Une tribune pour les luttes

Article 11

Le nouvel ordre local

"La domination policière. Une violence industrielle" de Mathieu Rigouste
et « Rengainez, on arrive ! » de Mogniss H. Abdallah

Article mis en ligne le mercredi 23 janvier 2013

http://www.article11.info/?Le-nouvel-ordre-local#pagination_page

"La domination policière" est disponible à la Médiathèque de Mille Bâbords, http://www.millebabords.org/spip.php?article22335

lundi 21 janvier 2013

posté par Jean-Pierre Garnier

«  La domination policière. Une violence industrielle » (Mathieu Rigouste) et «  Rengainez, on arrive ! » (Mogniss H. Abdallah) traitent tous deux du renforcement constant des dispositifs de contrôle social et du sort de ceux qui en payent le prix fort. Deux ouvrages essentiels, qui dépeignent sans pincettes l’ordre militaro-policier gangrénant les quartiers populaires. Compte-rendu.

Au lendemain de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement des régimes indûment baptisés communistes, le directoire informel mais efficient des gouvernements qui garantissent les intérêts d’un capitalisme désormais transnational, idéologiquement et médiatiquement baptisé « communauté internationale », s’est empressé d’annoncer l’avènement d’un « nouvel ordre mondial ». On a peu parlé, en revanche, bien que ce qu’il recouvre ait déjà donné lieu à une littérature pléthorique, savante ou profane, notamment en France, du nouvel ordre local que les autorités s’évertuent à instaurer pour enrayer « sur le terrain » les désordres sociaux engendrés par cet ordre lointain. À commencer par les soi-disant «  violences urbaines » commises par une jeunesse que la « flexibilisation » de l’économie voue à la précarisation, à la paupérisation et à la marginalisation.

À défaut de mettre fin à la « misère du monde », il ne reste plus aux pouvoirs en place qu’à tenir en respect les nouveaux misérables qui ne s’en accommodent pas, grâce au renforcement constant des dispositifs de contrôle social. Lequel combine, comme chacun sait, la prévention, version « soft » de la pacification du champ de bataille urbain, et la répression, sa version « hard », encore que la dissuasion, mixte intermédiaire de l’une et de l’autre, tende à effacer la frontière censée les séparer.

C’est au second volet du maintien de l’ordre, donc à l’usage soit disant légitime de la violence étatique pour le garantir, que sont consacrés deux ouvrages1 qui offrent la particularité, et aussi l’intérêt, d’être rédigés, non par des chercheurs spécialisés dans le décryptage en surplomb des relations conflictuelles entre l’État et les «  cités », mais par des acteurs engagés qui y sont impliqués «  du mauvais côté ». Le premier, le sociologue Mathieu Rigouste, qui se revendique comme « enquêteur », plutôt que chercheur, en même temps que militant, s’est donné pour tâche d’approfondir et d’élargir une réflexion entamée dans un ouvrage précédent, issu d’une thèse2 sur les politiques mises œuvre pour venir à bout du « nouvel ennemi intérieur » défini à partir de critères socio-ethniques en lui appliquant un traitement, non pas « social », mais carrément policier. Le second auteur, Mogniss H. Abdallah, journaliste et réalisateur, militant lui aussi, braque le projecteur sur les « crimes racistes ou sécuritaires » qui résultent de ces politiques, et sur les luttes menées par les proches des victimes et les militants issus des « cités » contre l’impunité dont bénéficient ces crimes, sans esquiver pour autant les contradictions et les limites qui les ont marquées.

Il ne manquera sans doute pas de bons esprits pour qualifier de partiale la vision du monde urbain contemporain qui se dégage de ces deux livres. En oubliant ou en feignant d’oublier que l’impartialité qu’ils revendiquent ou réclament n’est que la manière la plus classique, et la plus dérisoire aussi, de nier que toute appréhension d’une réalité sociale, fût-elle placée sous le signe auguste de la scientificité, renvoie à un parti déjà pris. « Personne n’écrit de nulle part », rappelle Mathieu Rigouste au début de son ouvrage : « Une enquête est déterminée par la position de l’enquêteur dans la société, par la perspective depuis laquelle il regarde et s’exprime. Lorsqu’il se présente comme ’’neutre’’ ou ’’extérieur’’ au monde qu’il étudie, il masque cette situation, les privilèges qu’il retire de l’ordre existant, les connivences qu’il peut entretenir avec lui et l’intérêt qu’il peut avoir à ne pas vouloir le changer. »
Autant dire que ces deux ouvrages battent en brèche, comme le signale M. H. Abdallah, «  l’idée d’une supériorité de l’expertise savante qui d’ordinaire a plus facilement droit de cité » — du moins dans la «  cité scientifique » à défaut des «  cités sensibles » —, que les récits et les commentaires des gens directement concernés, « quand bien même cette expertise réinterprète la parole de ces derniers à l’aune des catégorisations institutionnelles ».

