Il est des périodes qu’il est bon de rappeler, lorsqu’il était minuit dans le siècle. C’est ce que fait à juste titre le magazine C.Q.F.D. dans son dernier numéro, en reproduisant ce passage des "Tristes Tropiques" de Claude Lévi -Strauss", sous la France nazifiée des années 40 :
"Finalement j’obtins mon billet de passage sur le Capitaine Paul-Lemerle, mais je ne commençai à comprendre que le jour de l’embarquement, en franchissant les haies de gardes mobiles, casqués et mitraillettes au poing, qui encadraient le quai et coupaient les passagers de tout contact avec les parents ou amis venus les accompagner, abrégeant les adieux par des bourrades et des injures : il s’agissait bien d’aventure solitaire, c’était bien un départ de forçats [...].
La racaille, comme disaient les gendarmes, comprenait entre autres André Breton et Victor Serge".
Ce dernier, "exilé politique de naissance" (selon sa propre qualification), anarchiste devenu compagnon de Lénine, témoigne quant à lui (Mémoires d’un révolutionnaire) :
"Nous voici, mon fils et moi, sur un cargo bizzarement aménagé comme une sorte de camp de concentration flottant, le Capitaine Paul-Lemerle".
Puis à l’arrivée à la Martinique :
"Nous trouvons là un camp de concentration de plus, torride, sans eau potable, gardé par de grands enfants noirs, administré par des gendarmes qui sont des filous. Quelques uns, des fonctionnaires de Vichy, sont nazifiés à fond...".
La "racaille" actuelle est concentrée dans des cités qui ont fait la fortune des rois du béton...
Citons à nouveau Victor Serge (même source) :
"Aucune prédestination ne fait de nous du gibier de camp de concentrati on, -et les tortionnaires des pénitenciers, nous savons comment on les colle au mur !".
Tous nos voeux à la racaille. Libérez la racaille, et par delà une éventuelle amnistie, souhaitons qu’elle trouve en elle-même les moyens et les formes d’organisation nécessaire à sa résistance et à son émancipation.
Gérard Jugant