérieur des domiciles et voitures des opposants, faute de pouvoir contenir les manifestations quotidiennes qui se poursuivent.

Si l’ambassadeur de France pour les droits de l’homme, François Zimeray s’est déplacé en décembre dans la monarchie du Golfe pour lui rappeler qu’il ne faut pas incarcérer des militants pour des propos tenus sur Twitter, ni des médecins parce qu’ils avaient soigné des manifestants, l’ambassadeur de France en poste à Bahreïn, Christian Testot, a par la suite assuré le royaume que la coopération entre les deux alliés n’était pas remise en cause. Il ne faut pas oublier que le roi du Bahreïn a été reçu en catimini par François Hollande à l’Élysée en août dernier pour évoquer un renforcement de cette même coopération.

"On ne comprend pas les signaux divergents successivement envoyés à Bahreïn par le gouvernement français, s’insurge le militant Reda al-Fardan. Ce qui est sûr, c’est que Manama n’a aucune raison de mettre fin à la répression lorsque le roi obtient du président français une telle légitimité internationale." En août dernier, l’agence de presse officielle BNA annonçait que les domaines futurs de coopération entre les deux pays toucheraient la presse, la politique, l’éducation, la culture, la technologie et la défense.

"Défense ne veut pas dire maintien de l’ordre", insiste-t-on à l’Élysée. De son côté, le Quai d’Orsay indique qu’un haut comité de coordination s’est récemment réuni en séance de travail pour identifier les futurs domaines de collaboration. Le ministère des Affaires étrangères rappelle également qu’un accord de coopération militaire lie déjà les deux pays depuis 2009 dans le cadre des opérations de piraterie dans l’océan Indien, mais également de la formation de la garde royale bahreïnie. Celle-ci ne serait pourtant pas le seul corps armé qui bénéficie du "savoir-faire" français.

Comme Le Point.fr le révélait en février 2011, les forces antiémeute de Bahreïn, en action depuis le début du Printemps de la Perle, ont été formées par des policiers français issus des compagnies républicaines de sécurité (CRS), en vertu d’un accord de coopération en matière de sécurité intérieure signé en novembre 2007 à Paris. À la Direction générale de la police nationale, on assure que la dernière opération de gestion démocratique des foules à Barheïn date de 2008.

"C’est une opération intéressante, car elle privilégie l’emploi d’armes non létales, ce qui est un plus dans ces pays-là", indique une autre source proche du dossier. "Le royaume de Bahreïn est connu pour faire un usage excessif de la force depuis 2005", rappelle pour sa part Aymeric Elluin, d’Amnesty International. "Et cela concerne à chaque fois l’usage de grenades lacrymogènes."

(1) Bug Brother, blog du journaliste Jean-Marc Manach sur Le Monde.fr.

(2) Jean-Paul Burdy, auteur du blog Questions d’Orient (http://www.questionsdorient.fr/).


Bug Brother A quoi servent les « agents antiémeutes toxiques » français au Bahreïn ? jean.marc.manach

" D’après l’agence de presse officielle bahreïnie, François Hollande et le roi du Bahreïn se seraient mis d’accord pour "consolider la coopération militaire bilatérale" entre les deux pays. En dépit d’une lettre ouverte co-signée par 6 ONG de défense des droits de l’homme (HRW, FIDH, Amnesty International, RSF, LDH, ACAT), l’Elysée n’a jamais confirmé, ni démenti."

21 janvier 2013

A lire avec tous les liens, photos et documents :
http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2...

Au royaume de Bahreïn, petite (mais riche) monarchie pétrolière du golfe persique, le printemps arabe n’est pas fini, et les policiers anti-émeutes dispersent les manifestants à coups de chevrotines, munitions létales censées "augmenter la probabilité de toucher une cible en mouvement", en les criblant de plombs.

Interdite à la chasse dans la plupart des départements français (sauf dérogation), la chevrotine est généralement utilisée pour chasser le "gros gibier" (cerfs, sangliers...). Au Bahreïn, on ne compte plus le nombre de manifestants devenus borgnes après avoir été criblés de plombs.

