Une tribune pour les luttes

Ministère des affaires sociales et de la santé

Travaux des ateliers sur la lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale

Un enfant sur cinq en France est en situation de pauvreté

Article mis en ligne le samedi 22 décembre 2012

Groupe de travail "Familles vulnérables, enfance et réussite éducative"

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1) L’état des lieux : un enfant sur cinq est en situation de pauvreté

1.1.Des clignotants au rouge

Les enfants sont la catégorie la plus touchée par la crise

Les enfants de France paient un lourd tribut à la crise qui frappe les pays développés depuis
2008. Entre 2008 et 2010, la pauvreté des enfants, définie comme la proportion d’enfants sous
le seuil de pauvreté de 60 % du revenu médian1, a fait un bon de presque deux points, ce qui
représente près de 350 000 enfants pauvres de plus. Elle touche désormais 2 665 000 enfants,
soit un enfant sur cinq (19,6 %)2. La pauvreté a fortement augmenté dans toutes les classes
d’âge, mais elle a plus touché les enfants que les autres. Selon l’Insee, la progression de la
pauvreté des enfants explique les deux tiers de la progression de la pauvreté pour l’ensemble
de la population. Aujourd’hui, un pauvre sur trois en France est un enfant.

Le niveau de pauvreté des enfants est le plus élevé jamais atteint depuis 1996 (cf.
graphique ci-dessous). Il a baissé entre 1996 et 2002, stagné entre 2002 et 2008, avant
d’augmenter de manière très rapide depuis cette date. En outre, l’intensité de la pauvreté,
c’est-à-dire l’écart entre le niveau de vie des personnes pauvres et le seuil de pauvreté, a
progressé : il est passé de 18 % en 2007 à 19,5 % en 2010. Non seulement il y a de plus en
plus d’enfants pauvres, mais ils sont de plus en plus loin du seuil de pauvreté.

Les dernières données disponibles datent de 2010, mais tout laisse malheureusement penser
que la hausse s’est poursuivie en 2011 et en 2012. _ En effet, le chômage, principale cause de
l’augmentation de la pauvreté, a continué à progresser, à un rythme accéléré depuis 2012. De
plus, des mesures restrictives concernant les prestations familiales ont été adoptées depuis
2011 : revalorisation inférieure de près d’un point à l’inflation en 2012 et décalage de trois
mois de la revalorisation en 2012, maintenu en 2013, même si elles sont compensées pour les
familles modestes par la revalorisation de l’allocation de rentrée scolaire de 25 %. Somme
toute, on peut craindre que si la tendance des années 2009 et 2010 s’est prolongée, le nombre
d’enfants pauvres en France ne soit aujourd’hui plus proche de 3 millions.

(...)

Certains indicateurs de conditions de vie montrent un décrochage préoccupant de la France
La France ne peut pas se rassurer en disant qu’elle protège moins mal les enfants de la
pauvreté que les autres pays. Pour la pauvreté monétaire, elle se classe à un rang moyen, le
14e sur 35 pays riches dans le classement récemment publié par l’Unicef, au même niveau
que l’Allemagne. Mais c’est surtout pour la pauvreté mesurée par les conditions de vie que la
situation apparaît préoccupante. L’Unicef a analysé les réponses à 14 questions (l’enfant a-t-il
trois repas par jour, quelques vêtements neufs, des jouets d’intérieur, des livres appropriés à
son âge, etc) et a considéré comme étant «  en situation de privation » les enfants pour
lesquels la réponse à au moins deux questions était négative. Selon cette définition, la France
se classe 18e sur 29 pays européens, avec un taux d’enfants en situation de privation de 10,1 %.

L’écart avec les pays les plus avancés apparaît très important. Dans les pays scandinaves ou
aux Pays-Bas, le taux d’enfants en situation de privation est inférieur à 3 %, ce qui signifie
que ces pays parviennent à assurer des conditions de vie décentes à presque tous les enfants.
Mais la France se classe également derrière des pays que nous ne sommes pas accoutumés à
considérer comme plus performants que nous dans la lutte contre la pauvreté : selon l’Unicef,
le taux de privation des enfants au Royaume-Uni (5,5 %) ou en Espagne (8,1 %) est inférieur
au niveau français.
L’analyse de la mortalité infantile (la proportion d’enfants qui décèdent entre 0 et 1 an)
apparaît particulièrement révélatrice de la dégradation relative de la situation française. La
mortalité infantile stagne depuis 2005 et a même légèrement augmenté entre 2008 et 2009,
pendant qu’elle continuait à diminuer dans la plupart des autres pays européens. La France est
ainsi passée du septième rang européen en 1999 au vingtième sur trente pays en 20098.