La domination policière. Une violence industrielle » Mathieu Rigouste

La vérité des faits relatés par Mathieu Rigouste, tirés d’une ample documentation incluant des discours et récits policiers (presse professionnelles, autogiographies, entretiens, blogs), et la rigueur de l’argumentation théorique qu’il déploie pour en dégager la signification politique ne laissent planer aucun doute : la « politique de la ville » dont tant de chercheurs vassalisés se sont employé à masquer la finalité réelle et la logique de classe montre aujourd’hui son vrai visage. C’est bien d’une police de la ville qu’il s’agit. À ceux qui en douteraient encore, l’ouvrage de M. Rigouste fournit de quoi dissiper tout scepticisme : quadrillage et bouclage de quartiers entiers, rafles indiscriminées mais discriminatoires de supposés fauteurs de troubles au pied des immeubles, perquisitions brutales dans les appartements, instauration de couvre-feu, application des techniques de commando pour « sécuriser » telle ou telle zone, utilisation d’hélicoptères et de drones, création de « forces spéciales » sur le modèle contre-insurrectionnel, restructuration de la police politique (avec l’avénement de la DCRI, Direction centrale du renseignement intérieur) pour « surveiller, traquer, soumettre les politisations autonomes et les formes de résistance, d’autodéfense et de contre-attaque »

Pour marquer la spécificité et dévoiler la rationalité des innovations dans le domaine du maintien de l’ordre, Mathieu Rigouste propose des concepts nouveaux qui permettent de mieux saisir la nature de cette forme particulière de domination qui a émergé en France et, plus largement, dans les métropoles impérialistes au cours de la fin du XXe siècle. Ainsi celui de « socio-apartheid » défini comme « un système de “mise à l’écart” et de séparation socio-raciste, non pas supporté par une structure juridico-administrative explicitement raciste et des périmètres immobiles », selon le modèle sud-africain de jadis ou israélien en Palestine, « mais par un ensemble de discriminations sociales, politiques et économiques ainsi que par des frontières symboliques et fluctuantes mise en œuvre par l’action combinée de la police et de la justice, des médias et des institutions publiques ». Un autre concept, celui d’ « enclave endocoloniale » correspond à ce que les bureaucraties policières et aménageuses, relayées par des chercheurs inféodés, ont baptisé « zones urbaines sensibles », soit un espace où sont cantonnés et contenus ceux que Mathieu Rigouste appelle les « damnés de l’intérieur », en référence au livre de Franz Fanon, encore que L’Internationale pourrait être également convoquée, les « damnés de la terre » se confondant presque, dans un monde en voie d’urbanisation totale, avec les « damnés de la ville ». Dérivé du concept «  post-colonial » qui renvoie aux «  héritages », « reproductions », « transformations » et « innovations du pouvoir colonial dans le temps », c’est-à-dire après la décolonisation, l’« endocolonial » concerne quant à lui l’espace. Ce concept « interroge les importations, les correspondances, les restructurations, les traductions et les hybridations du pouvoir colonial » dans la gestion territorialisée, non seulement des « populations issues de l’immigration », mais aussi, de plus en plus, des « couches inférieures du prolétariat dans son ensemble ». D’où un croisement entre les répertoires de la « pacification » colonialiste et les « répertoires historiques de la domination des misérables, des indésirables et des insoumis ».

Le couplage de la « reconquête » de ces zones souvent dénommées « de non droit » avec leur « requalification urbaine » ultérieure confirme, aux yeux de Mathieu Rigouste, la permanence du lien entre urbanisme, maintien de l’ordre et ségrégation. « Engager la destruction et/ou la restructuration d’une cité lorsque celle-ci a été médiatisée comme “émeutière” permet de repousser les plus pauvres en général et les damnés intérieurs en particulier dans des périphéries plus lointaines, de générer des marchés de la “rénovation urbaine” et l’embourgeoisement des territoires conquis. » Tandis que «  l’objectif affiché de “mixité sociale” fournit l’appareillage idéologique pour sélectionner et répartir les populations sur des critère socio-ethniques favorisant, en particulier, l’installation de classes privilégiées blanches et/ou néo petites-bourgeoises », on s’efforce sous couvert de « grands projets urbain », de « créer de nouveaux espaces répondant aux exigences de l’organisation des métropoles mondiales » et de laisser en même temps le champ libre à la spéculation immobilière.

