Une tribune pour les luttes

Profession de foi :

2009, annus horribilis,
ou pourquoi je fais la grève de la faim au théâtre Toursky de Marseille avec Richard Martin, son directeur fondateur

Par Jean Poncet

Article mis en ligne le mercredi 7 octobre 2009

Je n’ai pas envie de faire la grève de la faim. Richard Martin non plus. Aucune des
personnes qui soutiennent notre action – et elles se chiffrent par dizaines de milliers, en France et
à l’étranger – n’en a envie pour nous. Pourtant, face à la situation à laquelle le gouvernement
Sarkozy accule aujourd’hui la culture et ses acteurs ainsi que bien d’autres secteurs de la société
française, il semble qu’il n’existe plus d’autre voie pour se faire entendre.
Parce que je crois encore
en des lendemains qui, à défaut de chanter, seront plus justes, je ne me suiciderai pas comme
l’ont déjà fait, recrus de désespoir, vingt-quatre employés de France Télécom. Parce que je
considère que la culture est indispensable à l’homme, je ne menacerai pas de faire sauter nos
outils de travail (culturel), comme d’autres ouvriers, aveuglés d’une légitime colère, l’ont fait de
leurs usines. Simplement, comme Richard Martin, je cesserai de m’alimenter, jusqu’à ce que
justice soit rendue, afin que la culture – la culture pour tous – retrouve, dans notre pays, la place
qu’elle ne doit pas perdre.

Je suis poète. Cela ne signifie pas que je suis un romantique éthéré. Cela signifie que je
travaille avec les mots de la langue pour produire – essayer de produire – de la beauté et de la
vérité. Je suis poète : alors, qu’il me soit permis, avant d’aborder la situation du théâtre Toursky, de
mentionner brièvement quelques faits relatifs à la poésie et à sa diffusion en France cette année.

● Les Journées internationales de poésie de Rodez, créées en 1951 par notre ami Jean
Digot, ont vécu cette année leur dernière édition.

● Le festival « Voix de la Méditerranée » qui, depuis 1998, sous le patronage de
l’UNESCO, accueillait plusieurs centaines de poètes du monde entier, se voit retirer le soutien de
la municipalité (socialiste !) de Lodève : 2009 en aura donc été la dernière édition, à Lodève du
moins – la directrice du festival cherche un autre point de chute.

● La revue et les éditions La Barbacane, fondées en 1963 par Max Pons et restées
emblématiques depuis cette date, ont rejoint cette année le cimetière de la poésie, dont les
tombes se dressent de plus en plus nombreuses.

● À Marseille, les actionnaires des éditions Autre Temps ont jugé bon de faire cesser la
parution de la revue Autre SUD, dont je suis membre du Conseil de rédaction et que j’ai contribué
à créer en 1998, la même année que le festival de Lodève. Pourtant, selon leur propre aveu écrit,
cette publication, consacrée presque uniquement à la poésie, ne perdait pas d’argent. Sans doute,
le taux de profit était-il insuffisant...

D’aucuns argueront que la poésie est un art élitiste qui ne concerne qu’une infime minorité
de lecteurs et qu’en situation de crise économique et de rigueur budgétaire, on ne peut
indéfiniment soutenir une activité marginale. Le même argument nous est servi depuis des années
pour mettre à bas le service public : hier, à Ponteau (c’est chez ma mère, mais vous pouvez choisir
une autre localité, il n’en manque pas), on fermait – que dis-je ? on démolissait – la gare SNCF au
prétexte qu’un nombre insuffisant d’usagers l’utilisait, les usagers restants – souvent personnes
âgées ou insuffisamment fortunées pour posséder une voiture – peuvent toujours faire cinq
kilomètres à pied jusqu’à la gare de Martigues ; aujourd’hui, et demain encore plus lorsque la
Poste aura été privatisée, on ferme des bureaux de poste et les mêmes qui n’ont plus le choix
qu’entre marcher vers une gare de plus en plus éloignée ou rester chez eux, les mêmes devront
marcher encore plus loin pour timbrer leur lettre au percepteur ou à un être cher.

