Une tribune pour les luttes

Expulsés de France : des jeunes Marocains à l’identité brisée

Leur seul espoir de survie, c’est de retourner en France.

Article mis en ligne le jeudi 31 décembre 2009

Selon les chiffres officiels du Réseau Education Sans Frontières Maroc (RESF), une vingtaine au moins de Marocains entrés légalement en France ont été expulsés depuis 2006.

Il n’existe actuellement aucune structure sociale d’accueil à l’arrivée pour ces jeunes.

A Tanger, Rabat et Casablanca, des membres de RESF tentent d’apporter une aide à ces expulsés qui espèrent retourner un jour en France.

[Expulsés de France : des jeunes Marocains à l’identité brisée

C’est l’histoire de jeunes Marocains venus s’installer légalement en France à l’adolescence auprès de leurs familles, et qui se retrouvent brusquement chassés du territoire à l’âge adulte. Des jeunes qui se sont nourris et construits autour de la culture française, de son système éducatif, de ses codes et de ses valeurs, et qui se retrouvent contraints de quitter ce pays d’accueil pour un retour brutal et forcé dans leur pays natal, le Maroc. Une France qu’ils avaient fini d’apprivoiser, et au sein de laquelle se dessinaient pour eux de réelles perspectives d’avenir, à la hauteur de leurs efforts mobilisés pour y parvenir. Samira Bobouch (expulsée le 17 novembre 2007) s’était fait une place au sein de l’association d’handicapés mentaux qui l’employait. Alaeddine El Jaadi (expulsé le 18 juin 2009) s’est découvert une passion pour le parkour (ndlr : sport inspiré de la pratique des Yamakasi), jusqu’à créer une association sportive qui organisait des spectacles pour la fête de quartier de fin d’année dans la ville de Lyon. Jusqu’à ce fameux jour où il se fait contrôler dans le métro, Un simple contrôle qui le conduit du commisariat de police à l’un des fameux centres de rétention administrative français destinés aux étrangers qui n’ont pas le droit de séjourner sur le territoire français. Jusqu’à l’aéroport où il se retrouve sommé d’embarquer avec un aller simple et définitif vers le Maroc, le visage tuméfié et ensanglanté par les coups subis pour le forcer à partir. Hassan Bouyahiaoui (expulsé le 10 mars 2009) vit seul quant à lui dans une maison abandonnée, dans une situation de grande précarité.

Une politique du chiffre aveugle face aux situations humaines

Comment la France, berceau des Droits de l’homme, en est-elle arrivée à désintégrer sans ménagement, et au nom de quotas annuels chiffrés d’expulsions, des Marocains entrés en France de manière légale pour rejoindre leur famille à l’âge de l’adolescence ?

La lutte contre l’immigration clandestine constitue un objectif affiché par la majorité des pays industrialisés depuis les années 1971. Depuis quatre ans, en France, cette nécessité a pris la forme d’une politique chiffrée. Le 22 octobre 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, demande aux préfets de doubler à court terme les expulsions d’étrangers en situation irrégulière. Un mois plus tard, la loi « relative à la maîtrise de l’immigration et au séjour des étrangers en France » est adoptée par le Parlement français ; elle permet à l’administration de bénéficier de larges moyens afin d’exécuter le programme de la politique chiffrée d’expulsion : accroissement de la durée maximale de rétention administrative, fichage systématique des demandeurs de titre de séjour.

Des pôles départementaux sont alors créés pour faciliter le retour aux pays des étrangers en situation irrégulière. À la fin de chaque année civile est fixé le chiffre des expulsions à réaliser : 15 000 en 2004, 20000 en 2005, 24000 en 2006, 28 000 en 2008, 30 000 en 2009. À leur 18 ans, l’arsenal législatif et réglementaire sur la situation des étrangers en France les rend illégaux et expulsables car, souvent, leurs demandes de régularisation sont rejetées.

Des requêtes et des lettres restées sans réponse

Membre active du réseau RESF de Rabat, Lucile Daumas précise que « le réseau ne souhaite pas rendre les exclusions faciles mais les empêcher », face à un gouvernement français insensible aux revendications du réseau. En témoigne l’envoi de lettres restées sans réponse au ministre français de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, Éric Besson. Du côté du gouvernement marocain, la situation semble évoluer positivement depuis le début du mois de novembre 2009.