encore, si c’est avec les pays scandinaves que l’écart est le plus frappant (1200 enfants
seraient sauvés chaque année si le taux de mortalité infantile français était celui de la Suède),
la France affiche également de moins bons résultats que des pays comme la Grèce, l’Espagne,
l’Irlande, la République tchèque ou l’Italie. Bien sûr, les écarts avec ces pays demeurent
faibles et sans commune mesure avec ceux existant avec des pays moins développés.
Toutefois, la mortalité infantile est considérée de manière constante par les organisations
internationales comme un indicateur pertinent du niveau de développement d’un pays et le
recul français doit inquiéter.
Cette dégradation s’explique en grande partie par les inégalités fortes et croissantes existant
dès la naissance entre les catégories sociales, qui ont été récemment pointées par la Cour des
comptes. Ainsi, l’écart entre le taux de prématurité des enfants selon leur catégorie sociale,
qui n’était que de 2,5 % en 2003 (3,9 % pour la catégorie la plus favorisée et 6,4 % pour la
plus défavorisée), est aujourd’hui de 6,7 % (3,7 % contre 10,4 %). Les inégalités sociales de
santé se retrouvent ensuite à un niveau élevé à des âges très jeunes pour toute une série
d’indicateurs : ainsi, le taux d’obésité en CM2 est dix fois plus élevé pour les enfants
d’ouvriers que pour les enfants de cadre et le taux d’enfants ayant deux dents cariées non
soignées est cinq fois plus élevé.
Le lien entre la médiocrité de la situation française dans son ensemble et l’ampleur des
difficultés d’une large part de la population se retrouve en matière d’éducation. Les enquêtes
Pisa, qui comparent les résultats des élèves des pays de l’Ocde, montrent à la fois un niveau
moyens des élèves en baisse (concernant le premier degré, la France est passée du 18e rang
sur 36 pays en 2000 au 27e rang sur 44 pays en 2006) et une part très importante d’élèves en
grande difficulté (32 % des écoliers contre 25 % en moyenne en Europe)

2.La pauvreté des enfants d’aujourd’hui est l’exclusion de demain, elle
affaiblit la France

L’ampleur de la pauvreté des enfants n’est pas que le problème des plus pauvres, elle ne
relève pas uniquement d’une préoccupation de justice sociale : elle affaiblit notre pays dans
son ensemble.

Elle l’affaiblit dès aujourd’hui en minant sa cohésion sociale. Elle pèse sur le climat de
l’école, qui ne peut rester à l’abri des difficultés d’une part croissante des élèves qu’elle
accueille. Elle altère la perception qu’ont les Français de leur jeunesse. Alors que d’autres
pays peuvent avoir une certaine tolérance à l’inégalité, l’ampleur de la pauvreté des enfants
est incompatible avec l’idée que les Français se font de leur propre pays, celle d’une société
qui protège le plus grand nombre, où les écarts ne sont pas trop importants. La pauvreté fait
peur à nos concitoyens : 86 % des Français pensent que n’importe qui peut tomber dans la
pauvreté, un score plus élevé qu’aucun autre pays européen. Elle alimente leur pessimisme
sur la situation du pays.

Mais la pauvreté affaiblit sans doute plus encore la France de demain. Un enfant qui débute sa
vie dans des conditions de pauvreté a de très grands risques d’être en échec scolaire puis
d’être à l’écart du marché du travail. La pauvreté affecte la réussite des enfants à travers de
multiples canaux :
- Le fait de vivre dans un logement surpeuplé ou insalubre, et plus encore l’absence de
logement, entraîne de grandes difficultés de travail, il empêche l’enfant de se concentrer sur
ses apprentissages scolaires.
- Les difficultés des familles pauvres, telles que le manque de ressources, les horaires de
travail morcelés, la pression du quotidien, rendent difficiles pour les enfants l’accès aux
loisirs, à la culture, à l’ouverture sur le monde. De ce fait, des retards scolaires sont constatés
très tôt, avec des inégalités d’acquisition du langage dès l’entrée à l’école maternelle.
- Mal traités, les problèmes de santé du jeune enfant peuvent conduire à un handicap durable.
Des affections dentaires non soignées peuvent être dans la vie d’adulte un facteur de
discrimination sociale et professionnelle. Des troubles de la vue non dépistés ou pris en
charge sont une cause de difficulté scolaire.

La France fait face aujourd’hui à de multiples difficultés économiques et budgétaires. Notre
pays commettrait cependant une erreur s’il considérait qu’il doit d’abord traiter ses difficultés
économiques avant de pouvoir s’attaquer à la pauvreté. En effet, les enfants pauvres
d’aujourd’hui seront, pour une large part, si rien n’est fait, les exclus de demain. La France ne
peut tout simplement pas se permettre de laisser perdre une si grande part de son capital
humain, sans handicaper gravement sa compétitivité. Le redressement social doit être
concomitant au redressement économique et productif, car il en est une composante.

(...)


Vous pouvez lire les sept rapports :
http://www.social-sante.gouv.fr/esp...

Et leur présentation par Angélique Schaller dans la Marseillaise
http://www.lamarseillaise.fr/le-fai...

(...)

Des syndicats de salariés, des associations de consommateurs, des structures caritatives, des réseaux et même quelques entreprises. Tous les acteurs qui quotidiennement travaillent à lutter contre la pauvreté ont joué le jeu de la concertation, procédant à des expertises et des propositions.