La dimension mercantile de l’extension et du perfectionnement des dispositifs militaro-policiers n’a pas échappé non plus à l’auteur. Il consacre un chapitre entier au «  marché de la coercition », soit à la «  logique économique sous-jacente dans la transformation des pratiques policières » qui combinent l’emploi d’un arsenal sans cesse perfectionné, soit-disant «  sub-létal », et ce fameux «  savoir-faire » en matière de « contrôle des foules » vanté par une ministre de l’Intérieur à un dictateur maghrébin confronté à la colère populaire. À l’instar de ses homologues des autres pays, le « capitalisme sécuritaire » à la française « se déploie en particulier là où des États impérialistes ont circonscrit, à l’intérieur de leurs territoires, des lieux et des milieux où ils peuvent déployer, tester promouvoir ces marchandises ». Autant de bancs d’essai et de vitrines pour vendre à travers le monde des matériels et des techniques sur le marché en plein essor de la sécurité nationale. Un marché qui inclue bien entendu une industrie complémentaire en termes de répression et de profits, l’industrie carcérale. Les différentes réformes du code pénal qui se sont succédées depuis la disparition de la guillotine en 1981 ont eu pour but et pour effet, signale Mathieu Rigouste, de multiplier les actes considérés comme délictueux, d’allonger les peines, de supprimer leurs aménagements, « établissant des peines à vie, véritables substituts à la peine de mort ». Résultat : les prison sont bondées, ce qui justifie l’appel au secteur privé pour leur construction et leur gestion, où l’on retrouve comme par hasard, entre autres, les mêmes acteurs du BTP que dans les opérations de «  rénovation urbaine » : Bouygues, Vinci, Eiffage…

Mathieu Rigouste synthétise son propos en soulignant l’intersection et l’interaction de trois « processus historiques » à l’œuvre dans la restructuration en cours de la domination policière : le renforcement du socio-apartheid pour accompagner l’extension de la ville néo-libérale et sécuritaire ; la transposition de formes de la tension policière contre tout ce qui menace l’ordre politique, social et économique ; la collaboration des industries de la coercition, de la rénovation et de la gestion carcérale et pénitentiaire. La « férocité policière » n’est donc pas à interpréter de manière psychologisante comme « des accès de fureur spontanée », ni de façon rassurante comme « la dérive résiduelle de minorités radicalisées », bref, de «  brebis galeuses » qui constitueraient des exceptions à la règle dans une profession au-dessus de tout soupçon. «  C’est le produit d’un système de techniques expérimentées, légitimées et soutenues par des protocoles rationalisés. » De fait, «  la police des cités fonctionne comme une application technique de la férocité des classes dominantes sur le corps des pauvres ». On ne s’étonnera pas, dès lors, qu’encouragée d’« en haut », elle fasse parfois des émules parmi les gens d’«  en bas ».

" Rengainez, on arrive !
Chronique des luttes contre les crimes racistes ou sécuri taires ou policières, la hagra policière et judicaire, des années 1970 à aujourd’hui "
Mogniss H. Abdallah