L’association a obtenu un premier rendez-vous avec Mohammed Ameur, le ministre délégué chargé de la communauté marocaine résidant à l’étranger. La demande du réseau est double : d’un côté, il souhaite que l’instruction des dossiers des jeunes expulsés tienne compte de la situation humaine et sociale des jeunes, dans la mesure où le retour au pays les place souvent en grande situation de précarité. Leurs familles restent en France, et leurs chances de poursuivre leurs études ou de trouver un travail sont compromises. D’un autre côté, le réseau souhaite la création de structures d’accueil sociales afin de soutenir les nouveaux arrivants fraîchement débarqués. « M. Ameur a accueilli favorablement notre requête. Nous souhaitons faire comprendre aux gouvernements que nous gérons des hommes avant tout », souligne Mme Daumas.

Actuellement, une vingtaine de personnes du réseau sont mobilisées pour accueillir les jeunes arrivés par bateau de Tanger ou par avion à Casablanca, lorsqu’ils sont prévenus de leur arrivée. Des jeunes qui passent une première nuit au commissariat, assortie depuis 2009 d’un passage devant le juge lorsqu’ils atterrissent -souvent menottés- à Casablanca, avant d’être récupérés par un membre du réseau ou par... personne.

« A côté de la vingtaine de cas que nous avons accueillis, de nombreux jeunes ne sont pas signalés. Nous ignorons totalement ce qu’ils deviennent ». Depuis trois ans, seuls deux Marocains recensés par RESF sont parvenus à réintégrer le territoire français, et cela au prix de vastes campagnes médiatiques et de rassemblements massifs et indignés de citoyens français, devant les sièges des préfectures françaises.

Pour les autres, bloqués au Maroc, l’avenir est incertain et leur retour semble plus compromis, malgré les efforts déployés par RESF dans les deux pays. Il incombe désormais au gouvernement marocain de prendre ses responsabilités afin de trouver des solutions rapides à ces jeunes vies humaines en péril, et qui n’ont pas fini d’affluer sur le chemin du retour. D’autant plus qu’à travers les accords de réadmission (partenariat euro-méditerranéen de Barcelone notamment) signés entre les continents africains et européens, le Maroc a renforcé sa coopération depuis 2002 avec les puissances européennes, par l’adoption de mesures visant à lutter contre l’immigration.

Myriam Blal

28-12-2009

http://www.lavieeco.com/societe/154...



Jeunes Marocains expulsés de France : leur seul espoir de survie, c’est de retourner en France.

« Je me creuse les méninges pour trouver une solution, je prends des calmants quand je réfléchis trop »
« Mon avenir, je le vois en France, j’ai encore espoir. »
« Je ne mérite pas la rue »


Alaeddine El Jaadi 20 ans, Expulsé le 18 juin 2009

C’est ma mère qui a négocié mon départ en France avec ma tante. J’avais 15 ans, c’était pendant les vacances d’été. Je n’avais pas spécialement envie d’y aller. Mais elle avait peur pour moi ici, je faisais des bêtises, elle voulait que je réussisse. Avec le régime de la kafala, ma tante a réussi à m’emmener avec elle, à la fin des vacances, en août. J’ai été placé dans une classe d’accueil à Lyon, j’ai rapidement progressé et, la même année, j’ai pu intégrer une 4e normale. Les premiers mois n’ont pas été simples mais, avec le temps, je m’y suis fait. Je m’étais fait des amis, on a créé une association de parkour (sport inspiré de la pratique des Yamakasi), on organisait des spectacles pour la fête de fin d’année. J’ai obtenu mon CAP de plaquiste-plâtrier. Je me suis fait contrôler deux fois avant la troisième et dernière. Quand tu es mineur, tu es intouchable. Les flics sont venus chez moi, ils m’avaient retrouvés grâce à mon dossier de régularisation que j’avais déposé à la préfecture. J’étais sur la liste des personnes recherchées.
_nUne fois majeur, j’étais donc expulsable.
J’ai dû fuir mon domicile pour me cacher chez Georges, un déporté pendant la Deuxième guerre mondiale dont le père est mort dans les camps de concentration. J’ai passé toute mon adolescence en France, c’est là-bas que j’ai ouvert les yeux. Ma dernière arrestation s’est passée dans le métro. J’ai été conduit au commissariat où je fus tabassé. Après un passage en centre de rétention, une vraie prison, j’ai été emmené à l’aéroport d’Orly. Les CRS sur place ont eu peur en me voyant et ont appelé les pompiers, pensant que mon nez était cassé. Mains menottées, comme un criminel, on me fait monter dans l’avion. Une fois au Maroc, je suis retourné vivre chez mes parents à Sidi Slimane. C’est dur. Je ne trouve pas de travail. Je rêve de pouvoir retourner en France.