Comme les trains ou la poste, la poésie et tout autre production culturelle, doit être un
service public car tout le monde doit y avoir un droit d’accès. Un service public n’a pas à être
rentable, un service public a à exister et la part de son coût qui n’est pas couverte par ce que
paient les usagers doit être complétée par le budget de l’État, c’est-à-dire l’impôt, l’impôt payé par
tous, de manière équitable. Dans le domaine culturel, cette part dévolue à l’État a pour nom
« subvention ». C’est cela, la démocratie !

Or, voici qu’au 1er janvier de cette année, après dix-sept ans de réduction constante de
leur soutien, le Ministère de la Culture et de la Communication et sa délégation régionale, la DRAC
PACA, ont décidé, d’un simple trait de plume, sans concertation ni justification aucune, de
supprimer toute subvention au théâtre Toursky de Marseille. Il s’agit pourtant là d’un lieu historique
qui, par son implantation dans les quartiers Nord et sa politique tarifaire unique, ouvre depuis
quarante ans les portes de la culture aux populations les plus démunies, constituant en cela l’une
des clés de la cohésion sociale de notre cité, en même temps que, par sa programmation
originale, il ouvre Marseille, bientôt « Capitale européenne de la culture », aux troupes théâtrales
et aux artistes du monde entier.

Monsieur François Brouat, Directeur de la DRAC PACA, que Richard Martin, accompagné
de plusieurs représentants du Comité de soutien au théâtre Toursky, a rencontré mercredi 30
septembre, est resté sourd à toute argumentation.

● Qu’importe si les moins fortunés – élèves et étudiants, habitants de Saint-Mauron,
RMIstes – ne peuvent plus aller au théâtre comme ils ont pris l’habitude de le faire pour leur plus
riche développement intellectuel et moral ? Ils pourront toujours aller voir jouer l’OM au Stade
Vélodrome. Mais Monsieur Brouat sait-il seulement qu’il y a à Marseille plus d’abonnés aux
théâtres qu’à l’OM ?

● Qu’importe si demain voit la fin de la paix sociale dans les quartiers Nord – paix de
surface, certes, mais comme telle, indispensable à la sérénité minimale qu’exige la vie quotidienne
–, cette paix régulièrement décrite par les média nationaux et internationaux comme une exception
surprenante chaque fois que des émeutes embrasent les banlieues de Paris, Lyon ou
Strasbourg ? Les Marseillais ne sont pourtant pas gens naturellement plus pacifiques que d’autres,
mais il existe dans cette ville un plus haut degré de mixité sociale car il y existe un plus grand
nombre d’agents de cette mixité : le théâtre Toursky en est indubitablement un. Mais qu’importe ?
Pour la paix sociale, l’État ne dispose-t-il pas de CRS dont c’est la fonction que de l’imposer à
coup de matraque ?

● Qu’importe si la programmation du théâtre Toursky doit se ratatiner comme peau de
chagrin, en commençant par ce qui lui est le plus coûteux – mais constitue aussi son originalité :
l’invitation d’artistes internationaux et les échanges culturels avec les pays étrangers ? Qu’importe
si sombre au fond du Danube le « Bateau pour la paix », cher à Richard Martin et à tous ceux épris
de fraternité ? Le Port autonome de Marseille n’a-t-il pas la volonté de développer l’activité
croisiériste afin que les touristes s’amusent ? Monsieur Brouat en arriverait presque à oublier que
Marseille sera en 2013 « Capitale européenne de l’Europe » et qu’elle aura besoin d’acteurs
culturels rodés à une telle ouverture internationale. Ou bien aurait-il décidé que le théâtre Toursky
devait être exclu de cette belle opération ? Il existe encore une autre hypothèse – mais je n’ose
croire qu’elle puisse être la bonne : c’est que Monsieur Brouat partage l’opinion de cet autre
personnage, aujourd’hui membre influent de l’équipe organisatrice de « Marseille Capitale
européenne de la culture » – je ne le nommerai pas mais il se reconnaîtra sans peine s’il lit ces
lignes – qui m’annonçait sans rire, en 1998, que pour lui « le monde, ça va de La Treille au
Planier » !

La culture, la culture pour tous, est un droit inaliénable. Elle doit relever du service public et
non du seul secteur marchand. Pour cela, la culture a besoin d’un financement de l’État, elle a
besoin de subventions, de subventions accordées et gérées dans la transparence et non selon le
bon vouloir du Prince.

