Un jeune prof qui n’avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.
Voici comment il conta l’aventure à sa mère :
"J’entrais tout juste dans le métier
Et je m’apprêtais à enseigner
Sans me soucier de la carrière,
Lorsque deux personnages m’ont arrêté les yeux :
L’un doux, bénin, et gracieux,
Et l’autre turbulent et plein d’inquiétude ;
Il a des arguments rudes,
Dit que l’éducation est marchandisé,
Et le service public décapité,
Que les lobbys patronaux écrivent
Désormais les politiques éducatives."
Or, c’était d’un syndiqué sud dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau,
Comme d’un marginal aux manières psychotiques.
"Il parlait, dit-il, d’un danger imminent,
Faisant tel bruit et tel vent,
Que moi, qui, grâce aux médias, d’esprit me pique,
En ai pris la fuite, plein d’horreur,
Le maudissant de très bon coeur.
Sans lui j’aurais fait connaissance
Avec ce ministre de l’éducation si doux :
Il est éduqué comme nous,
Distingué, longs cheveux, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l’oeil luisant.
Je le crois fort sympathisant
Avec la gent des profs ; car il a des discours
Qui disent ne vouloir que notre secours.
Je l’allais aborder, quand d’un fort signal
L’autre m’a fait prendre la fuite.
Mon fils, dit la mère, ce doucet est un libéral,
Qui, sous son argumentation hypocrite,
Contre toutes les sociales avancées
D’un malin vouloir est porté.
L’autre révolté, tout au contraire,
Bien éloigné de nous mal faire,
Servira peut-être à nous sauver du trépas.
Quant au libéral, il vise notre destruction
Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur leur communication."
(d’après "Le Cochet, le Chat et le Souriceau" ; La Fontaine, à peine détournée par Lionel Goutelle)