C’est précisément à la violence policière et/ou raciste prenant pour cible les jeunes issus de immigration africaine accusés de semer la perturbation dans les zones de relégation où leurs familles sont parquées que traite Mogniss H. Abdallah. Pour ce faire, il a puisé la plupart de ses informations et commentaires dans les archives politiques ou culturelles des protagonistes des luttes menées depuis les années 1970 contre la répression (journaux de la presse alternative, émissions de radios libres, sites internet, films, affiches, tracts, chansons…). Ce qui ressort de cet ouvrage, tout d’abord, c’est que les crimes racistes ou/et sécuritaires ne peuvent plus être assimilés à une accumulation de « bavures » quand ils sont le fait de policiers, ou de « faits divers » quand ils sont commis par des « tonton flingueurs » non assermentés (vigiles, gardiens d’immeubles, commerçants, « simples citoyens »…). Ils participent d’un climat idéologique où une discrimination institutionnelle non assumée comme telle s’alimente d’une mentalité « postcoloniale » dont le corps social en France reste assez fortement imprégné, le tout largement encouragé par l’emprise de l’idéologue sécuritaire et par l’ambiance délétère créée par la «  guerre au terrorisme ». Un second phénomène, complémentaire du premier, que le livre met en évidence, est le contraste entre l’indulgence, voire l’impunité quand les «  forces de l’ordre » sont impliquées, dont bénéficient en général les auteurs de ces crimes, et la sévérité des peines infligées aux jeunes gens coupables d’infractions mineures ou même de simples « outrages et rébellion » lorsqu’ils se rebiffent contre les provocations et le harcèlement policiers. Ce qui a pour effet d’entretenir parmi les nouvelles générations, mais aussi parmi leurs parents, une profonde et permanente impression d’injustice sans laquelle les « émeutes » qui défraient la chronique des «  banlieues » françaises depuis plusieurs décennies resteraient largement inexplicables. On découvre ainsi dans ce livre un vocable, la hagra, rarement mentionné dans la littérature sociologique consacrée aux « quartiers difficiles », de même que le sentiment qu’il définit chez leurs jeunes habitants. Soit un ressenti « de mépris, d’humiliation, d’abus de pouvoir et d’injustice » dû aux discriminations sociales et racistes, à l’origine de l’«  agressivité » de nombre d’entre eux à l’égard des figures de l’ordre, notamment des policiers, mais parfois aussi « point de départ d’une prise de conscience individuelle ou collective spécifique », voire « de mobilisations plus ou moins durables » contribuant même à politiser la révolte.

L’auteur, en effet, ne se limite pas à la dénonciation. La perspective où il se place est de « creuser des pistes pour constituer des rapports de forces plus favorables dans les combats à venir ». Lesquels ne peuvent se concentrer exclusivement sur la relation à la police et à la justice. La solidarité manifestée envers les familles des victimes par les amis et les voisins n’est d’ailleurs pas toujours que défensive. Les mobilisations auxquelles elle donne lieu renforcent un sentiment d’appartenance qui s’ancre durablement dans la vie des quartiers et peut constituer le terreau pour d’autres revendications portant sur les conditions de vie souvent désastreuses des résidents, en particulier le logement. Les résistances et les ripostes que suscite la répression peuvent, et même doivent selon l’auteur, s’inscrire dans un mouvement plus large prenant pour champ d’action la défense de l’ensemble des habitants des quartiers populaires en mettant l’accent sur la stigmatisation dont ils font l’objet. Avec toutes les ambiguïtés idéologues, organisationnelles et stratégiques qui découlent de cet élargissement, en particulier quand il s’agit pour les collectifs issus des cités de nouer des alliances fiables avec d’autres forces sociales, politiques, syndicales ou associatives. D’où le caractère souvent autocritique du bilan dressé dans cette chronique des luttes.

Loin de tout triomphalisme, Mogniss H. Abdallah n’hésite pas à pointer «  les apparitions médiatiques spectaculaires mais éphémères, le “travail d’agitation politique sans suite”, les analyses générales surdéterminées par une dénonciation incantatoire sans s’attarder aux réalités complexes et aux singularités de chaque situation ». À commencer par l’antiracisme consensuel des « années black blanc-beur », téléguidé par quelques professionnels de la manipulation membres ou proches du Parti Socialiste à des fins électorales et de diversion. Dans la période qui suivit, au tournant des années 1990 alors qu’un nouveau cycle d’émeutes se déclenchait, nombre de militants décrochaient pour «  s’évaporer dans de nouvelles activités professionnelles ou s’institutionnaliser, passant au politique ou au travail social dans des cadres institués ». Avec le risque de récupération et de neutralisation de la révolte : les municipalités se mirent alors à embaucher les «  agitateurs » ou les «  meneurs » les plus en vue, qualifiés de « leaders naturels », comme animateurs, moniteurs et autres médiateurs pour calmer le jeu dans les cités, sans qu’aucun problème de fond ne soit résolu. À partir de cas précis, l’auteur met également en évidence un autre risque, le substitutisme : les responsables des collectifs d’aide aux familles des victimes tendent souvent à parler devant les avocats, les magistrats, les élus locaux ou les journalistes, au nom et à la place des parents endeuillées par meurtre de leurs enfants, alors que l’expérience prouve souvent que beaucoup, notamment les mères, sont parfaitement capables de prendre en mains l’expression de leurs doléances face aux autorités.