Les policiers anti-émeutes bahreïnis utilisent aussi des gaz lacrymogènes, beaucoup, énormément, jusqu’à en lancer à l’intérieur même de maisons, ou de voitures... Sur les 85 morts recensés de février 2011 à novembre 2012 (on en compte d’autres, depuis), 17 auraient été tués à coups de chevrotines. 43, d’après le décompte effectué sur Wikipedia, seraient morts des suites de leur exposition aux gaz lacrymogènes -une majorité de personnes âgées de plus de 60 ans, mais également des bébés, enfants et adolescents-, 3 personnes au moins seraient mortes après avoir reçu une grenade lacrymogène dans la tête, 5 sous la torture.

L’ONG Bahrain Watch, qui s’est donnée pour mission de documenter la répression au Bahreïn, a commencé à identifier les marchands d’armes utilisées par les policiers anti-émeutes, à partir des photos prises par les Bahreïnis, et partagées sur Twitter ou Facebook. Et l’on y trouve un marchand d’armes français...

(...)

Alsetex se présente comme le "Leader des produits pour la gestion démocratique des foules". Sa gamme de lanceurs 56mm a spécialement été étudiée de sorte que le diamètre des munitions soit "supérieur au diamètre de l’orbite de l’oeil humain, quelque soit l’âge ou le sexe" afin de ne pas pouvoir "causer de blessure mortelle". Ce qui lui permet de proposer une large gamme de munitions à "effets non létaux, lacrymogène, poivre, fulgurant, cinétique, blast, éclairant, signaux..."

Sa grenade GM2 lacrymogène, "destinée au maintien de l’ordre en milieu extérieur ou intérieur (...) libère instantanément un nuage de (gaz) CS pulvérulent couvert par un fort effet sonore déstabilisant les manifestants." Ses grenades lacrymos sont largement utilisées au Bahreïn, comme en témoigne cette photo de l’AFP, publiée par The Telegraph l’an passé :

AlsetexAfpGetty

On peut trouver une description plus détaillée de cette grenade sur archive.org, qui a gardé la trace du catalogue d’Alsetex, et archive le web, et qui a donc permis à Bahrain Watch de retrouver la trace de cette grenade lacrymogène, dont le site d’Alsetex ne fait plus état. On reconnaît par ailleurs, dans cette fiche de présentation (.pdf) des munitions d’Alsetex la trace des deux autres grenades, BLINIZ & GENL, identifiées par Bahrain Watch.

Le Rapport sur les exportations d’armement de la France, mis en ligne en novembre 2012, et qui se félicite du fait que "la France se maintient parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux", révèle par ailleurs que la France a vendu pour plus de 26M€ d’armes au Bahreïn en 2011, dont 16M€ de "bombes, torpilles, grenades, pots fumigènes, mines, missiles, produits "pyrotechniques" militaires (et) cartouches", et 421 000 € d’"agents chimiques ou biologiques toxiques, « agents antiémeutes », substances radioactives, matériel, composants et substances connexes" définies comme suit :

"Substances qui, dans les conditions d’utilisation prévues à des fins antiémeutes, provoquent rapidement chez l’homme des irritations ou une incapacité physique provisoires qui disparaissent en l’espace de quelques minutes dès que l’exposition aux gaz a cessé (les gaz lacrymogènes forment un sous-ensemble des « agents antiémeutes »)."

Le Vinvinteur m’a permis de prolonger l’enquête que j’avais consacrée aux cyber-dissidents bahreïnis pour Owni, et d’interviewer deux cyber-dissidents bahreïnis, Ahlam Oun & Reda Al-Fardan (voir "Bahreïn, Twitter et Chevrotine"). Leurs témoignages sont poignants :

(...)

http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2...

Voir aussi :
Pacman Chases French Arms Companies in Bahrain sur Bahrain Watch,
Sur les armements du maintien de l’ordre, brochure constituée en marge de l’occupation de Notre Dame des landes, et qui revient sur les armes "non létales" utilisées par les forces de l’ordre françaises,

jean.marc.manach (sur Facebook & Google+) @manhack (sur Twitter)

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