Une tribune pour les luttes

Pas de trêve estivale pour les expulsions,

+ Une brève histoire de la rafle,
Par Olivier Le Cour Grandmaison, enseignant à l’université d’Evry-Val-d’Essonne.

Article mis en ligne le lundi 19 juillet 2010

http://www.mediapart.fr/club/editio...

14 Juillet 2010

Pas loin de 15000 « reconduites à la frontières » pour la première moitié de l’année : 2010 s’annonce comme un excellent cru pour Eric Besson, ministre des Expulsions, qui travaille en même temps au durcissement de la législation.


Vendredi 9 juillet 2010. Le Figaro, qui ose encore placer en exergue cette citation admirable de Beaumarchais : « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur » alors que son directeur en trahit et l’esprit et la lettre en flattant comme jamais le pouvoir en place, consacre plus d’une demie page aux exploits du ministre des Expulsions et de la Stigmatisation nationale. L’on y apprend ainsi que la lutte contre l’immigration clandestine, menée d’une main de fer par Eric Besson, n’a cessé de s’amplifier et que le nombre de retours forcés, pudiquement appelées « reconduites à la frontière » par les journalistes eux-mêmes, conformément aux éléments de langage forgés par les experts en communication du gouvernement, ont atteint le chiffre de 14.760 au premier semestre 2010. Admirable bilan en effet qui laisse présager des résultats plus remarquables encore puisque pour cette seule année, celui qui est devenu l’un des meilleurs soldats du sarkozysme a prévu de procéder à 28.000 expulsions conformément à la lettre de mission qui lui a été envoyée par le président de la République et François Fillon, son très fidèle « collaborateur » à Matignon.

Au désordre de l’affaire Bettencourt, provoqué par une mauvaise presse, « populiste », « sensationnelle » et « racoleuse », « fasciste » en un mot comme l’ont dit et répété plusieurs dogues de l’UMP qui croient penser au moment même où ils ne font qu’éructer de façon haineuse contre une liberté fondamentale : celle d’informer de façon indépendante, Le Figaro rappelle opportunément qu’il est des ministres exemplaires qui ne se laissent pas distraire de leurs « missions-au-service-des-Français » par de vaines polémiques. En ces matières d’ailleurs, Eric Besson, conformément aux conceptions illibérales de celui qui l’a fait ministre, a des idées bien arrêtées puisqu’il affirme que « les médias » devraient consacrer « moins d’espace à cette affaire et davantage à l’action du gouvernement ». Lumineux, en effet. Alain Peyrefitte, en son temps, n’eut pas dit autre chose.

Décidément, cette époque est régressive, en tout et pour tout. Suggérons donc à l’ambitieux Besson, qui a la foi aveugle et intransigeante des nouveaux convertis, de profiter du prochain remaniement ministériel pour demander au chef de l’Etat d’ajouter aux grandioses missions qui sont déjà les siennes, celle de ministre de l’Information. Voilà qui ferait un fort beau titre conforme à l’esprit thermidorien de saison. Imaginons un instant : ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale, du développement solidaire et de l’Information ! Sublime, forcément sublime, et tellement conforme aux principes républicains qui servent désormais à plaider toutes les causes, même les pires. Outre la traque, l’arrestation et l’expulsion des étrangers en situation irrégulière, Eric Besson pourrait ainsi élargir utilement son domaine de compétences en indiquant aux journalistes comment il conviendrait de rendre compte des réformes engagées par l’Elysée et le gouvernement.

En attendant que l’ordre règne enfin, le même poursuit inlassablement son travail puisqu’il a entrepris de transposer en droit français trois directives européennes relatives à la situation des étrangers dont celle votée le 18 juin 2008 par les parlementaires réunis à Strasbourg. Parmi eux, se trouvaient, la chose mérite d’être rappelée, des élus du Parti travailliste de Grande-Bretagne et des socialistes espagnols, notamment. Aussi nommée « directive de la honte » et violemment critiquée par plusieurs chancelleries –celles de l’Argentine, du Chili et du Brésil– et chefs d’Etat –Evo Morales Ayma en Bolivie, Rafael Correa en Equateur– elle porte la durée de la rétention administrative à dix-huit mois, autorise l’internement et le retour forcé des mineurs isolés en violation de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 pourtant ratifiée par 192 Etats dont la France. De plus, les expulsés pourront être interdits de séjour en Europe pendant une durée de cinq ans. Banalisation, extension et triomphe de la double peine qui devient, par la grâce des institutions de l’Union européenne, une mesure communautaire désormais. Partout dans le Vieux continent, ces dispositions légitiment un prurit législatif incessant qui restreint toujours plus les droits des étrangers non communautaires.