Protection sociale : indispensable mais inefficace

«  L’apport de la protection sociale contre la pauvreté est très important ». Tel est le constat de base de l’atelier sur l’accès au droit. Via le travail au niveau de l’imposition ou celui des prestation, les familles voient leur pauvreté reculer : de 26 points grâce aux prestations, de 8 points via la politique fiscale. Pas question de dire que cela ne sert à rien donc. Ni d’affirmer que c’est suffisant. Bien au contraire. Puisque le constat suivant est de dire que cela ne permet pas aux familles d’éviter la pauvreté.

Autre point central : le nombre de personnes qui n’utilisent pas les prestations auxquelles elles ont droit est faramineux. Le RSA concentre les plus gros « ratés » : jusqu’à 68% des personnes concernées se privent ainsi de 104 euros mensuels supplémentaires dans le cadre du RSA activité et 34% des 408 euros mensuels d’un RSA socle. Pas assez d’information, trop de contraintes : les raisons sont connues. Le RSA a été conçu comme une véritable usine à gaz.

Enfance : priorité à l’accueil en bas âge

Un autre constat d’inefficacité des politiques publiques est aussi réalisé dans le domaine de l’enfance. Ici, les données de base sont édifiantes. Un enfant sur cinq vit dans la pauvreté. Avec tout ce que cela suppose d’hypothèque sur l’avenir – plus de risque d’échec scolaire – et d’effet sur la santé – le taux de mortalité infantile est reparti à la hausse.

Si les participants formulent de nombreuses recommandations sur la parentalité, l’adolescence, la prévention, la santé… Une option sort du lot : il faut mettre le paquet sur l’accueil de la petite enfance. Que ce soit à l’école dès 3 ans et dans des bonnes conditions, ou dans le cadre de crèche. C’est le meilleur outil pour donner un environnement favorable au développement de l’enfant et permettre aux adultes qui s’en occupent de trouver un emploi. Construire, donc, est la recommandation centrale, et réserver des places – 20% - aux enfants pauvres.

Autre pavé dans la mare : une remise en cause de la redistribution pratiquée dans le cadre de la politique familiale. Quotients familial et conjugal sont remis en cause. Objectif : être efficace et aider ceux qui en ont besoin.


Santé : la base a été cassée

Mais l’atelier est formel : l’action doit passer d’abord par une remise à niveau des dispositifs amoindris durant la dernière décennie. Protection maternelle infantile, santé scolaire, centres de santé, permanence… Tout ce qui assurait la première ligne de soin a été sabordé. Résultat : 16,5% de personnes ont renoncé à des soins en 2008.

Le reste à charge, la cherté des complémentaires, l’effet de seuil de la CMU et de sa complémentaire : tout ceci est évidemment aussi sur la sellette. Bref : marche arrière toute !


Emploi : arrêter de charger la mule associative

«  Notre pays a fait reposer la lutte contre la pauvreté et le chômage sur des politiques et des acteurs spécialisés qui ont été débordés par les évolutions du marché du travail tandis que la société dans son ensemble était peu mobilisée ». Autrement dit , l’accès à l’emploi, c’est l’affaire de tous et si choc de compétitivité il doit y avoir, il doit s’accompagner d’un choc de solidarité.

Concrètement ? Pénaliser les employeurs qui ne jouent pas le jeu, faire en sorte que les contrats aidés profitent à des personnes qui, autrement, n’arrivent pas à atteindre le marché de l’emploi, mieux indemniser le chômage des travailleurs précaires…


Surendettement : s’y coller, vraiment

207 700 dossiers de surendettement déposés chaque année. Sur le sujet beaucoup a été dit, peu a été fait. Mettre en place des dispositifs qui interdisent vraiment aux banques ou aux sociétés de crédit à la consommation de prêter à des personnes qui ne sont pas en capacité de rembourser suppose d’avoir le courage d’agiter un bâton, celui de ne pas pouvoir recouvrir un prêt mal accordé.

Pour les petits salaires, le pourcentage des dépenses contraintes est passé de 52% à 74% en quelques années. Il ne reste donc rien ou si peu. S’il faut empêcher les familles de creuser leur tombe financière, les intervenants soulignent aussi la nécessité de faire de la prévention.

Logement

3,6 millions de personnes mal logées, 150 000 SDF… Comment ignorer un sujet qui est largement traité par ailleurs ? Peu de surprises donc dans les propositions : construire des logements sociaux, lutter contre la vacance, encadrer les loyers, résorber l’habitat indigne. Mais aussi tout ce qui relève de la prévention : empêcher les expulsions, arrêter avec les principes de plans hivernaux mais travailler à l’année, et mettre les enveloppes du Fonds solidarité logement à hauteur des besoins.

Confiance plutôt que concurrence

Le dernier atelier traite de « gouvernance ». On échappe pas aux mots à la mode mais le contenu consiste à souligner qu’il faut permettre aux personnes concernées (pauvres, chômeurs…) de participer au débat sur les politiques qui les concernent. La « confiance » est appelée des vœux des intervenants pour remplacer la concurrence trop souvent de mise ces dernières années.

Angélique Schaller

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