En 1994, sous l’impulsion du gouvernement français, soucieux de protéger la culture de
tous les pays du monde, même – et surtout – les plus faibles économiquement, la clause de
l’exception culturelle a été introduite, non sans mal, dans les accords de l’Organisation Mondiale
du Commerce. Aux termes de cette clause, les biens et productions culturels ne sont pas
considérés comme des biens et des productions marchands comme les autres et ne peuvent
répondre aux même règles de concurrence. Dans ce monde de libre-échange marchand qui nous
est imposé, la culture peut – et doit – donc être protégée. Ce système fonctionne au niveau
international, plus ou moins bien – car, depuis quinze ans, la pression est constante des pays
contestant le concept même d’exception culturelle (États-Unis en tête, est-il besoin de le
préciser ?).

Voici que le gouvernement Sarkozy – et plus généralement le capitalisme –, ayant réussi
au fil des ans à annihiler tout outil d’analyse du système économique dans lequel nous vivons,
ayant ainsi désarmé toute opposition politique véritable et se trouvant, en conséquence, libérés de
toute contrainte, prétendent « marchandiser » la culture dans notre pays, alors que nous
défendons le contraire sur la scène internationale.

● Les poètes d’Autre SUD doivent générer un taux de profit plus important pour leurs
actionnaires, et tant pis s’il n’existe plus de lieu où la poésie vivante puisse s’exprimer.

● Le théâtre Toursky doit fonctionner comme n’importe quel théâtre privé, et tant pis si les
tarifs non aidés excluent des pans entiers de la population marseillaise, tant pis si la
programmation ne peut plus être à la hauteur des ambitions de l’opération « Marseille, capitale
européenne de la culture 2013 ». D’ailleurs, nous a précisé Monsieur Brouat, l’État n’a jamais
demandé au Toursky de fonctionner comme il le fait depuis sa création, quels que soient les
succès qu’il rencontre et l’enthousiasme populaire qu’il suscite.

Cela ne peut plus durer ! Mais ils ne réussiront pas à nous tuer ! Même pas à nous
bâillonner !

Pour ce qui est de la revue Autre SUD, son Conseil de rédaction recherche une solution
alternative qu’il espère pouvoir mettre en place dans le courant de l’an prochain.

Pour ce qui est du théâtre Toursky, un Comité de soutien a été créé, qui rassemble des
artistes et des comédiens de renom international, des personnalités, des élus, des fervents par
milliers du théâtre en général et du théâtre Toursky en particulier. La pétition qui a rassemblé au
cours des dernières années quelque 85.000 signatures s’ajoute et se joint à la mobilisation
actuelle, relayée par tous les média locaux, régionaux, nationaux et même internationaux.

Nous n’en sommes pas moins confrontés à l’autisme de la DRAC PACA et de son
Directeur.

Aussi, sauf réaction du Ministre de la Culture et de la Communication, Monsieur Frédéric
Mitterrand, dont nous osons encore attendre une ouverture positive, me verrai-je contraint de
m’associer à la grève de la faim que Richard Martin entamera le samedi 3 octobre dans son
théâtre.

Je le répète : ni Richard Martin ni moi-même n’avons pris de gaieté de cœur cette décision
lourde de conséquences. Nous y sommes contraints car telle est la seule voie qui semble encore
ouverte. Pour ce qui me concerne, je ferai la grève de la faim :

● pour soutenir le combat de Richard Martin, artiste de talent et citoyen passionné de
justice,

● pour défendre la spécificité du théâtre Toursky, le droit à la culture pour tous et obtenir le
rétablissement intégral de la subvention du théâtre,

● plus généralement, pour témoigner du sort fait à la culture par un système économique
qui n’a comme horizons que la calculette et les dividendes. Les banquiers peuvent perdre au
casino de la Bourse l’argent des autres, l’État, dont les caisses sont censées être vides, trouve
néanmoins toujours de quoi les rembourser – avec notre argent, bien sûr, l’argent des impôts qui
ne devrait avoir d’autre usage que le financement des services publics ou de la solidarité nationale
et internationale. Pour la culture, allez voir ailleurs : il n’y a plus d’argent, c’est la Crise !

Non ! La culture est un droit, un droit pour tous et l’État a le devoir de la soutenir !

J.P.

Marseille, le 1er octobre 2009

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