Samira Bobouch 25 ans, Expulsée le 17 novembre 2007

Je suis partie du Maroc en 2000 avec ma sœur jumelle et mon petit frère, chez mon père à Marseille. Nous sommes rentrés en France en règle, en toute légalité. Mes parents étaient divorcés, ma mère ne voulait plus de nous. Je suis arrivée à Marseille où j’ai été scolarisée. J’ai ensuite suivi une formation de couture et une autre au sein d’une association d’handicapés mentaux. Je me suis occupée d’une jeune autiste, Emilie, qui a été très perturbée par mon départ. J’avais essayé à plusieurs reprises de régulariser ma situation, mais mes demandes étaient toujours refusées. Mon père est invalide et ne gagne pas assez d’argent selon la préfecture. Le 17 novembre 2007, j’étais en voiture avec mon cousin et mon frère à Vitrolles (ndlr : commune proche de Marseille). Je n’avais pas mis ma ceinture. Les policiers nous ont arrêtés et nous ont demandé nos papiers. J’étais la seule à ne pas les avoir. Quelques jours plus tard, je me retrouvais dans le bateau pour Tanger. Sans ma sœur jumelle. Elle avait réussi à obtenir un titre de séjour. Des membres de RESF m’ont accueilli sur le quai. J’étais en état de choc, je pleurais, je ne voulais pas croire à mon expulsion. J’étais bien à Marseille, j’avais ma famille, mes amis, un travail. Je suis restée à Tanger les premiers mois, chez des membres du réseau puis chez une personne proche d’une copine de Marseille. Ma mère ne voulait pas que je reste avec elle à Guercif. Puis je suis allée vivre chez ma sœur, même si j’ai l’impression d’être un fardeau pour elle. Elle est mariée, sans travail, avec trois enfants, et ses moyens sont limités. Je ne fais rien depuis deux ans, et je n’arrive pas à m’entendre avec les gens ici, la mentalité est tellement différente. Je me suis inscrite depuis quelques semaines pour suivre une formation par correspondance gérée à Marseille. C’est mon seul moyen de garder le contact avec la France. Mon avenir je ne le vois que là-bas, et j’ai encore espoir. Je suis toujours en contact avec le réseau d’éducation de Marseille, ses membres continuent à manifester pour me faire revenir. Mes amis de là-bas m’appellent souvent, je n’ai pas d’amis ici. Je m’ennuie à Guercif.


Hassan Bouyahiaoui 22 ans, Expulsé le 10 mars 2009

J’ai rejoint mon père, installé en France depuis 1974, en 2003. Mes parents ont divorcé lorsque j’étais jeune, j’ai été élevé par ma mère au Maroc jusqu’à l’âge de 5 ans, puis par mes grands-parents. Ce n’était pas évident, ma grand-mère est diabétique, mon grand-père est aveugle et sourd. Je suis donc parti légalement en 2003, j’ai été placé dans une famille d’accueil pendant deux ans. J’ai raté de justesse mon CAP de mécanique, mais je me débrouillais pour trouver du travail. Bien sûr, j’ai déposé un dossier pour obtenir un titre de séjour. Au total, j’ai eu cinq APS (ndlr : autorisation provisoire de séjour) de six mois chacune. Un jour, je reçois un courrier de la préfecture m’exigeant de fournir un contrat de travail sous quinze jours, si je souhaitais prolonger mon APS. J’avais un contrat d’apprentissage, mais pas un vrai contrat de travail. Le 16 février 2009, on m’expulse.
A mon arrivée à Tanger, une avocate, dépêchée par le réseau, est venue me chercher. J’ai débarqué chez mon grand-père où je suis resté trois mois, mais l’atmosphère était tendue. Je suis parti. J’ai dormi dans la rue, je recevais des mandats de mon frère et de mon père, de membres du réseau de Rabat.
J’ai frappé à toutes les portes, cherchant des structures d’accueil pour personnes expulsées. Il n’y en a aucune au Maroc. Il y a quelques mois, une femme m’a prêté sa maison inoccupée, que je dois libérer sou peu. Maintenant, je travaille dans une usine avec 1 600 DH comme salaire après déduction des frais de cantine et de la CNSS. Si jamais je perds ce travail, je retournerai dans la rue car je n’ai personne chez qui aller. C’est dur, mais je suis optimiste et je ne désespère pas de rentrer un jour en France. Si un haut responsable lit ces lignes, je souhaite qu’il fasse un geste, qu’on me laisse partir. Car je pense que mon avenir est là-bas.

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