De même en France, où pour la cinquième fois en sept ans, les autorités s’apprêtent à modifier la législation afin d’allonger la durée de la rétention qui va passer de 32 à 45 jours et de créer, comme Eric Besson l’a déclaré au Figaro, « une zone d’attente temporaire pour éviter que des situations comme celle de l’arrivée de Kurdes à Bonifacio ne se reproduisent ». Terrible cercle vicieux où les Etats membres de l’Union font pression sur les institutions communautaires pour qu’elles adoptent des mesures sans cesse plus dures à l’encontre des allochtones pour justifier ensuite leur propre politique xénophobe et nationale. En ces matières, l’actuel ministre des Expulsions, comme son prédécesseur d’ailleurs, est un orfèvre. Pour conclure, donnons la parole au haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Mme Navanethem Pillay qui déclarait le 2 octobre 2008 : « Il y a fortement à craindre que les Etats de l’UE aient recours à la détention de façon excessive et en fassent la règle au lieu de l’exception. » C’est aujourd’hui chose faite.

O. Le Cour Grandmaison. Enseignant à l’université d’Evry-Val-d’Essonne. Dernier ouvrage paru : De l’indigénat. Anatomie d’un « monstre » juridique : le droit colonial en Algérie et dans l’empire français, La Découverte/Zones, 2010.


15 juillet 2010

Une brève histoire de la rafle

Par OLIVIER LE COUR GRANDMAISON Enseigne les sciences politiques et la philosophie politique à l’université d’Evry-Val-d’Essonne

http://www.liberation.fr/societe/0101647015-une-breve-histoire-de-la-rafle

Les 16 et 17 juillet 1942, le régime de Vichy organise la rafle du Vél d’Hiv dont la commémoration approche. Le 10 juin 2010, des hommes et des femmes ont comparu devant le tribunal de grande instance de Pau suite à la plainte déposée contre eux par Philippe Rey, préfet des Pyrénées-Atlantiques, en vertu de l’article 433-5 du code pénal qui sanctionne le délit d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique. Leur tort ? Avoir, pour certains d’entre eux, utilisé le terme « rafle » pour dénoncer les arrestations d’étrangers en situation irrégulière.

Consultons donc le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française en sept volumes, dit le Robert, couronné par l’Académie française. « Rafle » est ainsi définie : « Spécialt. (fin XIXe siècle) Arrestation massive opérée à l’improviste par la police dans un quartier suspect, un établissement mal famé. » Et, à titre d’illustration, les auteurs citent un extrait de Nana, où Emile Zola relate la situation de péripatéticiennes parisiennes. « L’été, à douze ou quinze, ils (les agents) opéraient des rafles sur le boulevard, ils cernaient un trottoir, pêchaient jusqu’à trente femmes en une soirée. »

Intéressante définition et précieuse citation. De façon concordante, précise et circonstanciée, toutes deux prouvent ceci : la rafle est une technique utilisée dès la seconde moitié du XIXe siècle par la police contre les membres des classes pauvres, souvent jugées dangereuses, les prostituées et les vagabonds, notamment. A la fin de la IIIe République, des rafles furent aussi employées suite au décret du 18 novembre 1939 autorisant l’internement de tous les individus, nationaux ou étrangers, considérés comme « dangereux pour la défense nationale » et la « sécurité publique ». Le 19 mars 1940, le radical-socialiste Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, y a recours lors d’opérations policières dirigées contre les militants du Parti communiste. 10 550 perquisitions, 3 400 arrestations et 499 internements, tel est le bilan qu’il dresse fièrement à la tribune de l’Assemblée nationale. Pour la première fois dans l’histoire de la France contemporaine et démocratique, les rafles et l’internement administratif étaient utilisés contre des nationaux pour des motifs politiques.

(...)

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Vos commentaires

  • Le 19 juillet 2010 à 14:14, par Christiane En réponse à : Seine funeste pour un sans-papiers

    http://www.liberation.fr/societe/01...

    Récit

    Après la noyade de Dembo Fofana, qui fuyait la police, la famille veut une enquête plus poussée.

    Par MARWAN CHAHINE

    Une bague, un pass Navigo, un chapelet africain et des prospectus pour un marabout. Ces quelques effets personnels sont les seules choses retrouvées dans la sacoche de Dembo Fofana. Jeudi 1er juillet, ce Guinéen en situation irrégulière s’est noyé dans un bras de Seine, à Draveil (Essonne), après une course-poursuite de deux kilomètres avec la police. Le jour de ses 28 ans.

    Une mort discrète, comme sa vie. Beaucoup de Draveillois n’ont pas même entendu parler de ce fait divers : « Ça s’est vraiment passé ici ? » s’étonne une dame qui vit juste en face de l’étendue d’eau. Dès le 2 juillet, le parquet d’Evry a classé l’affaire.