Paradoxalement, en apparence, les révoltes de novembre 2005 et l’instauration de l’état d’urgence pour les mater n’ont pas entraîné une radicalisation des luttes contre la répression. Au contraire, note Mogniss H. Abdallah, les médiateurs de quartier et des associations « citoyennes » ont pris la relève des militants et des comités de lutte pour appeler à l’apaisement et au dialogue, discours pacificateur répercuté par les travailleurs sociaux et les élus locaux. Ce qui n’a pas empêché la liste des victimes de continuer à s’allonger. Certes, les affrontements avec les forces de l’ordre, de plus en plus suréquipées voire militarisées, ne se soldent pas toujours par des morts, mais ils occasionnent un nombre croissant de blessés voire de mutilés, notamment par tirs de flash balls ou lancers de grenades de désencerclement. Quant aux contrôles d’identités, qui se sont multipliés, ils peuvent s’avérer mortels du fait des techniques d’interpellation «  musclées » qui tendent à se répandre pour neutraliser les récalcitrants (clefs d’étranglements, « pliages »). À cet égard, le néologisme d’« enférocement » proposé par Mathieu Rigouste à propos du durcissement de la répression peut paraître inélégant, mais il l’est beaucoup moins que les méthodes de plus en plus brutales mise en œuvre lors des interventions policières pour en finir avec les révoltes.

On se s’étonnera pas, dès lors, que les deux ouvrages se terminent sur une note à la fois pessimiste et combative. Lucide, Mogniss H. Abdallah, ne peut que prendre acte de l’« isolement » et du «  morcellement des mobilisations actuelles », tiraillées de surcroît entre une « critique radicale — ou prétendue telle — des institutions police/justice » et un « pragmatisme éclectique aux repères brouillés ». Faisant écho aux populations des quartiers populaires aspirant à « sortir de la logique de guerre intérieure », il finit par se demander si, « à force de combats inachevés et de désillusions », ces aspirations sont bien «  réalistes ». D’autant qu’il n’ignore pas qu’une partie des habitants « issus de l’immigration », qui «  vivent l’insécurité sociale au quotidien », ne reste pas sourde aux sirènes sécuritaires, au point pour certains de demander l’intervention de l’armée pour ramener l’ordre dans les « quartiers », ou, pour leurs rejetons, de rejoindre la cohorte des vigiles, un métier en pleine expansion, voire d’intégrer les rangs de la police. Mais Mogniss H. Abdallah n’a pas pour autant désarmé. Son livre n’a t-il pas été rédigé avec l’intention d’«  aller “au-delà des pleurs” pour passer à la contre-offensive » ?

Mathieu Rigouste, quant à lui, va plus loin, comme on l’a vu. Plus radicale, au sens marxien du terme, sa critique va « à la racine » du nouvel ordre local, soulignant en guise de conclusion ce que les chapitres précédents ont démontré : l’existence d’«  un rapport direct entre le développement du capitalisme, l’extension des inégalités et le taux d’élimination policière des damnés de l’intérieur ». En réalité, les «  forces de l’ordre » sont à l’image de l’ordre quelles ont pour fonction de défendre. Revenu à sa sauvagerie des début, le capitalisme, dans sa phase néo-libérale, ne recule devant aucun moyen pour assurer la reproduction des rapports de domination de classe et de race, mettant simplement à profit les avancées de la science et de la technique, y compris en matière de manipulation de l’« opinion publique », pour donner à la barbarie qui lui est inhérente une allure plus civilisée, c’est-à-dire plus sophistiquée. Rien ne sert donc, selon Mathieu Rigouste, de fustiger de caractère de plus en plus violent de la domination policière en ce début de siècle, sans « rompre avec les structures économiques, sociales et politiques qui produisent tous les rapports de domination ».

1 Il s’agit, pour le premier, de La domination policière Une violence industrielle, publié par Mathieu Rigouste aux éditions La Fabrique. Et pour le second de l’ouvrage de Mogniss H. Abdallah, Rengainez, on arrive ! Chronique des luttes contre les crimes racistes ou sécuritaires ou policières, la hagra policière et judicaire, des années 1970 à aujourd’hui, paru aux éditions Libertalia. Disponible à la Médiathèque de Mille Bâbords, http://www.millebabords.org/spip.php?article22335

2 Mathieux Rigouste, L’Ennemi intérieur, publié à La Découverte.

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