    Selon la police, l’homme a pris peur et s’est mis à courir en voyant les agents, présents pour tout autre chose. Alertés par son attitude, les policiers l’ont poursuivi. Dembo a ensuite coupé à travers un champ avant de se jeter dans un bras de Seine marécageux. Les policiers ont alors tenté de le secourir en se jetant à l’eau. En vain, car pris dans la vase, Dembo s’est enfoncé.

    Cette version a été confirmée par des témoins qui se trouvaient dans le yacht club voisin. L’un d’entre eux a même proposé l’aide d’une barque. Ce n’est qu’un quart d’heure après que les pompiers ont finalement retrouvé et extrait le corps de l’eau. Trop tard. L’autopsie a conclu à une mort par noyade. Les deux policiers ont également été brièvement hospitalisés.

    Ombres. Quinze jours après le drame, la famille de la victime reste secouée. « Il y a des zones d’ombres », juge Sekou Fofana, l’oncle de la victime. « Mon neveu était quelqu’un de stable, de travailleur, il ne se serait pas jeté pour rien », estime ce technicien en collège qui suit également des cours de psychologie.
    _ L’homme n’accuse personne mais souhaite qu’une enquête plus poussée ait lieu. Son avocate vient de déposer une plainte au parquet d’Evry visant à déclasser l’affaire. Selon Me Karine Doucerain, qui n’a pas eu accès au procès-verbal, « il est étonnant que l’homme ait pris la fuite comme ça, sans qu’il y ait eu de contrôle d’identité préalable ».
    Bambo Fofana, cousin de la victime, partage ses doutes. Lorsque Dembo est arrivé en France, en 2007, les deux hommes ont partagé le même appartement à Saint-Ouen. « Ici, c’est un coin pourri, il y a tout le temps des policiers et Dembo ne s’est jamais enfui en les voyant. » Pourquoi a-t-il été pris de panique en voyant les policiers ce jeudi 1er juillet ? Y a-t-il un lien avec les prospectus vantant les services d’un marabout retrouvés dans le sac de la victime ? Des questions que l’enquête de la Direction départementale de sécurité publique n’a pu élucider.

    La famille se dit « troublée » par la rapidité avec laquelle l’affaire a été classée. « Les policiers ont convoqué Bambo, le cousin et Bakaso, l’actuel colocataire de Dembo. Les deux ont signé le procès-verbal mais aucun des deux ne sait lire ou écrire, et moi, j’ignore ce qu’il y a dedans », s’agace Sekou. De source policière, le procès-verbal mentionne que Dembo ne savait pas nager. Or tous les membres de la famille, originaire d’un village de Guinée près d’un lac, assurent aujourd’hui le contraire. Y compris le cousin qui a témoigné. Plusieurs pêcheurs habitués du lieu affirment qu’à l’endroit où a sauté Dembo, « il n’est pas évident de nager, même si l’eau n’est pas profonde ». Sekou a son explication à la rapidité de l’enquête : « Ils ont dû se dire qu’ils pouvaient expédier le dossier parce que c’était un Africain sans papiers, mais on ne va pas en rester là. »

    Espoir. Depuis le drame, l’homme remue ciel et terre pour trouver des soutiens : « J’ai contacté le consulat de Guinée et des associations, j’attends.On a aussi réuni la famille pour faire une collecte. Je veux faire du bruit, car je ne veux pas que Dembo soit mort pour rien », poursuit-il. Du côté de la police, on évoque « des pressions sur les enquêteurs de la part de la famille ». Pour Sekou il s’agit seulement de« comprendre »,mais aussi« de montrer ce qu’est la vie d’un sans-papiers ».

    Celle de Dembo ressemble à beaucoup d’autres. Arrivé en France en 2007, il a vu sa demande d’asile refusée un an plus tard. Sans être vraiment un activiste politique, il appartient à une famille d’opposants au régime. Le dimanche précédant son décès, Dembo s’était rendu au consulat de Guinée afin de voter pour le premier tour des élections présidentielles. « Pour la première fois, j’ai voté librement », aurait-il déclaré à ses proches. « Il ne voulait pas retourner en Guinée à cause des problèmes politiques mais aussi parce qu’il n’y a pas d’espoir pour les jeunes », explique son cousin. En France, à Saint-Ouen puis à Grigny, il ne menait pas un grand train de vie mais enchaînait les petits boulots, dans le bâtiment notamment. De quoi survivre et envoyer un peu d’argent à ses parents ainsi qu’à sa femme, épousée en 2005. « Il parlait souvent d’argent, il voulait être un grand patron », sourit son cousin. Le jour de sa mort, il a fait sa prière et annoncé à son colocataire qu’il passait la matinée à chercher du travail.

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